Affûtage de chaînes.

Achtung ! Avertissement de l’auteur : ceci n’est pas une fiction ! Aussi, citoyens responsables, écologistes de tous poils, ou bien simples amoureux de la Nature, passez vite votre chemin ! Vous ne supporteriez pas ce qui suit.


Voilà, c’est fait ! Libéré ! Délivré ! Mais il est évident que cela devait sortir un jour… je ne tenais plus ! Ce matin encore, l’œil noir de ma conscience, terrible, me fixait du fond de mon bol de céréales. Alors, je me suis dénoncé et j’ai avoué avoir commis, non pas un, mais bien plusieurs dizaines de délits, tous passibles d’importantes amendes ou bien de lourdes peines de prison*…
— Allo ? La L.P.O ? Le W.W.F ? Nature et Découverte ? Les Amis de la Terre ? Greenpeace ? Agir pour l’Environnement ? Naturama ? Be Love be happy ? Avenir Forêt ? Vivre nu et heureux dans le foin ? Maison de la Nature de Boult-aux-bois ? Nicolas Hulot en short ? (Bon, j’abrège, la liste des associations et des O.N.G étant beaucoup trop longue à énumérer)… c’est moi… Ernest, le serial killer fou des Alpes du Sud !
Et puis, j’ai tout déballé, décrivant dans le détail toutes ces ignobles atrocités perpétrées ces derniers jours (aux températures douces et annonciatrices enfin du Printemps), donnant à ces braves gens par la même occasion un nom, le mien, qu’il serait dorénavant aisé pour eux d’associer à ce que l’on pouvait bien appeler la plus grande destruction volontaire, organisée, méthodique et massive de la Nature de cette dernière décennie… !


J’ai commencé par les arbres…

Centenaires, ou pas, et d’espèces parfois rares par ici : noisetiers, châtaigniers, chênes verts, chênes pubescents, chênes blancs, chênes noirs, arbousiers, faux pistachiers, sorbiers des oiseleurs, amandiers, érables de Montpellier, azéroliers, hêtres, muriers noirs, néfliers, et sans oublier la famille des pins : pins parasol, pins blancs, pins noirs d’Autriche, pins d’Alep, ni bien sûr les très beaux cades et autres génevriers thurifères géants (parfois plus de 5 mètres de haut pour un âge plus que canonique !). Ce n’était pourtant qu’un début, car vînt ensuite le tour des arbustes et autres plantes basses, et comme à tout seigneur tout honneur, je citais en premier lieu la Gesse de Vénétie (Lathyrus venetus), une fabacée découverte récemment en France continentale et connue aujourd’hui des seuls pourtours de la montagne de Lure, où elle occupe les chênaies fraîches et hêtraies, rectifiant tout de suite : «Pardon… excusez donc mon erreur ! je voulais bien entendu dire : OCCUPAIT… !» Il y avait aussi très certainement (mais j’avoue ne pas savoir toutes les reconnaître) d’autres espéces présentes sur mon terrain et protégées au niveau national dont l’Euphorbe à feuilles de graminée (Euphorbia graminifolia), le Scandix étoilé (Scandix stellata), rarissime ombellifère, protégée au niveau national et à aire de répartition circum méditerranéenne et iranotouranienne très morcelée, le Panicaut blanc des Alpes (Eryngium spinalba), ombellifère épineuse des éboulis thermophiles et des pelouses sèches endémique des Alpes sud occidentales, l’Orchis de Spitzel (Orchis spitzelii), la Tulipe de l’Écluse (Tulipaclusiana), non revue par les botanistes depuis 1920 mais pourtant bien présente sur ma propriété (voir pour ceci plus loin dans le texte, SVP), l’Ancolie de Bertoloni (Aquilegia reuteri), superbe renonculacée endémique des Alpes du Sud-Ouest, la Pivoine officinale (Paeonia officinalissubsp.huthii), plante spectaculaire des bois clairs et pour conclure, la rarissime Aspérule de Turin (Asperula taurina), caractéristique des hêtraies méridionales que je pulvérisa allègrement, comme les autres, au débroussailleur (Husqvarna-4 temps).
Puis, ce fût le tour des oiseaux…

Là aussi, la liste est assez longue, aussi je pris le parti de ne leur annoncer que les espèces protégées dont j’étais à peu près certain d’avoir, soit détruit l’habitat, soit (encore mieux) les petits de l’année toujours au nid en cette saison : grand duc d’Europe (Bubo bubo), chouette de Tengmalm (Aegolius funereus), huppe fasciée (Upupa epops), guêpier d’Europe (Merops apiaster), pic noir, et le vert, et surtout, ma plus grande fierté peut-être, ce grand nid de Circaètes Jean-le-blanc (Circaetus gallicus) perché à la cime d’un pin de plus de vingt-cinq mètres (abattu sans sommation lui aussi (Husvarna-4 temps)), et qui contenait deux jolis oisillons, bien mal en point après leur chute, que, bonne âme, j’achevai au sol à grands coups de talonnettes ferrées…
Restait encore à leur causer des mammifères.

