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Selfie.

Ce matin, je ne sais pas ce qui m’a pris, je me suis tiré le portrait.

Un selfie comme on dit aujourd’hui. Selfie d’un self-made man…

Hier soir déjà, je n’étais pas dans mon assiette, et la nuit n’a pas arrangé les choses. J’ai le cafard en ce moment. Peur de vieillir. Peur de mourir surtout.

Je devrais voir quelqu’un. Et quand je dis quelqu’un, je pense bien sûr à mon médecin. Mon Psy d’occasion comme je le surnomme. Un brave type, mais encore plus déprimé que moi depuis qu’il a perdu sa femme, l’année dernière. Dans sa salle d’attente, il y a des affiches d’expo de peintures un peu partout. Toujours le même artiste, un certain Radowitz. Des expositions à Vienne, à Stuttgart, à Prague, et même à New-York. J’imagine qu’il a suivi ce peintre partout dans le monde, à chaque nouvelle exposition. Lui et sa petite femme. Lui et sa petite femme chérie. Lui et sa petite femme chérie avec son cancer du sein.

Cette salle d’attente ne convient pas du tout à des patients comme moi. Des patients qui ont beaucoup trop d’imagination. Beaucoup, beaucoup, et beaucoup trop.

Je ne regarde pas l’objectif. Je ne regarde jamais l’objectif de l’appareil photo. Mon regard est toujours fuyant. Fuyant et vide. Même dans le miroir je ne me regarde jamais droit dans les yeux. Non, jamais en face, c’est un principe…

Mon psy se nomme Lébonitzky. Et un jour, il n’y a pas très longtemps de cela, je lui ai appris que j’avais rencontré quelqu’un qui portait le même nom que lui.

Quelqu’un de votre famille peut-être ? Impossible ! Tous les membres de ma famille sont décédés ! m’a-t-il répondu. Je n’ai pas insisté. Je sais très bien qu’il ment pourtant. Dans une famille, même décimée, ce n’est pas possible, il doit toujours rester quelqu’un de vivant quelque part. Quelqu’un, même quand tout le monde est mort. Mon psy est donc un menteur. Comme tous les médecins d’ailleurs.

Pourquoi ce selfie ? Peut-être le besoin inconscient de laisser une dernière trace de mon passage sur cette terre ? C’est idiot. Une photo a très bien pu être trafiquée, alors une photo ne prouvera jamais rien à personne. Aujourd’hui, il est tout à fait possible de gommer tout ce que l’on souhaite sur une photographie, un regard désespéré aussi facilement qu’une vilaine cellulite sur des cuisses.

Des murs blancs. Blancs immaculés. Voilà ce qui serait tout à fait idéal dans une salle d’attente. Faire obstacle à toute réflexion. Attendre son tour sans penser à quoi que ce soit. Attendre son tour sans se poser de questions, sans s’imaginer un passé, un avenir, sans imaginer surtout une histoire qui n’est même pas la sienne.

J’ai fait des recherches sur ce peintre, ce fameux Radowitz. Chez lui, le vert n’est pas vert, le bleu n’est pas bleu, le rouge n’est pas rouge. Rien n’est à sa place. Le trait est large, grossier, dépassant les limites. La matière est trop épaisse. Les sujets peints, eux-mêmes, ne sont pas à leur véritable place. Radowitz est mort récemment. Fou. Comme beaucoup de peintres d’ailleurs.

Qu’est-ce que je vais faire maintenant de cette photographie ? La ranger quelque part, dans un tiroir bien profond, ou bien plutôt l’abandonner là, négligemment posée sur un meuble, comme si de rien n’était ? J’hésite encore… mais ce n’est pas nouveau, toute ma vie j’ai hésité ! Je n’ai jamais su prendre une décision.

Il y a longtemps de cela, je me suis essayé à la peinture. C’était bien avant d’écrire. Je ne sais trop pourquoi, mais je m’étais persuadé avoir un don pour le dessin. L’auto-suggestion est parfois efficace, mais dans le cas présent, j’ai vite laisser tomber l’idée d’avoir du talent. À l’évidence, cela ne fonctionne pas à tous les coups !

Lébo, mon Psy, est juif. Cela n’a guère d’importance. Je ne sais même pas pourquoi je vous le dit. À quelque chose près, il doit avoir le même âge que moi. Lui aussi doit penser à la mort tous les jours. Mais, je serai curieux de savoir comment il se débrouille avec ça. Comment font les Psy face à ça ? Face à ce terrible compte à rebours ? Vont-ils eux-aussi se confier à l’un de leurs collègues, et attendre leur tour dans d’ignobles salles d’attente aux murs tapissés d’affiches déprimantes ? Je crois que je lui poserai la question la prochaine fois que je le verrai… Oui, Lébo, mon Psy est juif, comme la plupart des Psy d’ailleurs.

Au dos de ma photo, j’ai inscrit la date du jour. C’est important une date sur une photographie. Le temps passe, et puis on oublie. On oublie les dates, les gens, et les vies mêmes des gens. On oublie tout à la fin, c’est triste. Alors, j’ai inscrit mon nom aussi au dos de cette photographie. Meilleure façon peut-être d’imaginer que personne ne pourra dire plus tard : «C’était qui celui-là ?»… Le nom, la date, quoi de vraiment plus important ?

Un peintre sans aucun talent, ce Radowitz. Et mort fou ! Pourquoi donc manifester autant d’intérêt pour un tel peintre ? N’y en avait-il pas d’autres à admirer, bien meilleurs et bien moins névrosés que lui ? La prochaine fois, j’arracherai toutes ces affreuses affiches de cette salle d’attente ! Et la prochaine fois, je lui dirais aussi tout ce que j’en pense vraiment, à ce docteur Lébonitzky, de toute cette mascarade pseudo artistique. Et je lui déballerais tout ! Tout ! Tout ! Oui, absolument tout ce que j’ai sur le cœur…

Et si je l’installais dans un cadre après tout ? Un joli cadre argenté. Comment ? Cela ne se fait pas ? Trop égocentrique d’avoir sa propre photographie encadrée chez soi ? Mais, je m’en fiche pas mal ! J’aurais peut-être ainsi le courage de me regarder en face, bien droit dans les yeux pour une fois. Contempler la mort venir en face, et admettre que voilà après tout le seul véritable intérêt de ce cliché prit aujourd’hui…

— Allo ? Bonjour Mademoiselle, je désirerai prendre un rendez-vous avec le docteur Lébonitzky… le plus tôt possible serait le mieux… quoi… décédé… ? Comment ça, le docteur Lébonitzky est décédé ?! Mais… quand… ? Hier soir… ah bon… un suicide… vous êtes sûre… ?!

