Les vœux d’un vieux c…

J’ai mis des pointillés. Parce qu’il y a encore, parfois, des gosses qui lisent mes textes.
N’importe comment ce n’est pas nouveau, toute ma vie j’ai mis des pointillés un peu partout. Pour amortir les choses, il n’y a rien de mieux que des suspensions…
Nous y voilà donc. Deux mille vingt. Ô putain… !
Hier soir, c’était réveillon sur la planète. On fête. On ripaille. On s’amuse.
Avant ça, j’avais allumé la téloche, pour les vœux du Président d’la Ré. Et droit dans ses bottes, le voilà qui nous a encore causé de notre avenir à tous, très sûr de lui, comme toujours. Il en a de la veine de voir aussi loin. Pour nous. Moi perso, je ne vois plus très bien aujourd’hui. Il est tout flou, mon horizon… même avec ma paire de binocle remboursée à cent pour cent par la Sécu.
J’ai éteint vite fait. Cela n’aurait pas été très honnête de ma part d’attendre la fin de son allocution, n’ayant pas grand-chose à lui souhaiter de bon, moi, de ce coté du poste…
Et puis, ça rime vraiment à quoi toutes ces conneries ?! Meilleurs vœux ! Bonne année à tous ! Hé bien non… Je ne vous souhaite rien du tout, les gars ! Rien, nada, que t’chi ! Et puis, j’en ai rien à foutre non plus de vos bons vœux !
Mais… La santé… ? La santé quand même… ? C’est important la santé, non ?! Hé ben, vous pouvez vous la carrer où je pense aussi votre santé ; parce que je vais crever, alors rien que pour ça, je vous em…. tous !
Et revoilà les pointillés. Quand je vous le disais que j’en fiche partout de ces saloperies de points de suspension.
Des poings dans la gueule de certains aussi, j’en ai mis quelques fois. Peut-être pas assez, d’ailleurs. J’aurai du m’appliquer un peu plus pour ça aussi. Un regret de plus…
Putain, que ça passe vite la vie, non ?… Merde alors, t’as pas le temps de te retourner, que ça y est ; on t’emballe déjà dans la boite capitonnée. Avoir quatre-vingt balais en deux mille vingt… ? Tu parles d’une aubaine, toi ! On n’est que le premier jour, mais je sens bien déjà que je ne vais pas l’aimer cette année là !
Demain j’ai chimio. A l’hôpital des cancéreux. Qu’est tout beau, tout neuf.
On va tenter quelque chose d’autre, qu’il m’a dit, l’autre jour, le professeur Du Schmol… Lui aussi, il aime bien en foutre des pointillés un peu partout. Mais les siens, ils n’enjolivent pas grand-chose, la plupart du temps. Et puis surtout, on dirait presque qu’il en a plus peur que moi, ce con, de ma maladie incurable. Alors, je l’em… lui aussi. Définitivement. Et demain, je le lui dirai d’ailleurs. J’ai bien le droit après tout ; y parait que l’on ne peut rien refuser à un mourant…
Maintenant, même leurs bêtisiers à la télé ne me font plus rire.
Plus rien ne me fait rigoler.
Si… sauf peut-être encore, ma sale tronche de vieux con dans une glace. Alors, je passe des heures à me scruter dans les miroirs. Et je me regarde mourir bien en face, et à vue d’œil. Voilà quelque chose de marrant. Désopilante décrépitude orchestrée de main de maître… Tu parles… Un sacré salaud, oui !
Tiens… demain j’ai chimio, mais je n’irai pas !
Demain, après tout, je ferai autre chose de beaucoup plus intéressant.
Demain, j’irai me balader dans la forêt, juste derrière chez moi. Je parlerai aux arbres. J’écouterai les zoziaux qui chantent. Et je regarderai mon chien courir devant moi en remuant la queue. Il ne sait pas encore qu’il va finir à la SPA…
Demain, je ferai une lessive de blanc. Et une avec des couleurs, aussi. Celles de mes chemises à fleurs que je portais l’été.
Et puis demain, j’écrirai mon testament sur ce joli papier bleuté, avec un filigrane…
Celui que j’avais acheté pour écrire à ma petite chérie…
Elle avait seize ans, et je n’en avais qu’un de plus qu’elle. On s’aimait, et on se le disait toutes les cinq minutes. J’aurai fait n’importe quoi pour la garder près de moi. Et puis finalement, j’ai fait n’importe quoi… et je l’ai perdu.
Toute une vie comme ça, à faire n’importe quoi… Toute une vie entière, celle d’un vieux con qui va crever bientôt… Avec tout un tas de pointillés, plein le corps, et plein la tête aussi…
Demain…
Alors vous comprendrez que dans ces conditions, hé bien… je ne vous la souhaite pas, bande de salopards !

7 Replies to “Les vœux d’un vieux c…”

  1. Là c’est sûr, tes mots sont grinçants et tes phrases sont noires. Comme le sont tes jours, sans doute. C’est à toi de prendre ta décision, vieux Crocodile qui nous EMportera tous. Je te la souhaite belle, remplie de petits bonheurs simples, de sourires échangés et de mains serrées, sources d’apaisement et de sérénité.
    (¯`v´¯)
    .`•.¸.•´ ★¸¸.•*¨*• ☆

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    1. Merci pour ce commentaire. Les points de suspension permettent effectivement de donner de l’espace, et puis de ralentir le rythme d’une lecture. J’ai l’impression que parfois on peut passer « à coté » d’un texte, simplement à cause d’une lecture qui n’est pas au bon rythme. Mais point ne faut trop en abuser bien sûr … … …. !
      Bonne journée et… meilleurs vœux !

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  2. C’est comme tout on peut en user sans en abuser.
    Mais quand il ne reste plus rien, plus d’espoir, je crois qu’on s’en fout des règles et de tout le reste. Sauf des yeux des enfants, tu as raison, on ne sait jamais…

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