Et puis aussi des reptiles.

Et puis encore des amphibiens…

Par choix délibéré, je débutai par les chauves-souris et notamment l’Oreillard montagnard (Plecotus macrobullaris) en pleine période de reproduction, comme ses cousins : le Petit Rhinolophe (Rhinolophus hipposideros), le Molosse de Cestoni (Tadarida teniotis), espèce remarquable de haut vol, la Noctule commune (Nyctalus noctula) espèce arboricole, chassant en hauteur et dans des zones dégagées (très rare en Provence) dont j’ai détruit avec soin, là encore, toutes les cachettes nidatoires. J’évoquai ensuite ( mais le plus souvent brièvement, ressentant déjà la plupart du temps une lassitude, bien compréhensive, de la part de mes interlocuteurs) les autres petits mammifères arboricoles présents sur mon terrain et que j’avais chassé eux aussi sans ménagement, comme le loir gris (Glis glis), l’écureuils gris ou roux (Sciurus vulgaris alpinus) et la martre des pins (Martes martes). Pour les reptiles et amphibiens exterminés tout aussi consciencieusement (à noter ici l’efficacité du brûlage intensif pour cela), les vedettes incontestées fûrent cette fois, la prestigieuse Vipère d’Orsini (Vipera ursinii), reptile d’affinité orientale aujourd’hui rare, très localisé, en régression et menacé purement et simplement d’extinction en France, ainsi que le Lézard ocellé (Timon lepidus) qui suit malheureusement le même chemin. De peu suivirent les tritons, les salamandres et les crapauds (beurk…!).
Je n’oubliai pas évidemment les insectes et les papillons.

Toutefois, je compris que la coupe était pleine. Inutile d’insister plus, et de citer peut-être l’Osmoderme ermiteou, le Pique prune (Osmoderma eremita), espèce de Cétoniidés (cétoines), rare et en régression, inféodée aux grosses cavités pleines d’humus dans les vieux arbres, le Clyte à antenne rousse (Chlorophorus ruficornis), coléoptère longicorne (Cerambycidés) déterminant, endémique floricole et forestier dont la larve se développe dans les branches mortes des chênes, la Rosalie des Alpes (Rosalia alpina), longicorne principalement inféodé aux vieux hêtres, le staphylin (Bryaxis lurensis), espèce endémique de la montagne de Lure vivant parmi les débris végétaux sous les pierres, dont l’existence fût découverte seulement en 2001 (laissant présager que d’autres espèces ne fussent pas encore découvertes à ce jour… mais, ça, franchement, ce n’est plus mon problème !).


Là, vous vous dites, toutes et tous : «Hé, ben, notre Ernest, on est pas prêt de le revoir de sitôt !». Mais détrompez-vous, je ne suis pas sot ! Et si je me suis dénoncé de mon propre gré pour avoir commis ces horribles crimes contre mère Nature, c’est parce que je sais que je ne risque absolument rien ! Oui, vous avez bien lu : rien, nada, que ‘t’chi ! Mieux que ça même, j’ai eu droit aux compliments de L’O.N.F !


Ils sont passés, pas plus tard qu’hier, dans mon quartier. Pour contrôler…
— Bravo, monsieur Salgrenn, vous avez fait du bon boulot ! ont-ils dit très contents, rajoutant cependant, vous êtes sur la bonne voie, continuez comme ça !
Il est vrai qu’il reste encore à l’hectare deux ou trois arbres, dans la pleine force de l’âge, à abattre, et que j’ai conservé (grossière erreur de ma part !) histoire de ne pas perdre la main trop vite…
Puis, ils sont repartis dans leur jolie kangoo jaune vif sur les portières de laquelle on peut lire : «Vite ! Abattons nos forêts avant qu’elles ne brûlent !». La dame à galons dorés (ils étaient deux, un homme et une femme, un couple donc, comme les bengalis d’Australie (Amandava amandava) mais en beaucoup moins colorés) est repartie avec un magnifique bouquet d’orchidées et de tulipes sauvages (Tulipa sylvestris subsp. sylvestris) que j’ai coupé moi-même à son intention. Par courtoisie.
Alors, en effet, je ne risque rien. J’ai simplement suivi les instructions à la lettre. Les instructions de la directive sur le « débroussaillement » des parcelles en zone naturelles (et également classée en réserve « Natura 2000 », ici). C’est monsieur le préfet qui me l’a ordonné, et puis ce bon monsieur le maire.
«Protégeons nos maisons du feu, qu’ils nous disent à l’envie… » !
Aussi, bon citoyen, c’est ce que j’ai fait !
Alors, mes amis ? Elle est pas belle la vie dans nos déserts ?!

Auteur : Ernest Salgrenn. Avril 2021. Tous droits réservés texte et photographie).