Il n’avait pas menti, Lébo : j’étais seul à son enterrement. Personne d’autre que moi, et puis mon spleen collé aux basques. Finalement, ma photographie, ce selfie au regard qui fuit, ce regard qui ne veut pas voir, avec mon nom et la date bien inscrite au dos, je l’ai déposé sur son cercueil, un peu avant qu’on ne recouvre définitivement le tout… Oublié Lébo, et pour l’éternité…

Martha.

Texte pour répondre à un concours de nouvelles très très courtes sur SHORT-EDITION. Le thème (glacé !) : «-15°». Thème de saison donc, avec nécessité de faire peur ou de donner dans le mystérieux ! Le plus difficile pour moi fût de réduire mon texte à 8000 signes (espaces compris). Pas évident du tout !

Martha.

La tempête hivernale qui toucha la France le 31 décembre 2020 fût d’une effroyable violence. Elle surprit tout le monde par son intensité, et à commencer par tous les éminents météorologistes qui n’avaient pas prévu un tel déchaînement des éléments. Ce soir de réveillon, des milliers de gens se retrouvèrent ainsi bloqués dans un froid quasi polaire sur des routes enneigées devenues impraticables, et bon nombre d’entre eux y laissèrent malheureusement leur vie. Décidément, jusqu’à son ultime jour, cette année maudite ne nous apporta rien de bon…

Impressionnant ! On n’y voit pas à dix mètres ! Et à présent, avec cette camelote de GPS qui semble avoir perdu définitivement tout sens de l’orientation, je ne suis même plus certain d’être sur le bon chemin. Les essuie-glaces, pourtant à pleine vitesse, ont de plus en plus de difficulté à évacuer la neige qui tombe et tourbillonne en lourds paquets. Autant de neige d’un seul coup, je crois bien que je n’ai jamais vu cela de toute ma vie ! J’imagine que Bob, et son épouse Lina, doivent commencer à se demander ce que je fabrique. Peut-être même à s’inquiéter, j’avais promis d’arriver avant la nuit mais la nuit est déjà là… Ah, quelle andouille je suis ! Oui, une belle andouille d’avoir ainsi cédé et accepté leur invitation pour le réveillon ! « Allons, mon vieux, tu ne vas tout de même pas rester seul chez toi ! »… Oh, mais si ! Bien sûr que si, mon petit Bobby, je pouvais très bien rester tout seul chez moi plutôt que de m’embarquer dans cette galère ! Non, je n’aurais jamais du accepter cette… hé, mince… là… juste là, devant, dans les phares… un arbre ! Un arbre gigantesque couché en travers de la route ! Me voilà bel et bien piégé…

Je n’envisage même pas le demi-tour. Habile comme je me sais au volant, je serai bien capable de me foutre dans le ravin ! Et puis la couche de neige est devenue maintenant trop épaisse, quarante centimètres minimum, pour espérer pouvoir encore avancer. Même avec des chaînes, que je n’ai pas d’ailleurs, cela serait probablement impossible. Mais, le pire est que je n’ai pas la moindre idée de l’endroit exact où je me trouve. Je tente de joindre Bob, mais là aussi… rien ! Pas une seule barre de réseau sur mon portable. En pleine zone blanche, et dans tous les sens de l’expression ! Je me rends vite à l’évidence : à moins d’un miracle, auquel je ne crois pas un seul instant, me voilà bon pour passer le réveillon ici, et à me geler dans la bagnole toute la nuit…

J’enfile ma doudoune. Pas trop le choix : je ne tiens plus, je dois sortir pisser ! À peine dehors, les violentes bourrasques de flocons m’aveuglent et se faufilent jusque dans mes oreilles. Ça caille sec et je ne suis pas vraiment équipé pour affronter un tel froid. J’ai conscience tout de suite que je ne dois pas m’éloigner de trop. Attention ! Danger, frérot ! Surtout ne pas perdre de vue la voiture ! Sur le côté, à une dizaine de mètres peut-être, il me semble distinguer vaguement quelque chose dans ce brouillard blanc. Poussé par la curiosité, bien imprudemment peut-être, je m’avance. Il s’agit d’une grille d’entrée… une grille monumentale… il y a là aussi un panneau sur lequel je devine plutôt que je lis : «Château du Paradis» ! Le Paradis ?! Alors, là ! Non, sans rire ?! N’abuseraient-ils pas un peu ?! Et puis, attend… ça… c’est quoi, ça… ?! De la musique ! Oui, oui, parfaitement : j’entends une musique ! Une musique lointaine, atténuée, étouffée par les rafales de vent, mais qui arrive tout de même à percer la nuit glaciale. Boum… boum… boum… !

Cinq minutes au moins que je tambourine à cette porte… Dans l’obscurité ouateuse, je me suis guidé au son, me traînant telle une bête blessée dans cette poudreuse qui colle et vous arrive maintenant au dessus des genoux ! J’ai les pieds et les mains complètement gelés. Je grelotte et je claque des dents en cadence. Bon Dieu ! Ce n’est pas possible, il y a forcément quelqu’un là-dedans ! D’après ce que j’ai pu en deviner, il s’agit bien d’un château, ou en tout cas, de l’ombre lugubre d’une grande bâtisse perdue au milieu de nulle part. Soudain, la musique s’arrête… silence total… alors, je cogne encore, encore, et enfin… la porte s’ouvre… me voici donc sauvé ?

