« Il faut que tout change, pour que rien ne change« , célèbre formule de l’écrivain Giuseppe Tomasi di Lampedusa qu’on trouve dans son unique œuvre « Le Guépard ». De guépards, de véritables, et non pas ce vieil aristocrate sur le déclin, le prince Fabrizio, héros du flamboyant roman, j’eu la chance incroyable d’en rencontrer toute une bande. Trois, plus exactement. Et encore bien plus extraordinaire… nous avons chassé ensemble… !
Bien entendu, je ne cours pas aussi vite qu’un guépard, loin de là, mais pour compenser je disposais alors d’une carabine de gros calibre !
Certes, j’en conviens avec vous, la réflexion arrive un peu comme un cheveu dans la minestrone… mais qui se souvient encore aujourd’hui de Claude Bertrand ?! Oui, qui ? Peu de gens, sans doute ! Cet acteur oublié fut pourtant la voix française de Burt Lancaster dans le film « le Guépard » de Visconti. Mais aussi de bon nombre d’autres, comme Roger Moore, Bud Spencer, John Wayne, Charles Bronson, et j’en passe et des biens meilleurs qu’eux, tel, pour ne citer que lui, le capitaine Haddock dans « le Temple du soleil »…
Mais, revenons à nos moutons, ou plutôt à nos guépards… ! Mes trois orphelins (leur mère avait été tuée par une lionne), élevés au biberon, ronronnaient comme de vulgaires chatons. À peine sevrés, de la chasse, ils ne savaient rien, et il était indispensable de tout leur apprendre, condition sine qua non à leur hypothétique retour vers un état sauvage. Mon guide de brousse, Ted, afrikaner de souche, s’en chargeait avec beaucoup d’application et de méthode. Ted, enfant de la savane, du busch, de l’outback sud-africain, connaissait tout de ces animaux sauvages, aussi, qui, à part Ted, aurait pu s’en charger ? Personne d’autre, je crois…
Quant à moi, pris d’une soudaine lubie, comme cela m’arrive si souvent (et cela fait tout mon charme, n’est-ce pas ?), je décidai donc de participer à un safari, me donnant l’occasion d’inscrire à mon tableau de chasse, encore vierge, les si fameux big-five d’Ernest Hemingway (Les vertes collines d’Afrique. Récit autobiographique. 1935) …
À certains égards, l’Afrique du sud est un bien étrange pays. Mon hôtel de transit, dans la banlieue immédiate de Johannesbourg, était entièrement cerné de fils barbelés et d’une haute clôture électrifiée. Pour y pénétrer, nécessité absolue de montrer patte blanche (la métaphore poétique sera appréciée, merci…). Fort heureusement, car d’un naturel dépressif depuis l’enfance, je ne séjournai que très peu de temps dans ce bunker, rejoignant assez vite ma destination finale, un lodge de luxe au sein d’une réserve privée, à quelques encablures seulement de l’emblématique parc Krüger. Quelques fois, à la tombée de la nuit, des compagnies d’éléphants y venaient s’abreuver dans la piscine en forme d’ haricot géant. Le pittoresque de la vie sauvage. Curieusement, on m’apprit, dès le premier soir, que les hyènes tachetées étaient les animaux les plus redoutés ici, par les autochtones. J’affirmais, à la surprise générale, qu’à Paris, il en allait de même !
Je pris assez vite mes marques, le bar était remarquablement achalandé. Et, de bonne constitution, je sympathisais avec mes hôtes, un couple de français fortunés, issus du monde du cinéma. Cinéma documentaire animalier plus exactement. Disons que je n’avais de prime abord aucun à priori concernant le cinéma documentaire, qu’il soit animalier ou d’autres horizons, bien au contraire, Madame était tout à fait charmante.
« Nous avons longtemps travaillé avec Bougrain-Dubourg… m’apprit-elle, en souriant.
— Qui donc ?
— Bougrain-Dubourg…
— Vois pas…
— La L.P.O… ?
— Non plus !
— … Catherine Ceylac, Brigitte Bardot, Jeanne Manson… (en rapprochant ses deux index…)
— Ah, oui, OK, sa tête me revient maintenant !
