NDA : Ressorti des archives because c’est un peu d’actualité en ce moment… !
Et surtout ne cherchez pas « La Poluche » sur vos cartes de France… Vous vous fatigueriez pour rien car, même sur Google Earth la photo satellite du coin est complètement floue ! À croire que ce bled n’existe pas ! Et pourtant…
Et pourtant, c’est bien là que j’habite depuis une dizaine d’années maintenant, et où la seule véritable indication pour trouver l’endroit serait donc ce petit panneau en bois, que j’ai planté moi-même, tout en bas du chemin, à environ trois kilomètres d’ici, à l’intersection de la route départementale.
« La Poluche, route privée, accès interdit« … Au moins cela a le mérite d’être bien clair sur mon souhait à recevoir des visites !
Il y a seulement trois baraques dans ce hameau perdu. Dont deux en ruines. Quant à la troisième, je la retape, seul et avec des moyens qui sont plutôt limités. Mais, je ne suis pas pressé, j’ai le temps. D’ailleurs, le temps, c’est peut-être bien ma seule vraie richesse. Certes, elle s’épuise un peu chaque jour qui passe, mais en théorie il devrait m’en rester encore un chouia sur mon compte…
La Rolls-Royce noire, je ne l’ai pas du tout entendue arriver… À cause sûrement de la bétonnière, pleine ras la gueule, et qui tournait plein pot…
J’ai coupé le moteur de la bécane, et je me suis avancé, ma pelle à la main. Un type est descendu, tel une flèche, du coté droit de la bagnole. Deux mètres de haut à la louche, et la gueule toute rougeote, comme sortie d’un four à pizza.
— Ohé, meusieu… Good morning… ! Escuisé mi… est-ce que vous… hum… water closet dans le maison à vous… ?!
Il est vrai que j’en ai vu quelques-uns, des frapadingues, des agités du bocal, des torturés des boyaux de la tête, dans ma vie ! J’ai même bossé pendant un certain temps dans un asile psychiatrique, c’est pour vous dire ma connaissance approfondie du sujet. Un job de dépannage, pas très bien payé, mais dès que tu avais bien repéré ceux qui avaient le droit de sortir du bloc, le soir (les soignants, comme ils se la racontait entre-eux), se révélait finalement assez cool…
Néanmoins, celui-ci, avait quand même l’air rudement tartiné.
— Dites… c’est bien une Phantom III, hein… ?! Ouaah… la grande classe, mon pote ! Mon grand-père avait exactement la même juste avant la guerre ! Mais, en 40, il l’a démontée en pièces détachées, et puis l’a coulée, morceau par morceau, dans du béton pour que les Bosch ne lui prennent pas ! Pas con, le vieux, hein… ?!
Le rougeaud enlève sa casquette, jette un coup d’œil à la bétonnière, puis à ma pelle, sur laquelle je suis appuyé…
— Yes Sir, Phantom III ! Mille neuf cent trente-sept, mais… j’insiste… avez-vous cabinet toilette… ?!
— Of course ! Sûr que vu comme ça c’est peut-être pas Versailles, mais quand même… J’ai l’eau courante et puis des chiottes qui fonctionnent pas trop mal !
— Good… Perfect ! Alors s’il-viou plaît… est-ce que la reine peut utiliser le toilette maintenant ?!
— Quoi ?! Qui ça… ?! La reine… ?! Mince, alors ! M’dis quand même pas que tu trimballes notre miss France là-dedans ?! Mais bien sûr, qu’elle peut venir caguer chez moi, ta p’tit’reine ! Attends un peu… y’a aussi Jean-Pierre Foucault avec… ?!
— Jean-Pierre Foucault ? But… who is Jean-Pierre Foucault ? No, sir, nous sommes seulement avec la queen Elisabeth two… Sa majesté et moi seulement dans le voiture !
L’après-midi s’annonçait pourtant plutôt bien, la ferraille était en place, et j’avais prévu de couler une dalle de cinq par dix et d’une épaisseur d’environ quinze centimètres. Tranquillo, pépère, la routine habituelle, quoi !
C’est à ce moment précis de mes réflexions intimes, et toutes maçonniques, que la porte arrière de la limousine s’est ouverte en grand…
— Et merde, tiens ! C’est la reine d’Angleterre… !
— Sorry sir ! Merci biocoup de bien vouloir m’accorder la possibilité d’utiliser vos commodités… Je suis…
— La reine d’Angleterre !