Elle est belle. Non, bien mieux que cela, elle est sublime. Est-ce que je rêve… ?! Elle tient un chandelier dans une main.

— Vite ! Oui, entrez vite, et venez vous réchauffez près du feu !

Et bien, non, je ne rêve pas ! Je la suis, saupoudrant derrière moi de la neige sur des tapis orientaux. Nous traversons l’entrée, un corridor, puis, un salon enfin. Une cheminée gigantesque, un feu qui crépite à l’intérieur… Elle se retourne… robe longue de soirée au décolleté vertigineux…

— Martha ! Enchantée ! Et vous ?

Mes lèvres encore engourdies, je peine à articuler correctement.

— Sté-pha-ne… enfin Steph ! Oui, tout le monde m’appelle Steph !

D’immenses yeux dans lesquels se projettent la lueur des flammes, une longue chevelure aux doux reflets bruns… et moi, bel idiot frigorifié, voilà que j’ai le nez qui coule ! Et merde ! Mais, ce n’est pas vrai, ça ! D’une poche, je sors, gêné, un kleenex et me mouche ensuite aussi discrètement que possible. Elle sourit. Je m’excuse, ôte ma doudoune trempée.

— Donnez donc, on va la mettre à sécher. Je vous offre une boisson chaude pour vous réchauffer ? Un thé ? Un chocolat ? Autre chose… ?

— Un thé, oui, merci bien ! Un thé, ce sera parfait !

Quoi ? Un thé ? Mais qu’est-ce qui te prend ?! Hey, tu ne bois jamais de thé, gros nigaud ! Bon sang, rappelle-toi : tu as horreur du thé ! Elle me désigne le sofa de velours vert derrière moi.

— Installez-vous confortablement, Stéphane, je reviens tout de suite…

Elle disparait dans un léger bruissement de soie, et je reste ainsi, planté dans la seule clarté vive du foyer, tout enveloppé des effluves capiteuses de son parfum, et toujours un peu groggy par le froid. J’en profite pour inspecter avec plus d’attention les lieux autour de moi. L’ameublement et la décoration sont particulièrement soignés et luxueux. Mais, et cela est assez curieux, tout semble dater du siècle passé. Un peu comme si, ici, le temps s’était arrêté dans les années trente…

Dans la pénombre, un tableau, accroché parmi d’autres aux murs tendus de tissus aux motifs floraux, attire mon regard. Je m’approche. C’est elle… oui, j’en suis certain, il s’agit bien d’elle sur cette ravissante peinture. Elle pose en tenue de cavalière, redingote rouge à boutons dorés, jupe longue d’amazone, une cravache à la main. Merveilleuse et énigmatique beauté…

— Vous vous intéressez à la peinture ?

Surpris de ce retour silencieux, je bafouille.

— Non… enfin si, si, bien sûr ! C’est vous, n’est-ce pas ?

— Oui ! Cela vous plait ?

— Oh, oui, beaucoup !

Camellia Asamica

— Pardon ?

— Thé du Népal… aussi rare que son goût est exceptionnel !

Elle dépose un lourd plateau d’argent sur une table basse, puis s’assoie à l’une des extrémités du sofa.

— Venez près de moi, mon ami, que vous me racontiez vos mésaventures dans cette horrible tempête…

Je sens que l’on me serre la main. J’ouvre les yeux.

— Ah, enfin ! Ben, on peut dire que tu t’en sors bien ! Quelle chance !

Je reconnais Bob. Et Lina aussi, de l’autre côté du lit…

— Le docteur dit que ta température corporelle est descendu à 35 degrés ! Tu devrais être mort à l’heure qu’il est !

— Mort… ?

— Oui ! Mort d’avoir passé la nuit dans ta voiture par moins vingt !

— Et cette tempête… est-elle terminée maintenant ?

— Oui, mais on s’en souviendra de celle-ci ! Martha, la tempête du siècle !

— Martha… ?

— C’est comme cela qu’ils l’ont appelée… tiens, d’ailleurs, c’est étrange…

— Quoi donc ?

— Hé, bien, maintenant que j’y pense, c’était aussi le prénom de cette horrible femme qui a assassiné toute sa famille à la fin des années trente, dans ce château, ce château en ruines maintenant et près duquel les secours t’ont retrouvé au petit matin…

Comment se faire.

Refrain :

Oyez, oyez, braves gens cathodiques !
Voilà qu’il est né, il est Netflix
Ludivine, enfant de Salo-mé,
de Salo, oui, mais…
Payons tous son abonnement !

Peste donc, si des achats tu perds le goût
Gueule, si ton compte insta est bloqué !
Petits nuages into the Cloud, into the Cloud
Et ta vie influencée part vite en fumée…
Copain geek qui te boude, qui te boude
Porn-addict jusqu’au bout du nez…
Olé ! Olé !
Porn-addict jusqu’au bout du nez…
Olé ! Olé !

Oyez, oyez, braves gens cathodiques !
Voilà qu’il est né, il est Netflix
Ludivine, enfant de Salo-mé,
de Salo, oui, mais…
Payons tous son abonnement !

Dès que souffle la tempête dans le net
Balance ton troll, ma beauté virtuelle !
Amazone du Web, et tu tweetes, et tu tweetes…
Manipulée par toutes ces bien vilaines ficelles
Découvre un jour la réalité pas gratuite, pas gratuite…
Jolies trompettes de la toile
Sonnez ! Sonnez !
Jolies trompettes de la toile
Sonnez ! Sonnez !

Oyez, oyez, braves gens cathodiques !
Voilà qu’il est né, il est Netflix
Ludivine, enfant de Salo-mé,
de Salo, oui, mais…
Payons tous son abonnement ! Son abonnement ! Son abonnement… etc, etc… (Décrescendo…)

Joyeux Noël !

Note de l’auteur : Désolé, chères lectrices et lecteurs, je n’ai pas coché les bonnes cases hier… ! Commenter était donc impossible, mais voilà : j’ai réparé le zinzin !

