L’océan. C’est la première fois que je vois la mer. Brise fraîche sur mes joues toutes roses. Juillet en Bretagne. Je trotte, ça y est ! Voilà que je trotte enfin ! Maman me tient la main, elle est heureuse. Les vaguelettes me déséquilibrent et je bois la tasse. C’est salé ! Papa étale ses biscotos, marche sur les mains, fait le poirier. Tarzan de guimauve que je n’intéresse pas vraiment. Maman est heureuse, elle ne sait pas encore qu’il la quittera bientôt. Dix, vingt, peut-être plus, combien de générations, combien de mes ancêtres bretons, sont venus sur cette plage avant moi ?
Une boite en chêne dans un corbillard. Couronnes de fleurs. Pépé est mort. Mon gentil Pépé à moi. Je marche, lentement, silencieux, comme tous les autres derrière cette maudite boite. À dix ans, on ne comprend pas, on ne peut pas comprendre, ces choses-là. D’ailleurs, personne ne vous explique. Débrouille-toi, mon petit gars ! Apprentissage de la vie, choc, traumatisme. Et douleur éternelle…
Sortie d’école. Je cours, cette fois. Je la rattrape. Oh ! Mon cœur bat si fort ! Elle se retourne. Premier baiser. Demain, elle me laissera passer une main timide sous son pull-over. Premier émoi. Hésitant, maladroit, idiot… alors elle rit, Virginie : «Arrête un peu maintenant ! Tu me chatouilles !» . Et, Elles n’ont pas fini de m’en faire voir. Et de toutes les couleurs, je vous le garantis !
Je grimpe quatre à quatre les escaliers… me trompe… redescend d’un étage… affolement général… on me passe une charlotte… des sur-bottes… allez, direction le bloc…
«Tenez… c’est votre fille ! Trois kilos quatre, c’est pas mal ! Félicitations !»
Vl’à que je chiale. Comme un bébé !
Vingt-cinq ans. Mariage en blanc. Accordéons, flonflons, émotions, «Papa, rentre donc un peu ton bidon !». Photo de famille décomposée. Voyage de noces. Où ça ? En Bretagne… ! La boucle est ainsi bouclée…
Symptômes. Évidence du diagnostic. Dégénérescence, perte de la mémoire, de l’autonomie. Je flotte dans un brouillard épais. Je flotte, mon brave ami. Léger, léger, si léger aujourd’hui…
Pilier Est. Bruit sourd, mat, au pied de la ferraille. Ils se retournent. Comme tout le monde dans la file d’attente. On crie, une femme s’évanouit. Vapeurs qui exhalent d’un corps réduit en bouillie dans la fraîcheur d’un matin de Décembre…
«Juste avant de mourir, il paraît que l’on revoit toute sa vie défiler… tu crois que c’est vrai… ?»
«… Bof… j’en sais rien… !»
Quand on commence à voir sa vie défiler, mieux vaut partir en courant (d’air) ! Hormis le XIV juillet, bien sûr, si Boris Vian nous accompagne à la trompinette !
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Comme d’habitude, c’est très bien raconté ; on y laisserait presque une larme à la fin… j’ose ?
En fait plus on a fait de choses dans sa vie et plus on agonise longtemps. Je vais donc prolonger mon sommeil, manger plus lentement, ne plus courir, y regarder à plusieurs fois avant de décider d’un choix, remplacer les douches par de longs bains, etc… le film à remonter le temps de la vie sera moins long et la souffrance d’autant plus courte !
Bel après-midi !
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Oh ! Mais, dis donc, c’est pas très écolo, les bains ! Et puis passer sa vie à ne rien faire… t’es vraiment sûre de toi ? Non, décidément, moi je préfère une très longue agonie à choisir !
D’ailleurs, je te laisse, j’ai plein de trucs à faire !
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Il y a une nouvelle (dont j’ai oublié le titre) un peu comme cela de Boris, n’est-ce pas ? Un type qui chute d’un immeuble et qui commente ce qu’il aperçoit par la fenêtre à chaque étage… !
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Effectivement, je vais essayer de trouver cette nouvelle si je peux.
Dans le genre chute, cela me rappelle un autre truc, c’est normal!
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une piste … https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_K_(nouvelle)
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Trouvé : (cf Dino Buzzati « ragazza che percipita ».)
« À travers la chute d’une jeune fille de 19 ans, qui tombe une journée entière du haut d’un gratte-ciel de 500 étages, observe par les fenêtres des appartements les scènes qui s’y déroulent, et vieillit au fil de sa descente, Buzzati évoque le passage du temps et l’inéluctabilité de la mort. »
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che precipita
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Merci pour ces recherches. C’est étrange tout de même, j’avais l’impression que c’était une nouvelle de Vian. Peut-être à-t-il écrit lui-aussi quelque chose de similaire… après tout, des gens qui tombent de leur balcon, il y en a tous les jours !
En tout cas, je note les références de ce roman de Buzatti au cas où (je viens de tomber sur une mine chez un voisin (qui est plutôt une voisine d’ailleurs !) qui veut se séparer de toute sa bibliothèque… Une sacrée aubaine pour un type comme moi avec autant de lacunes littéraires !).
Bonne journée à toi !
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(je viens de tomber sur une mine chez un voisin (qui est plutôt une voisine d’ailleurs !) qui veut se séparer de toute sa bibliothèque…
C’est en effet une sacrée aubaine, mais méfiance ! S’il s’agit de récupérer les centaines de bouquins de Guillaume Musso, de Marc Lévy, d’Amélie Nothomb, de Mary Higgins Clark, les bouquins des politiciens (trop de noms à citer), des toubibs et autres analystes de plateaux télés, je dis : bon courage !
Et puis, si la voisine est aimable, elle risque fort de te demander de déménager le meuble lui-même. Pour cela il faut avoir bon dos.
Bonne journée !
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Voilà une fin de vie qui t’offre un résumé rapide de ce que fut ta vie.
Une vie parsemée en grande partie de beaux moments et très souvent dans cette belle province de Bretagne (Ah ma Breizh, ma ro goz ma zadou !).
J’avoue avoir souri e lisant le résumé de ta vie mais quelque chose m’a frappé : à aucun moment tu ne revois ton lieu de travail ou des collègues …Aurais-tu glandé toute cette vie durant cher compatriote ?
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Merci Trigwen. Pour autant, il faut bien avoir à l’esprit que dans mes « élucubrations » , par définition tout est absolument vrai car sorti de mon imagination… Un boulot ? Je ne sais même pas de quoi il peut bien s’agir ! Ma vie n’a été que farniente sur des transats à l’ombre de palmiers en fleurs, ponctuées de soirées chez l’ambassadeur !
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Tu ignores ce qu’est le travail ? Pauvre homme ! Toute une vie de farniente sous les palmiers ? Comme tu as dû t’ennuyer à la longue.
Quant aux soirées chez l’ambassadeur, je n’ose imaginer comment elles se terminaient…
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