DAB.

Rue de l’Arménie
C’est la tragédie…
L’amnésie transitoire
La perte de mémoire
J’hésite, je foire
Distributeur de flouze
Au-to-ma-tique
Au-to-ma-ti-que…
Des sueurs, la lose
Crache mon fric
Mon oseille, mon cash
Dab, Ô mon dab !
À tous les coups, ça matche !
M’laisse pas dans la panade !
Le code erroné ?
Dernier coup de dés…
Qu’elle ricane
Saleté d’bécane !
Dix petits indiens
Attaquent une banque
Et tous les gens biens
Bien vite se planquent !
Société Générale
L’scénario s’emballe
Dix, vingt, trent’mille balles
L’pistolet mitrailleur
Au-to-ma-ti-que
Au-to-ma-ti-que…
Dans mon collimateur
Tirs sporadiques
Fourre tes billets
L’costume-cravate
T’fais pas prier, l’endimanché
Sinon, promis, j’t’éclate !
V’lan ! dans la fourmilière !
Une vraie souricière
Même pas peur
De l’argent du beurre
Des bonbons au porteur
Du calcul des agios
Au-to-ma-ti-que
Au-to-ma-ti-que…
Rafle tout l’rabiot
Sortie acrobatique
Mais dehors, les héros
N’ont pas froid aux yeux
Fin du numéro
Cela valait mieux
Sortie de piste
D’un prolo qu’épargnait
La vache, c’est triste !
Les pinces aux poignets
Page cinq, coupure de presse
Pour une justice expresse
Serre les fesses !
Dix piges minimum
C’est au-to-ma-ti-que !
C’est au-to-ma-ti-que !
Sept, deux, quat’, six
Revient l’code à ma pomme !
Sept, deux, quat’, six
Trop tard, mon bonhomme… !

Ernest Salgrenn. Mars 2021. ®Tous droits réservés Texte et photographie.

Rose des sables. (Feuilleton).

Quelque part, dans un temps plus ou moins lointain.