À la demande générale (si !) : Un petit poème qui je l’espère vous fera tous mourir… de rire ! Et… Joyeux Noël !

D’un très joli discours sur les méthodes,
Et des tas de promesses bien alléchantes,
Allez, chante ! Chante !
Tenues de cérémonies, têtes de circonstances,
Tristes sires con-stan-ces !
Hagards, d’incontinents vieillards qui rodent
Héros abandonnés d’une maladie virulante
Bien ful-gu-ran-te !
Mais pour qui compte donc ces vies d’hommes
À l’heure pénible de la sombre hécatombe ?
Oh, l’hé-ca-tom-be !
D’oppressantes douleurs qui serrent nos cœurs,
siffle, et siffle encore, et toujours t’époumonne
T’é-pou-mon-ne !
Danser, rire ou pleurer sur vos tombes
Nous n’irons pas, oui, quel terrible malheur
Sur-vous-tom-be !
Au vent de décembre, flotte bel étendard
d’un grand pays cloîtré, reste le servile sujet
sert-vil-su-jet !
Qu’une unique balle, logée là, dans son barillet
Suffirait bien pourtant à faire péter le testard…
Pes-ter-le-fê-tard !

Alors, amis, ne venez pas pleurer, rire ou chanter sur ma tombe
Ne venez pas, je vous en prie…

Malinois.

Avertissement de l’auteur : Aujourd’hui, je ne vous propose pas véritablement, chers amis lecteurs-trices, un nouveau texte, mais un texte très remanié… Rien ne doit rester figé, et surtout pas en littérature ! Merci à Dominique (qui avait apprécié le texte original et qui, je l’espère, aimera encore plus celui-ci).

Malinois.

Ce matin-là, il y avait comme un je ne sais quoi qui vous flottait dans l’air.

Ou bien plutôt, un je ne sais qui…

Il est à peu près six heures trente, je rentre du boulot, enfin peut-on vraiment appeler cela un boulot, vigile, car même avec un chien au bout d’une longe, un chien sensé faire peur à tout le monde, ce n’est pas la gloire, et encore moins dans un entrepôt de charentaises…

Maître-chien. Un maître et son chien. Un maître qui en a plein les bottes après une nuit sans sommeil, et puis son chien, ce brave Jean-Claude, qui n’attend plus qu’une seule chose maintenant : une gamelle remplie à ras bord de croquettes !

Si je l’ai appelé Jean-Claude, mon malinois, c’est en l’honneur de JCVD, monsieur Jean-Claude Vandamme, car voilà bien le mec le plus fun que je connaisse sur terre, capable de vous faire le « Grand-técart-facial » en toutes circonstances. Mon idole absolue. J’ai des posters géants de lui affichés partout dans ma cambuse. Et une photo en couleur de sa tronche sérigraphiée sur mon mug du petit-déjeuner. Juste pour dire toute l’admiration que je porte à ce type…

Par contre, dans mon frigo, y’a plus grand-chose a becqueter ce matin. Me serai bien fait un œuf sur le plat, mais y’a plus rien, même pas un œuf. J’ai une sacrée dalle pourtant, et je serai presque à deux doigts de lui en bouffer quelques unes de ses croquettes à mon Jean-Claude. Après tout, si c’est bon pour lui !

Et puis voilà qu’on sonne…

Une erreur forcément. Forcément, parce que j’en ai jamais de la visite. Et surtout comme ça, à l’improviste. Jean-Claude gueule fort. Normal, je viens de le dire, il n’est pas habitué à entendre le dring-dring de la sonnette, le bestiau.

— Nom de dieu… tu vas pas la fermer, Jean-Claude ?!

— …Mais… je n’ai encore rien dit !

Ça, ça venait de l’autre coté de la porte… Avec une très forte odeur de croissants chauds.

J’ouvre.

Et… et merde, c’est Jean-Claude ! Mais le vrai, cette fois ! Le vrai de vrai, en chair et tout en muscles, là, sur mon palier du troisième, avec un plein sachet de croissants au beurre de la boulangerie d’en bas. Et si je peux le préciser sans trop me tromper, c’est qu’il y a écrit « Au pain chaud », qui est le nom de la boulangerie d’en bas, sur le pochon en papier.

Jean-Claude (le chien) renifle l’odeur du beurre frais. Et ça le calme direct. Ce clebs, je ne l’ai pas dressé pour le refus d’appât. Beaucoup trop compliqué à mettre en œuvre.

— Bonjour… Vous êtes bien môsieu Kevin Zoumbill… ?!

Il est tout petit. Et perso, je la voyais beaucoup plus grande que ça, mon idole…

— Hein… ?! Ben, ouais… Zumbiehl… c’est lui… lui-même en personne !

— OK… Moi, c’est Jean-Claude Vandamme ! Je peux entrer ? Je vais vous expliquer le sens de ma visite…

Évidemment, aucun doute là-dessus, il a déjà aperçu les posters de « Karaté magazine » épinglés sur le mur d’en face. Et peut-être même aussi mon joli mug en porcelaine avec sa tronche drôlement bien impressionnée en sérigraphie, et qu’est posé sur la table de la cuisine.

— Prenez donc un tabouret, et ne faites pas trop attention à la déco… !

J’ai sûrement l’air con. Très con…

— Merci ! J’ai apporté des croissants… je peux en donner la moitié d’un à vot’ chien ?!

— Bien sûr, faites donc…

Son regard ultra perçant vient de se poser sur les dizaines de paires de charentaises qui s’accumulent dans un coin de la pièce. Mince, j’aurai du les planquer un peu mieux ces pompes de vieux que je pique en douce au turbin, et qu’ensuite j’essaye de fourguer à la sauvette, histoire de me faire quelques ronds.

— Vous inquiétez pas…

— Hein… ?

— Pour les chaussons en laine ! Je viens pas du tout pour ça… je viens pour votre chien… Jean-Claude !

Jean-Claude (le chien), il a déjà tout avalé du demi croissant au beurre que lui a refilé l’autre (le vrai). Et le voilà maintenant qui en réclame encore, en remuant la queue.