  • * Dans notre pays, la destruction d’une espèce protégée est un délit puni par l’article L 415-3 du code de l’Environnement, sanctionné d’une peine de 2 ans de prison et/ou d’une amende pouvant atteindre 150 000 euros. Par ailleurs, en cas de destruction « en bande organisée » (Voisins-Voisines, par exemple !), la sanction peut aller jusqu’à 7 ans d’emprisonnement et 750 000 € d’amende ! Qu’on se le dise… !

Remerciements de l’auteur (Ernest Salgrenn) au Ministère de l’environnement, de l’énergie, et de la mer (les descriptions de la flore et de la faune sont très largement empruntées à la fiche : « ZNIEFF 930012706 – (Massif de la Montagne de Lure)) ».

Rédacteur de la fiche : Jean-Charles VILLARET, Jérémie VAN ES, Luc GARRAUD, Stéphane BELTRA, Emilie RATAJCZAK, Stéphane BENCE, Audrey PICHARD, Cédric ROY, Géraldine KAPFER.

10 Replies to “Affûtage de chaînes.”

  1. Texte magnifique avec des manifestations lacrymales chez moi.
    Rien à ajouter. Rien à redire. Seulement pleurer face à l’incommensurable crétinisme de l’administration française (mais pas que…)
    Salut Ernest et les autres signataires de ce pamphlet.
    Vivement un vaccin contre les abrutis qui vous gouvernent. Je précise que de pouvoir dire « vous » gouvernent n’est qu’un baume illusoire relatif à ma condition de ‘non français’, ce qui finalement ne change pas grand chose en comparaison avec les pays qui m’ont vu naître et qui m’hébergent…

    Bien amicalement à toi!

    Aimé par 4 personnes

    1. Salut mon ami ! Tu l’auras compris, c’est un cri du cœur ! Moi aussi, je souffre. Évidemment, j’ai grossi volontairement le trait, mais l’intention est d’alerter mes concitoyens sur le problème. On nous demande de massacrer des zones classées « Naturelles » (je recherche toujours la vraie définition de ce terme du coup !) au seul argument que nos maisons ne doivent pas prendre feu (ce que je peux comprendre n’étant pas complètement con !). Le véritable problème vient surtout du fait qu’on a autorisé la construction de maisons dans des zones boisées il y a une trentaine d’années de cela, puis il y a dix ans, ON (qui rime avec…) a décidé (Obligation aux communes de le faire) de modifier les PLU et de classer au minimum 30% de leurs territoires en zones « Naturelles » (appelées à tort parfois : Zones vertes). Ensuite, c’est l’escalade… ou plutôt l’avalanche de textes de lois à la c.. (qui rime avec On). Mais, c’est vrai que pour ça nous sommes les champions du Monde en France ! Ceci dit, ils auraient aussi bien pu décider de faire raser les maisons concernées ! D’ailleurs je ne devrais pas le dire, cela pourrait leur donner des idées ! Ce qui me révolte le plus, c’est le manque de courage des associations écologiques… La LPO (ligue protectrice des oiseaux) par exemple, approuve ce débroussaillement systématique (c’est écrit en toutes lettres sur leur site) ! Ils n’hésitent pas pourtant à remuer ciel et terre parce qu’on va débroussailler 50 m2 autour d’une éolienne mais lorsqu’il s’agit de milliers d’hectares (pas chez moi bien sûr, mais en tout !) là : que dalle ! Franchement, je ne comprends pas…

      Aimé par 3 personnes

      1. Parce que les constructeurs éoliens payent la LPO pour ramasser les cadavres de tous les volants qui se prennent les pales….. Les éoliennes ne servent à rien, sont meurtrières, polluantes et ne fournissent pas l’électricité. Il faudrait reconstruire les usines à charbon.
        Bref, alors que ceux qui ont tenté l’aventure avant la France cherchent d’autres solutions, nous sommes encore en retard. Mais c’est surtout financier. J’ai participé à des études environnementales. Détruire une forêt pour mettre des éoliennes, c’est la porte ouverte à de nombreux problèmes, zoonoses en tête (confinement à perpétuité)

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      1. J’essaie de prendre ça avec humour. Je travaille en traction animale pour restaurer la biodiversité sur environ 5 hectares. Notre association a en charge des ENS et tout est contradictoire.
        Effectivement les zones de débroussaillage….bon, pour ça j’ai quand même réussi à faire admettre le fauchage raisonnable mais du coup j’ai ça aussi à faire parce que les gros engins ne font pas dans le détail…… Donc pour les arbres, je travaille avec une autre association qui connait bien les petites bêtes de la rivière et qui soutient la démarche. Personnellement je suis Dr en éthologie et je travaille surtout sur les herbivores (population, habitats, nourriture) ce qui me donne un petit droit de parole (mais pas trop).
        Il m’a fallut beaucoup de temps et il y a encore beaucoup à faire.
        Par contre la LPO du secteur est totalement vendue. Ils soutiennent ceux qui paient donc tant pis pour les oiseaux….
        J’ai obtenu des panneaux de signalisation pour les chevaux seulement en début d’année (oui, le cheval reste un véhicule…).
        Allez, courage.

        Aimé par 2 personnes

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