Nous chassâmes, donc. Mais, rassurez-vous, âmes sensibles, je ratais à chaque fois ma cible et rentrais toujours bredouille.
— Hey, j’ai crôa, Ernest, qué tou manquérais ouneu bouffle dans un kouloir dé métro… ! me dit un jour, Ted, l’accent boer moqueur.
— Hakuna Matata, Desmon Toutou ! lui répondis-je, seuls mots que je connusse alors dans son idiome natal. Mais, il n’avait pas tort, mon Ted : alcoolisme congénital et précision balistique font assez rarement bon ménage… à l’inverse, et vous sourirez très certainement en lisant ceci (je commence à vous connaitre…), je fus, une fois, moi-même, considéré comme une vulgaire proie par l’un de mes potentiels gibiers. Un énorme éléphant mâle, en rut, et l’éléphant mâle en rut n’a jamais très bon caractère, cela est reconnu, nous chargea un jour. Vif, j’échappai de peu au piétinement du mastodonte en furie hormonale… ce qui, entre parenthèse, m’aurait chagriné au plus au point, bien que ne niant pas le fait aujourd’hui, que si cela eut dû se produire, il aurait ajouter à ma légende personnelle (déjà bien étoffée) un petit plus non négligeable.
Au bout d’une semaine à peine, je m’ennuyai déjà. Les cocktails à base d’amarula (Sclerocarya birrea), mes tirs ratés, ainsi que la fidélité obstinée de Clarisse (mon hôte, l’ex-court-métragiste éco-guerrière) finissaient par me donner le spleen, voire la nausée. Je caressai une dernière fois mes trois jeunes félins aux yeux tristement bordés de noirs, se prélassant, insouciants, au bord de la piscine en forme de rein géant, rangeais ma Winchester et sa cartouchière emplie de dum-dum sur son râtelier rustique en cornes d’impala, et fis mes bagages…
Quelques mois plus tard, j’appris par hasard qu’aucun des trois jeunes guépards n’avait survécu. Tombés, une nuit sans lune, dans le guet-apens d’une meute de hyènes affamées, ils furent dévorés l’un après l’autre…
Ma peine fut immense en apprenant leurs fins tragiques. Et parfois, je me dis que, finalement, ce Lampedusa avait bien raison : tout évolue mais rien ne changera jamais dans ce monde…
Texte et photographies Ernest Salgrenn. Mai 2022. Tous droits réservés.

J’ai lu mais… j’attends de lire les commentaires des autres lecteurs afin de m’y retrouver dans cette… jungle!
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J’ai lu… Mais j’ai surtout trouvé Norbert, perdu comme moi, et nous avons réussi à rentrer de cette balade ensemble par ici… En tout cas l’illustration est géniale.
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Ben, c’est plutôt la brousse que la jungle, non ? J’ai bien connu les 2, elles m’ont laissé de bons souvenirs. J’aurais bien aimé rencontrer Ernest, l’autre : Hemingway, je l’ai souvent loupé : à Rangoon d’abord, puis à Cayo Guillermo et d’autres lieux à Cuba, où il avait séjourné ou sirop-thé… mais il avait des décennies d’avance à nos rendez-vous et moi autant de retard ! C’est ballot ! Mais heureusement nous avons ici un autre Ernest, et comme il faut que tout change pour que rien ne change, je lis toujours Ernest !
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Ma chère Dominique, comme toujours chez Salgrenn, un zeste de provoc’, quelques pures inventions (on le sait tous maintenant : c’est tout de même un gros mytho de première !) mais aussi une part non négligeable, bien que souvent insoupçonnable, de vérité… Hemingway, grand parmi les grands, fait partie de mon panthéon (ce prénom, Ernest, Ernest… et si finalement… c’était mon vrai prénom ?!) d’où le petit clin d’œil (à peine déguisé) dans ce texte. Merci pour ta visite et tes mots. Ernest.
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J’espère qu’Ernest, le plus célèbre des deux, a pensé un jour à remercier les pêcheurs cubains pour la fameuse histoire ‘du vieil homme et la mer et le merlin’ pêchée le soir au coin du feu…
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Je ne sais pas… Ernest, tu as pensé à faire cela 🧐 ???