— … Mon chien ?! Vous connaissez mon chien… ?!

— Pas personnellement, mais disons qu’on m’en a beaucoup parlé… des amis à moi de Losse Angelesse. Vous ne le savez peut-être pas, Kevin, mais votre chien est devenu une sacrée vedette chez nous !

— …Ah bon… ? J’savais pas !

— Ben, quand même ! C’est bien lui qui a retrouvé la petite américaine qui s’était perdue dans le bois de Boulogne, la semaine dernière ?!

— Ah, ouais… la petite… la petite qui s’était perdue… c’est vrai, j’y pensai déjà plus à cette petite-là ! Vous voulez peut-être un café avec vos croissants… ?

L’histoire de cette petiote du bois de Boulogne n’est pas très compliquée à raconter.

Cela s’est passé une après-midi. Une après-midi que je me baladais avec Jean-Claude, dans les allées du bois. J’aime bien aller traîner par là-bas, car d’un coté ce n’est pas très loin d’ici, et puis surtout, j’ai toujours aimé les grands arbres, et toute la verdure en général, cela m’aère la tête de respirer un peu de chlorophylle, et d’entendre les petits oiseaux chanter, et quelques fois, il y a même des écureuils aussi qu’on peut voir si on a de la chance. Et puis, pour le chien, c’est très bon aussi. De temps en temps, je le lâche un peu et il coure après les travelos du bois ; ça le défoule et lui fait un bon entraînement, à mon Jean-Claude. Juste un brin dommage qu’il ne sache pas grimper aux arbres, lui… comme le font si bien les écureuils…

Pour en revenir à ce jour-là donc, voilà pas qu’on tombe, tous les deux, sur un attroupement. Et pour une fois, ce n’était pas un pauvre type qui s’était fait piqué dans le lard par une michetonneuse pour une raison ou pour une autre, que, ceci dit en passant, le plus souvent on devine très bien pourquoi l’embrouille est arrivée, non, là, c’était des touristes américains qui ameutaient la forêt entière parce qu’ils avaient perdu leur gamine de sept-huit ans qui avait échappé à leur vigilance. La mère pleurait comme une grosse madeleine de Proust, et le père n’était pas beaucoup mieux à regarder. Et alors, c’est là que mon Jean-Claude il a fait très fort…

Perdant pas le nord, je lui fais renifler sur le champ un mouchoir que la petite s’était bien essuyé les mains et la bouche dedans, après avoir mangé une gaufre à la chantilly. Et le voici parti à fond de train dans la direction de l’hippodrome de Longchamp. La crème chantilly, faut pas trop lui en promettre à mon Jean-Claude, un gueulard de première ce clébard, alors cinq minutes plus tard il me l’avait déjà retrouvée la jeune fugueuse. Elle se tenait là, bien tranquillou, à coté d’un individu en pardessus gris avec des bonbecks plein les fouilles, et une braguette grande ouverte. Enfin bref, je suppose que ce n’est pas la peine de vous faire un joli dessin au fusain pour vous expliquer le topo.

Je me suis occupé de la gamine, et Jean-Claude du type en pardessus gris, qui était, comme qui dirait, une véritable aubaine tombée du ciel pour son entraînement quotidien. Y’avait vraiment pas mieux comme situation, surtout que des caramels à mon Jean-Claude, c’est comme la crème chantilly, faut pas trop lui en promettre non plus… !

Les Amerlocks étaient tout heureux d’avoir retrouvé leur chère progéniture saine et sauve. Congratulations, comme ils disent là-bas, un selfie avec le chien et la petite pour leur faire plaisir, et puis on a échangé nos adresses postales respectives, et ils m’ont dit que je serai toujours le bienvenu, you are welcome !, chez eux aux States, si par hasard l’envie me prenait un jour de venir leur rendre visite. Voilà ! C’est tout ! Ensuite, on s’est rentré paisiblement chez nous, avec mon Jean-Claude, et l’histoire de la gamine s’arrête là. Ouais, pas plus à raconter.

Le café bien chaud je lui verse dans mon mug à JCVD. Et ça me fait bizarre quand même de le voir boire là-dedans. Et puis ensuite, j’attends qu’il me cause maintenant, surtout que je n’ai pas tellement grand-chose à lui dire moi de mon côté. Faut voir que je suis encore sous le choc et pas mal impressionné par cette visite inattendue.

— Bon… je ne vais pas y aller par quatre chemins, Môsieur Zoumbill… votre chien… je serai prêt à vous le racheter !

— … Jean-Claude ?! Vous voulez m’acheter Jean-Claude… ?! Mince alors, je parie que c’est pour le faire tourner dans l’un de vos films ?!

— Un film ? Mais non ! Pas du tout môsieur Zoumbill… pas du tout ! Vous savez, moi j’aime les bêtes, toutes les bêtes ! Parce que les bêtes comme votre chien, elles sont souvent beaucoup plus aware que nous autres, les êtres humains ! Vous comprenez ça, môsieur Zoumbill… ?

Évidemment, vous vous doutez bien que les citations célèbres à JCVD, je les connais presque toutes par cœur. Je les ai même notées sur un petit carnet à spirale que je m’étais acheté à la F’naque, là où je bossai avant l’entrepôt de charentaises. Et avant que ces cons ne me virent sans indemnités que soit-disant ils m’auraient vu piquer des trucs dans les rayons…

— Euwèrre… ? Euwèrre ! Mais bien sûr que ça me parle euwèrre ! «Tu regardes à l’intérieur de toi et tu deviens euwèrre of your propre body !» c’est bien de vous ça, hein… ?!

JCVD me regarde. Fixement. Puis, détourne la tête, et scrute attentivement maintenant les posters sur le mur… tous… un par un… et toujours sans dire un mot… Doit réfléchir à fond dans sa tête, je le sens bien.

— Bon… des conneries, c’est vrai que j’en ai dit pas mal, Môsieur Zoumbill ! Mais, maintenant c’est fini tout ça ! Maintenant, il n’y a plus qu’une seule chose qui m’intéresse… la réincarnation !

