BIGOUDIS

Bonjour, voici un nouveau texte écrit aujourd’hui pour participer une nouvelle fois à « des mots , une histoire… » sur le blog d’OLIVIA BILLINGTON. oliviabillingtonofficial.wordpress.com

Les mots imposés étant cette semaine : influenceur – modeler – insipide – saltimbanque – ombre – harmonie – bousculade – mouiller – se perdre – exploiteur – certitude – folie

Préambule :
Arlette L. a dit un jour quelque chose de très beau dans l’un de ses discours radiophoniques :
—… Travailleurs, travailleuses, ne soyez plus jamais l’ombre de vous mêmes, n’écoutez plus tous ces exploiteurs, tous ces influenceurs qui vous promettent monts et merveilles, qui essayent de vous modeler à leur façon ou de vous perdre dans des bousculades inutiles, insipides. Ayez plutôt la certitude de ces saltimbanques qui vivent en totale harmonie malgré cette douce folie qui les anime souvent…
C’est magnifique, non…? Moi, j’en ai encore les yeux tout mouillés

Voici donc maintenant mon texte : Bigoudis.

Aujourd’hui, j’ai rencontré ma première influenceuse.

Elle est passée au salon de coiffure, accompagnée de son petit chien et d’un type qui la mitraille constamment avec un très gros appareil photo Nikon.

Monsieur Patrick avait prévenu tout le monde hier soir, juste avant que l’on ne rentre chez nous.

— Je vous demanderai de faire votre maximum mesdemoiselles… demain, c’est la réputation du salon qui va se jouer… !

Il a rajouté qu’elle avait plus de cinquante millions d’abonnés sur son blog, et qu’à cause de cela elle pouvait faire la pluie et le beau temps comme bon lui chantait. Il nous a avoué aussi que c’était grâce à elle qu’il portait maintenant tous ces petits bracelets en cordelettes colorées autour des poignets. C’était devenu très tendance aujourd’hui, et cela vous permettait ainsi de bien vous démarquer de la masse des anonymes.

Vous me connaissez, je n’ai pas toujours ma langue dans la poche, alors comme j’y voyais tout de même une sacrée contradiction dans tout ceci, j’ai voulu lui dire gentiment que…

— Mais, fermez là donc, Marie-Vonne ! Qu’est-ce que vous y connaissez vous en marketing… dites-moi donc un peu ?! Vous n’êtes qu’une pauvre fille insipide, et le resterez sûrement jusqu’à la fin de votre vie… !

Le mot insipide nous vient du bas latin insipidus qui signifie fade, un adjectif qui s’applique parfaitement aux soupes lyophilisées en sachet. Son antonyme est sapide, qui lui au contraire qualifie quelque chose de très savoureux. Monsieur Patrick, par exemple, est un patron coiffeur homosexuel, exploiteur notoire de la misère humaine, et à la sapide naïveté…

Enfin bref, elle s’est pointée vers dix heures trente ce matin dans une bousculade bien organisée. Son petit chien, qui avait du se retenir pour l’occasion, nous a gratifiés d’une très belle crotte tout à fait odorante, déposée adroitement au beau milieu du salon. Alors que je m’apprêtai à marcher dedans pour que cela me porte bonheur, monsieur Patrick s’est empressé de la ramasser et de la fourrer dans un petit sac en plastique qui nous sert habituellement pour emballer les bigoudis.

— Je la mettrai aux enchères sur Ebay… ! qu’a dit le gros pépère, joyeux comme tout. D’entrée, le ton était donné, nous allions assurément passer une très très bonne journée.

La gamine était beaucoup trop maquillée, mais personne ne semblait vraiment en faire cas. Obtenant, et à raison, l’infime privilège de lui laver la tignasse –je suis la meilleure shampouineuse du salon et de très loin s’en faut– je me suis particulièrement appliquée et cela comme jamais jusqu’à présent, faisant surtout très attention de ne pas lui mouiller le col de sa si jolie petite robe à paillettes qui la modelait adorablement bien, mais remarquant tout de même au passage que contrairement au gros Nikon numérique de ce type qui nous prenait sous tous les angles, et notamment en contre-plongée artistique, elle avait des pellicules plein la tête.

Il va sans dire que ne désirant pas gâcher bêtement l’harmonie de cette rencontre exceptionnelle, je me suis bien gardée de lui en faire la remarque…

Ensuite, c’est monsieur Patrick en personne qui s’est occupé de la coupe de la mademoiselle. Il lui tournait autour comme une grosse mouche verte autour d’un tas de fumier. La comparaison n’est pas très belle, j’en conviens avec vous, si ce n’est peut-être pour un entomologiste, mais j’avoue que ce fût toutefois la première image qui me vînt à l’esprit sur l’instant.

— Classique, mèches auburn, droite-gauche, dégradé filant, frange oblique, pas trop haut sur la nuque, finition rasoir à la main, coloration bio, masque capillaire, tartinage délicieux, poudre d’or et d’argile, baume démêlant, blow out, ombre exquise… ?!

Elle a eu finalement droit à la totale !