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Ma chère Dominique, Ernest Salgrenn n’aura pas la prétention de se considérer au-dessus d’Hemingway, même si, la pêche au gros, il a pratiqué. Et si ce n’était pas à Cuba, mais en Polynésie… cela se vaut, je pense… surtout lorsque le Mai tai (Maita’i) remplace le Mojito de façon plaisante… à consommer avec modération, bien sûr !
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Hemingway ou Salgrenn, un Ernest est un Ernest ! Après, ce sont des détails… 🤭
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Les défunts (ces Vivants, au Séjour) mettent parfois du temps à répondre aux vivants. Hemingway ne fait pas exception à l’appel. 😉
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Pourquoi aller si loin, quand on a ici des cougars en guêpières et des lynx qu’on tient à l’œil ? Plus sérieusement, cette histoire belle et triste illustre la réalité non cinématographique : les guépards sont en voie de disparition. Ils courent trop vite, mais s’essoufflent rapidement (comme mon commentaire).
» Parmi les différentes espèces, le guépard asiatique, le guépard du Sahara et le guépard d’Afrique du Nord-Est sont classées en danger critique d’extinction. La population de guépards est passée de 100 000 individus au début du xxe siècle à 7 100 en 2019 (wikipedia)
Par contre les reportages animaliers du National Geographic (BBC, canal 60 sur Free je crois)) visibles à la télé sont toujours passionnants, ainsi que la narration qui les accompagne.
Miaou !🐱
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Oui, animal en grand danger (mais si c’était le seul…). La femelle est réceptive seulement pendant quelques jours (deux ou trois, je crois bien me souvenir) et est très sélective dans le choix de son partenaire (mais j’en connais d’autres… !) donc, si, par exemple, tu as seulement quelques spécimens encore présents sur un territoire grand comme la Belgique (c’est à peu près la superficie du parc Krüger), tu vois le blème… ! De plus, comme d’autres félins, les lions en particulier, ils sont victimes depuis plusieurs années d’une épidémie de tuberculose qui les déciment encore plus… autre espèce en grave danger : les lycaons… animal pourchassé car s’attaquerait au bétail. C’est, lui aussi (mais, je ne fais aucune hiérarchie) un animal très intelligent autant que méconnu du grand public.
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Ah là j’ai tout compris! Bonne soirée en brousse à tout le monde : 🐆🐒🦒🐘🦏🦛🐪🐅🦍🦎 Euh… Quoi encore 🦁🐯🐵…
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Ce n’est plus un commentaire, les2olibrius… c’est quasiment une arche de Noé ! Merci, pour le retour sur ce texte peut-être un peu trop crypté et désorientant (… mis à part Ted… ), et je m’en excuse ! J’en tiendrai compte pour la prochaine critique à venir… il ne serait pas raisonnable de perdre mes meilleurs lecteurs !
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J’aime pas les histoires qui finissent mal. Ne pourrais-tu pas refaire une autre fin avec les trois guépards qui auraient pris le pouvoir sur les autres, seraient devenus influenceurs sur internet et seraient d’ailleurs en ce moment même où je te parle à Cannes accompagnées de guépardes habillées de splendides guêpières en peau de pute. Et d’Alain Delon aussi… accompagnés, pas habillés…
Merci pour cette belle histoire, et belle journée !
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Dans l’incapacité de deviner si cette histoire est vraie, j’aime à imaginer qu’elle est inspirée d’un fond de vérité historique et biographique bien que l’imagination extrêmement fertile de son auteur m’incite à croire le contraire.
J’en profite au passage pour exterminer la légende de la vélocité du guépard. Cette réputation n’est due qu’au montage en accéléré de sa course dans les reportages animaliers sur la savane.
Bon week-end Ernest
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Comme toujours dans mes historiettes… un fond de vécu, et puis… je brode un peu ! Toutefois, les trois guépards ont bien existé (la photo est bien réelle et prise par mes soins en Afrique du Sud). Mais pour le reste, mystère…
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Ce n’était pas une raison pour les écraser accidentellement en marche arrière et d’accuser des innocentes. 😉
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