— La réincarnation… ?!

— Oui… c’est exactement ça, la réincarnation ! Et voyez-vous, Kevin, il y a de très fortes probabilités qui me laisseraient à penser que je me sois réincarné dans votre chien… !

— … Mon chien… ? Mon Jean-Claude à moi ?!

— Oui… ce Jean-Claude-là !

J’observe Jean-Claude (le dog), qui réclame toujours un autre bout de croissant en remuant la queue. Je sais que tant qu’il y en aura, il ne lâchera pas le morceau, mon pépère…

— Mais… attendez un peu… pour se réincarner dans quelque chose… faut-il pas mieux être mort avant… ?!

— Si, en théorie, mais cela est tout de même toujours possible avant dans des cas bien particuliers, je me suis renseigné pour ça… et puis regardez bien… si vous l’avez appelé Jean-Claude, ce chien, c’est tout de même un signe qui ne trompe pas, non ?!

Maintenant, je les zieute alternativement, Jean-Claude, le karatéka belge, d’un côté et Jean-Claude, le berger belge, de l’autre, et bien sûr je ne vous cache pas que j’ai comme un doute ! Mais, je sais aussi qu’il a toujours réponse à tout JCVD, c’est un peu dans sa nature d’avoir réponse à tout, alors…

— Ah… c’est vrai que maintenant que vous m’le faites remarquer …

— Quoi… ?!

— Des fois, il est drôlement bizarre, ce clébard ! Il me regarde comme s’il avait envie de me parler pour de vrai !

— Ah, vous voyez, quand je vous le dis !

— Mais, du coup alors, pour ma tante Jeannine…

— Qui ça… ?

— Ma tatie Jeannine… p’tête que ça pourrait bien être ça aussi ?! Ouais, la réincarnation… pourquoi pas, maintenant que j’y pense…

— …Quoi ?! Quoi donc ?

— Ben, elle a du poil aux pattes qu’y lui a poussé comme ça d’un peu partout, et puis des fois, la nuit, elle se met à hurler à tue-tête… comme… comme un loup-garou ! Tiens, là, rien que d’y penser, ça me fout des frissons !

— …Ouais… cela vaudrait effectivement le coup d’observer le phénomène de plus près !

— Bon… et pour voir un peu… combien que vous me l’achèteriez, mon Jean-Claude… ?!

À JCVD, qui est reparti finalement avec Jean-Claude (le chien incarné), j’ai réussi à lui refourguer aussi une jolie paire de mes tatanes à rayures bien fourrées. Ça tombait bien, j’avais sa pointure en stock. Du quarante-deux et demi…

À vos larmes, citoyens !

Deuxième tour de piste.

Et qu’on nous tonde gratis, les p’tits moutons, les artistes.

Les p’tits moutons, les artistes.

Allez, envoyez la zique !

Tsoin, tsoin, à vos larmes citoyens !

Et qu’un sang impur noie tous nos espoirs…

Jour de Télématon

Et des belles promesses de gnons.

Rentre vite dans tes pénates

Camarade, ma caméra te mate !

Ma caméra te mate et la police fait ses listes.

Pour qui ces ignobles entraves ?

Roulements de tambours…

Tsoin, tsoin, et badaboum !

Entendez-vous, mes jolies belettes ?

Entendez-vous l’intramuscu qui vous guette ?

Quoi ? Il est pas frais mon vaccin ?!

Allez crache, crache donc ton venin

Médecin, mon gentil médecin…

Tsoin, tsoin, et dans le cul la balayette !

Dans le cul d’vos fils, d’vos compagnes !

Au troisième tour de piste…

On crèvera tous !

Morts, la gueule ouverte.

Grand’ouverte.

Et ces féroces soldats danseront sur nos corps…

Tsoin, tsoin…

Et puis tsoin, tsoin, encore… et encore…

Congelé en Tinée*

Fin mars.

Fiu… ! (Interjection Polynésienne signifiant littéralement : «En avoir plein les tongues, plein les bretelles de pareo, ras le pandanus, ras la demi noix de coco…).

Hé, ben, voilà… le confinement aura eu ma peau ! Plus que marre cette fois d’être pris en otage entre quatre murs, plus que marre de devoir remplir un papelard pour aller simplement acheter des clopes ou bien vider mes poubelles, plus que marre d’être pris pour un gamin de trois ans, plus que marre d’être un pigeon confiné ! Moi avoir besoin d’espace, de fraicheur, de vert, de petits oiseaux qui gazouillent, de mousse sur les arbres et peut-être même de cohortes de limaçons en rut, coquins encoquillés, qui se courent après toute la journée ! En résumé : Moi avoir soif de Nature ! La Nature, la vraie, la noble dame Nature dans toute sa splendeur vivifiante, dans toute sa bienfaisante miséricorde, sa bonté libératrice, et puis surtout, oh, oui, surtout, dans toute sa force inspiratrice… Ô, Nature je t’aime, Nature je t’adore, Nature je te veux… !

Alors, je pars ! Oui, vous avez bien entendu, je pars pour de bon. L’écrivain quitte Paris, l’écrivain bazarde tout, l’écrivain va vendre son trois-pièces cuisine, rue de Varize dans le XVI ème, et puis filera dare-dare se mettre au vert gazon !

Début mai.

L’annonce de mon départ a vite fait le tour des popotes, alors un soir, ils débarquent tous chez moi, mes jolies petites gueules mondaines enfarinées de Parigots, yeux tristes, la larme suspendue aux paupières. « Alors, c’est donc vrai ce qu’on raconte ? Tu veux vraiment nous quitter, mon Nénesse… ?!».