Josette, qui s’occupait de ses ongles pendant tout ce temps, me jetait régulièrement des regards affolés. Notre Josette, n’a pas fait des grandes études comme moi. Elle ne possède en tout et pour tout qu’un modeste certificat d’onglerie, obtenu d’ailleurs, d’après ce qu’elle avait bien voulu me raconter à mi-voix dans nos vestiaires, dans des conditions d’attribution du dit diplôme fort peu reluisantes, qui engagèrent non seulement une bonne partie de ses maigres économies, mais aussi l’intégrité de plusieurs de ses orifices naturels plus ou moins intimes.

— Tu sais, Marie-Vonne… lorsqu’on veut vraiment quelque chose : il faut aussi savoir s’en donner les moyens !

Mais, midi sonnait déjà à la grosse pendule baroque (que nous avait refilé le représentant de la maison Schwarzechekoff) qu’un traiteur du quartier nous déboulait avec une multitude de plats vegan sur les bras. On organisait alors à la hâte des tables de service, aux nappes brodées de pur fil de vigognes andines, tandis que des bouchons de champagne Moët et Chandon roulaient bientôt en cascade sur le sol carrelé de faïences vernissées comme à l’ancienne, et tout cela dans un joyeux brouhaha plutôt indescriptible. Un saltimbanque marocain, dont on avait également loué les services pour l’occasion, jonglait avec des fers à friser électriques et des ciseaux à dents de chien, sous les yeux de monsieur Patrick s’empiffrant goulûment de roulés au fromages de Norvège, servis frais sur un lit d’algues ondoyeux. Tous alors, autant que nous étions, avions la certitude à cet instant de vivre un moment de notre vie assez extraordinaire. C’est un peu après que cela s’est gâté légèrement…

Monsieur Patrick avait placé la blogueuse sous le casque à frisettes, et dans l’ivresse de la fête en avait complètement oublié l’heure, qui passe si vite et qui pourtant s’affichait en très grosses aiguilles sur la fameuse pendule Schwarzechekopff dont je vous ai déjà causé… C’est la fumée qui nous a alertés…

Josette, qui a très peu de qualités, et c’est vraiment peu de le dire, mais qui est toutefois très souple et prompte à la détente, s’est jetée immédiatement sur un extincteur à poudre qui traînait mollement dans un coin… mais, malheureusement le mal était déjà fait…

Monsieur Patrick eu beau se perdre en excuses baveuses et en jérémiades plaintives, rien n’y fit… La chevelure de la belle webbeuse ainsi que la partie était définitivement perdues…

Alors, Elle, son petit chien, le photographe, le traiteur, et sans oublier le jongleur marocain, qui il y avait cinq minutes de cela à peine se proposait de nous initier dans la coulisse, Josette et moi, à l’art délicat de la jonglerie avec deux boules, quittèrent sans attendre le salon dans un même élan, ce qui ne laissait rien augurer de très bon pour la suite.

La folie gagna dès lors monsieur Patrick, qui devint complètement abattu, l’oeil perdu dans le vague, la mise en pli défaite, un fou rire étrange remplacé dans la seconde par des pleurs déchirants de chialeuse andalouse… Nous mêmes, toutes solidaires de son malheur, n’étions pas dans notre assiette à vrai dire. Il fallait réagir… ce que je fis…

— Allons… allons, faut pas vous en faire comme ça, monsieur Patrick… surtout que j’ai peut-être une solution pour nous sortir de là… ai-je dit alors.

— …Hein… ?

— Oui… nous aussi pourrions lui faire beaucoup de mal si on le désirait…

— Quoi… ?! Comment ça, Marie-Vonne… ?

— Ben… Elle a des pellicules, cette conne… !

21 Replies to “BIGOUDIS”

  1. Bonjour, Pour être honnête avec vous…Aucun !
    J’ai tout d’abord écris le deuxième texte, puis en relisant les mots imposés une dernière fois je me suis dit que l’on pouvait peut-être tous les placer dans un texte très court, de quelques lignes seulement.Ce qui est encore plus difficile à faire évidemment.Et j’ai eu cette curieuse idée d’un hypothétique discours d’Arlette L. !!!

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  2. Le pire, c’est qu’il se trouvera bien un acheteur pour le sachet odorant… Une youtubeuse (ou autre influenceuse, je ne sais et ça n’a aucune importance d’ailleurs), a vendu l’eau de son bain. Les gens sont fous.

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      1. Ben oui pourquoi t’es-tu arrêté d’en faire ? Parce que tu t’appelles Ernest en fait ! Je sais, je ne t’en veux pas mais je ne comprends toujours pas notre société et ses codes 😉 c’est une thérapie, comme jouer avec les mots. Belle semaine

        Aimé par 1 personne

    1. Merci Guillemette. Et encore je n’ai pas été si vache que cela…la réalité est souvent bien pire ! J’ai des frayeurs en voyant le nombre de followers de certaines de ces influenceuses…Mon dieu…Comment en sommes-nous arrivés là…?! Brrr…Tiens j’en ai les poils qui se dressent sur les bras…!

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