— No… ! Enfin si, of course, que je suis la Reine ! Mais je voulais dire que je suis… ho, ho… comment vous le dire… em-bar-ras-sée ! Tout cela c’est à cou-ôze de le pastèque !
— La pastèque ! Pas, Le… mais… LA pastèque qu’on dit ! Avec, bien sûr, tout vot’ respect du à vot’ rang, mon altesse !
Elle se marre, la kouinne Elizabeth… ! Pour une fois, c’était peut-être bon signe, allez savoir, parce que généralement, le courant ne passait pas toujours très bien entre bibi et les têtes couronnées… Pour tout vous avouer, ce n’est pas trop ma came, les monarchies, n’arrivant pas bien à voir l’intérêt de conserver ces gens-là au vingt-et-unième siècle… pour résumer, en deux mots, disons que j’aurais plutôt tendance à être du bon côté de la guillotine… enfin bref… On n’est pas là non plus pour refaire le monde…
— Nous avons malheureusement mangé de la pastèque à midi et…
— Et maintenant, je parie ma paie contre la vôtre que vous avez chopé la cagagne ?! Faut pas vous inquiéter votre altesse sérénissime, c’est tout à fait normal, ça ! La pastèque, c’est comme le melon, faut vachement s’en méfier quand on n’a pas l’habitude ! Bon… j’vous montre le petit coin ?! Vous me suivez ? Faites pas trop gaffe à mon bordel… j’avais pas vraiment prévu d’avoir de la visite aujourd’hui ! Vous savez bien ce que c’est, hein ? quand on est à fond dans les travaux, on n’a pas trop le temps de faire le ménage tous les jours… !
M’a suivi gentiment, la Queen, son petit sac Kelly de chez Hermès à la main. J’étais fier, un peu comme un mec sans une seule thune en poche, qui viendrait de tomber par hasard sur un billet de cinquante euros flottant dans un caniveau. Ensuite elle a fait ses besoins. Comme tout le monde, je dirai. Puis, je lui ai proposé un verre d’eau, avec un Immodium lingual (à 2 milligrammes), retrouvé dans le tiroir de mon armoire de salle de bain, mais périmé depuis un petit moment quand même. Elle en a pas voulu de mon comprimé, mais, à la réflexion, je me dis que c’était peut-être pas plus mal, car si elle devait clamser la reine mère à cause de mon cacheton périmé, j’aurai probablement eu de sérieux ennuis ensuite avec les English, qui sont, et c’est bien connu du monde entier, Commonwealth y compris, jamais les derniers pour vous chercher des poux dans la tête… Perfide Albion, qu’on dit même, c’est pas pour rien, non… ?!
Comme elle n’avait pas l’air plus pressée que ça de repartir, maintenant qu’elle s’était soulagée, je lui ai fait faire un petit tour du propriétaire. Forcément, cela a du la changer un peu de son Buckingham Palace, mais elle a quand même bien aimé ma déco.
— Et je vous félicite aussi pour le choix de vos coloris, monsieur Salgrinne… vous avez le goût très sûr, il me semble… !
Et, ce compliment faisait toujours plaisir venant de quelqu’un comme elle, toujours fringuée comme une pochette surprise de la foire du Trône. Je trouva aussi qu’elle causait vachement bien le français, Elizabeth, et je le lui fis remarquer par politesse.
— Vous parlez rudement bien not’ langue, vot’ sérénité ! Encore mieux, peut-être, que Jane Birkin, qui vit pourtant chez nous depuis plus de quarante ans !
— Oh, mais je n’ai aucun mérite, car je parle tous les jours à mes chiens dans cette langue… j’ai remarqué qu’ils écoutaient bôcuiou mieux lorsqu’on leur parlait frenchy… !
L’anecdote méritait absolument d’être soulignée.
— Bon… je vous garderai volontiers à souper, ce soir, mais, j’ai bien peur de ne pas avoir grand-chose à vous proposer !
— Sorry, c’est très gentil, monsieur Salgrinne, mais je ne vais pas pouvoir rester plus longtemps malheureusement… on m’attend à Nice, ce soir… une autre fois peut-être… Who know… ? Oui… qui sait… ?!
Avant qu’elle ne parte, la Queen, on a quand même fait un petit selfie. Tous les trois, avec son chauffeur, et puis la Rolls, dans le fond. Mais… je ne pourrai même pas vous le montrer… une mauvaise manip’ et… c’est vraiment trop bête… ! je l’ai effacé sur mon Iphone two… !
Texte et photographie Ernest Salgrenn. Juin 2022. Tous droits réservés.