Baffie pleure, Nicolas (Bedos) menace de s’ouvrir les veines, Zemmour et Naulleau se roulent de concert sur mon tapis persan, Josiane (Balasko) crise et ouvre une fenêtre… puis la referme aussitôt… Simon (Liberati) sage comme une image écoute religieusement Frédéric (Miterrand) nous lire à haute voix les « Mémoires d’outre-tombe » de Chateaubriand (François-René)… Je suis à deux doigts de craquer et de jeter l’éponge lorsque fort heureusement mon dealer ( Jojo la came) débarque lui aussi, les poches pleines de poudre de perlimpinpin, et remet rapidement tout ce beau monde sur les bons rails. Ouf ! Sauvé !

Mi-mai. (Fait donc ce qu’il te plaît, plaît, plaît…).

À l’agence, un clone très mal imité de Stéphane Plazza m’affirme que c’est vraiment le bon moment pour vendre. Mais avec les agents immobiliers, c’est toujours le bon moment, et surtout pour qu’ils s’en foutent plein les poches. Et puis, un million et demi d’euros pour un quatre-vingt mètres carrés en parfait état et à seulement deux pas du bois de Boulogne, c’est donné. Deux semaines plus tard, un acheteur libanais nous signe un compromis de vente avec un important dessous de table. Pas trop regardant sur l’origine des fonds, je prépare mes cartons. Youpi, tralala… !

Il ne me reste plus maintenant qu’à trouver quelque chose de convenable en Province. Les visites virtuelles s’enchaînent sur le web, mais à ma grande surprise, cela est bien plus difficile qu’il n’y paraît… les rats quitteraient-ils tous le navire… ? Et voilà donc qu’aujourd’hui on se précipiterait en masse au portillon de la belle vie chlorophyllée… ?! Faut croire…

Dans mes recherches je me détourne du Lubéron et des Alpilles. Trop connu, trop couru. Je ne tiens pas à tomber sur un Bigard ou un Bernard-Henri en faisant mes courses au LIDL de Saint Rémy de Provence… La poignée de main qui colle, très peu pour moi ! Aussi, je m’oriente plus à l’Est… les hauteurs de l’arrière-pays niçois seraient l’idéal… et je trouve enfin la perle rare ! Trouvé ! Trouvé mon petit nid douillet en moyenne montagne ! Un magnifique chalet en bois de mélèze, et tout autour plus ou moins deux hectares de terrain avec une jolie rivière qui coule dessus. Un véritable paradis sur terre ! Je trépigne d’impatience. J’ai des fourmis plein les pattes. Je sens que là-bas je vais enfin l’écrire mon chef-d’œuvre ! Chez Pozzi, je fourgue ma Maserati contre un Range-Rover, mieux adapté au milieu rural, et dans la foulée, m’achète une paire de bottes en caoutchouc. Gentleman-farmer, je deviens…

Mi-septembre.

Les gros bras des « Déménageurs Bretons » et leur camion chargé ras les ridelles sont bloqués plus bas. À deux kilomètres. «Désolé, mais là, après… ça passe pas, m’sieur Salgrenn !». Déchargement de mes affaires en vrac sur le bas-côté. Je vais devoir me coltiner tout ça en plusieurs voyages dans le coffre du Range-Rover. Minimum trois jours de galère en perspective. Ça commence plutôt mal…

Un voisin passe me voir. Tout en camouflage fluo, le fusil sur l’épaule, et des chiens bourrés de tiques qui pissent sur mes meubles encore emballés. Heureux de voir quelqu’un, je ne fais pas trop le dégoûté. On boit un canon pour fêter ça. Ici, c’est le pastagas, un jaune et rien d’autre ! Tandis qu’il écluse, j’en profite pour apprendre plein de choses intéressantes grâce à lui : «Faut pas vous inquiétez pour la flotte qu’arrive plus au robinet, c’est une conduite forcée qu’a pétée du côté de Saint-Sauveur, mais y vont nous réparer ça rapidement, les gars… !». Je ne sais pas du tout où se situe Saint-Sauveur mais je ne m’inquiète pas. Enfin, pas plus que cela pour le moment… En partant, il me parle aussi du type avant moi, qui s’est pendu dans la cave l’hiver dernier… ben, non, j’savais pas… !

Fin septembre.

Premières neiges. Premières coupures de jus aussi, à cause des rafales de vent (La Chougne du Nord qu’ils le nomment par ici) dans les cables aériens qui pètent les uns après les autres. Mais cela coûterait bien trop cher d’enterrer, alors. L’eau de pluie, dans mon bidon de récup, gêle la nuit. Et le jour aussi. C’est con parce qu’ils n’ont toujours pas réparé la conduite (les gars)… Je chauffe au bois. Mais la cheminée fume un peu. Un peu beaucoup. «Problème de tirage» d’après le voisin camouflé qui est revenu me voir. «Z’avez ramoné… ?» qu’a-t-il complété en toussant gras et sirotant son troisième pastis bien tassé. Avantage non négligeable toutefois, les glaçons sont gratos. C’est déjà ça.

Mi-octobre.

L’hiver est en avance par ici. C’est une évidence. L’eau est enfin revenu au robinet. Mais bien marronasse… Pour le courant électrique, c’est toujours de l’alternatif, un jour oui, un jour sans. Mais finalement, j’ai l’impression que l’on s’habitue à tout à la longue. Hier, à la supérette du village, ils m’ont conseillé gentiment de faire des provisions, on ne sait jamais… Je bourre donc le Range de boites de conserve qui me coûtent aussi cher que chez Fauchon. «À cause, m’sieur, le coût exorbitant des transports…» m’expose-t-on avec une certaine mélancolie dans la voix. On parle aussi du deuxième reconfinement, avec le « R zéro » qui progresse… étonnant comme tous ces braves gens de la campagne sont très vite devenus des experts en virologie ! Je n’ai pas vraiment d’avis sur la question, ma télé Sony (HD et 4K) ne fonctionnant plus depuis cet orage terrible d’il y a quinze jours. J’abrège la conversation, je paye la douloureuse, et retour au bercail juste avant que la nuit et la neige ne tombe d’un coup…

Novembre.

Merde, comme c’est triste Novembre ! Je n’avais pas remarqué jusqu’ici, mais Novembre est un mois particulièrement tristounet… Plus d’eau encore, mais cette fois-ci, c’est mon compteur qui a gelé et rendu l’âme… «Z’aurez du bien l’emballer dans de la laine de verre… !» dixit mon pochetron de voisin. L’aurait pu le dire avant. Le téléphone ne passe plus. Enfin, en vérité, il n’a jamais bien passé depuis que je suis là ! La neige s’accumule dehors. Et le froid s’accentue. Quand je sors (de plus en plus rarement), j’enfile trois paires de chaussettes dans mes bottes en caoutchouc. Et deux à l’intérieur dans mes pantoufles de vieux. Aujourd’hui, je viens de me rendre compte avec stupéfaction que je n’avais pas écrit une seule ligne depuis mon arrivée ici…

Décembre.

Et bientôt la magie de Noël, mais il me semble que le mois de Décembre est peut-être encore plus triste que celui de Novembre. Le soleil (lorsqu’il y en a un peu) se cache tôt derrière la montagne, vers quinze heures, et on n’y voit plus rien ensuite. Pourtant, je n’allume une bougie que seulement une ou deux heures plus tard. Par mesure d’économie car il ne m’en reste plus beaucoup en stock. Le voisin est revenu me voir hier matin. Il a des raquettes exprès pour marcher dans la neige, lui. N’est pas resté bien longtemps (je n’ai plus de pastis) mais il m’a laissé un fusil. Tout le monde a un fusil ici. C’est mieux, qu’il dit. C’est bien mieux pour votre sécurité… «On ne sait jamais, avec tous ces migrants qui passent la frontière italienne en douce, vaut mieux s’méfier, mon vieux… !»

Soir de Noël.

C’est pas la première tempête que je subis ici, mais celle-ci est gratinée, vous pouvez me croire ! Dans la cheminée, je brûle tous mes bouquins un par un. Je n’ai plus que ça, ma réserve de bois est épuisée, j’aurai pas cru que vingt stères passeraient aussi vite. Je m’ouvre une boite de cassoulet William Saurin que je bouffe emmitouflé dans un plaid écossais. Putain, ça caille sec ! Et dehors, ça souffle si fort que je me demande si le toit va tenir le coup… C’est ainsi, et alors que je racle consciencieusement avec mes doigts engourdis le fond de la boite, que j’entends frapper à la porte… Je chope le fusil du voisin (que je laisse maintenant toujours à portée de main)… j’attends personne… non, c’est sûr, que je n’attends personne… ! Derrière la turne en bois, ça gueule, ça gueule des mots que je ne comprends pas… du patois peut-être… ? Non ! Du petit nègre plutôt… ! Merde… je tire dans le tas… sans sommation… Pum, pum !

Le vingt-cinq décembre, au matin.

La Josiane (Balasko) n’a pas vraiment apprécié de se faire canarder comme ça (comme un lapin), juste après s’être tapé plus de deux heures de marche dans la poudreuse. Heureusement que les plombs n’étaient pas très très gros (du calibre douze seulement) et que sa doudoune en plumes a amorti un peu aussi. Ce qui est plus moche, c’est qu’elle n’a pas très bon caractère au départ, et que cela risque bien de ne pas s’arranger si elle se chope en plus du saturnisme…

Une surprise ! Une petite surprise qu’ils voulaient me faire pour Noël, les cons… ! Et c’est à douze qu’ils ont débarqués dans mon royaume, et même Jojo la came a fait le voyage ! Ah, ce qu’on a pu rire après coup de ma méprise ! Et bon sang de bon soir, comme j’avais oublié que cela pouvait faire autant de bien de rire et de picoler avec de bons copains !

Fin Janvier.

Aujourd’hui, ils sont toujours là. Treize à table tous les jours ! N’ont pas eu le temps de repartir avant le déclenchement du troisième confinement, alors voilà… ils sont restés ici !

Et moi, de mon côté, j’ai recommencé à écrire…

Alors… elle est pas belle la vie à la campagne ?!

*Tentative de contrepéterie avortée.

Dossiers Froids.

Aujourd’hui, coup de pub… Vous aimez les polars ? Vous aimez les ambiances un peu glauques ? Vous aimez le suspens ? Vous aimez les gendarmes ? Vous aimez lire ? Alors j’ai ce qu’il vous faut : « Dossiers Froids » le dernier roman de l’émérite Patrick Fouillard (un ami à moi) !

C’est breton et c’est bon ! La plume est alerte, l’œil vif, la syntaxe accrocheuse, le retour à la ligne judicieux, le format idéal (10,8 x 17,8 cm), le papier glacé de grande qualité, et bien entendu : c’est broché sans couture ! Un vrai régal, quoi ! Alors, n’hésitez plus… commandez (dans toutes les bonnes librairies et tous les méga-sites de vente par internet qui leur piquent leur boulot) ! Commandez, que je vous dis ! Et en plus, c’est pas cher du tout : 9,90 euros.

Voilà, c’est tout pour aujourd’hui. Bonne journée à tous.

Dossiers Froids. Patrick Fouillard. Éditions Ouest-France.

«Le gendarme Isidore Lune, désormais à la retraite, espère pouvoir utiliser son temps libre pour exhumer des affaires classées mais non-élucidées et se pencher sur celles-ci avec un regard différent. Trois affaires notamment. Celles qui l’empêchent de dormir depuis trop longtemps… Celles des trois fillettes. Trois affaires qui pourraient bien n’en faire qu’une ! Toutefois, il n’est jamais aisé de remuer le passé d’une petite ville de province comme Ploutrécat. Les habitants se méfient de l’autorité en général, et des gendarmes en particulier, même s’ils sont retraités.
Isidore Lune aura-t-il le courage d’aller au bout de ses investigations ? Ne risque-t-il pas de regretter sa persévérance ?»

  • Une histoire bien menée avec un personnage principal attachant et de l’humour dans une ambiance typique d’un village du centre Bretagne.
  • Déjà coup de coeur de plusieurs lecteurs professionnels et amateurs parmi un choix de 100 romans. Source : Éditions Ouest-France.