Georgino (Maman) a passé une bonne partie de l’après-midi à nous préparer des boulettes aux lombrics (Haplotaxida lumbricina). C’est une spécialité de son pays d’origine, le désert de Gobie. Maintenant, elle se lave les mains avec de la poudre aux extraits de cambuis. L’hygiène est primordiale en cuisine. Four, thermostat sur trente pendant quatre heures, et hop ! c’est parti, mon kiki !
Aujourd’hui, Mirda, le temps s’est très légèrement gâté : il n’a pas fait plus de quarante cinq degrés à l’ombre. Papa dit que c’est sûrement à cause de ces saloperies de satellites chinois qui, là-haut, nous tournent sans arrêt autour. Moi, je veux bien le croire, car avec les Chinois : il n’y a jamais rien eu de bon à attendre si ce n’est d’avoir encore plus de malheur sur nous. Papa dit aussi que le vinaigre d’alcool, s’il est de bonne qualité, est très sain pour la santé. D’ailleurs, il en boit plus de trois litres et demi par jour et se porte comme un charme. Ceci dit, il y a longtemps maintenant que tous les charmes de la planète ont été décimés par la Graphiose (ou maladie hollandaise). Alors, si, bien sûr, la question n’est pas de refaire le Monde, on est tout de même en droit de s’interroger sur la pertinence de certaines expressions.
Le père Jojo, notre plus proche voisin, est passé nous voir dans la matinée.
Et sa jambe au père Jojo a encore bien gonflé depuis sa dernière visite. Elle fait maintenant presque le triple de l’autre (la droite) qui est en bois de rose. Avec Bruno, ma sœurette, on a fait des selfies avec sa grosse guibole, enflammée et purulente. Faut bien se marrer un peu de temps en temps, et pour ça, vrai qu’il n’y a toujours rien de mieux que la misère des autres. Papa a sauté sur l’occasion pour déclarer de façon péremptoire que l’argentique était bien mieux que le numérique. Notre daron, je trouve qu’il raconte de plus en plus de conneries en ce moment. Georgino, qui feuillette le dico médical dès qu’elle a cinq minutes, pense que cela proviendrait peut-être de perturbations endocriniennes induites par l’andropause. Va savoir ?
Une fois n’est pas coutume, le père Jojo a refusé de boire un coup, car il ne venait pas pour ça, a-t-il annoncé, l’œil grave (il est borgne en plus d’être unijambiste). «J’dois vous dire que j’ai pas de bonnes nouvelles du front… voilà qu’on a encore perdu une bataille, cette semaine… !».
Le père Jojo, est un ancien militaire de carrière. Cela explique certainement son obstination à ne parler que de la Guerre, le seul sujet de conversation ayant un véritable intérêt pour lui. Il a fait la « Der des der », qui était un peu comme celle de quatorze mais en quarante. La plus sanglante d’entre toutes, d’après notre expert. Beaucoup de ses copains –tous de bien chics types– y sont restés, et il les pleure encore chaque jour que Dieu, « le tout-puissant miséricordieux », fait. «Un carnage, mes braves petits… !». Lui, il a survécu, mais a perdu une jambe (pour rappel : la droite) et un œil (le gauche, cette fois) à cause d’éclats incontrôlés d’une p….. de grenade quadrillée. Des fois, lorsque l’on va chez lui en promenade de courtoisie, le Daminche, il nous sort de gros albums photographiques de ses placards. Avec une bouteille de Guignolet aux queues de cerises vertes qu’il fait lui-même. Ces albums, sont une collection personnelle de jolis clichés souvenirs, en noir et blanc, de tous les ravages de sa guéguerre à Jojo. Et je peux vous assurer que ce n’est pas bien beau à voir, même pour de jeunes enfants comme ma sœur et moi, qui pourtant en ont déjà vu d’autres. Terrible chose que la Guerre, n’est-ce pas… ?
Il est reparti ensuite, après avoir bu tout de même un petit coup vite fait, et toujours en traînant la patte, laissant derrière lui une profonde trace, reconnaissable entre mille dans le sable brûlant. Georgino a tout désinfecté au Propylène-Cétyl dès qu’il eût franchit le pas de la porte. «C’est vraiment pas le moment de se choper une vilaine cochonnerie !». Comme je l’ai déjà sous-entendu plus avant : Georgino est très stricte sur la propreté, les microbes, et tout ça. Toujours une lavette ou bien un torchon en lin, tissé à la main, à la main.
Maintenant, comme il commence à se faire tard, on attaque la « Prière commune » de fin d’après-midi. Celle qui est dédiée au petit Bézu barbu qui nous aime tous, sans aucune distinction de race, ni de couleur (« Je ne suis qu’amour… etc, etc… »).
Quatre heures plus tard, c’est la sonnerie de la minuterie du four qui nous a subitement réveillés…
« À table, maintenant, tant que c’est encore chaud !» a gueulé Georgino, qui n’aime pas du tout être réveillée ainsi par surprise.
— Amène… !» a du-tac-au-tacoté papa, très affamé pour le coup, et surtout ne perdant ni le nord, ni son sens inné de la répartie religieuse.
— Oui, mais lavez-vous d’abord les mimines, mes chéris !»
Le lombric, est particulièrement délicieux, surtout bien crâmé. J’en ai repris deux fois comme tout le monde. Après le dessert, des câpres natures en gelée, on s’installe tous, comme à l’habitude, sur le canapé à rallonges devant notre télévision Schaub-Lorentz. Ce soir, c’est le soir de l’émission « The Noise ». Une émission que nous ne ratons jamais. Sauf, bien entendu, lorsqu’il y a une panne de satellite. Mais, cela est assez rare, il faut l’avouer. Le principe de l’émission, pour ceux qui ne connaissent pas, est d’auditionner et de sélectionner des personnes plus ou moins douées pour faire du bruit, beaucoup de bruit, le plus de bruit possible. Et, il y en a qui sont drôlement fortiches pour ça, vous pouvez me croire ! Pas plus tard que la semaine dernière, Bruno a eu un tympan éclaté. Cette imbécile avait oublié de mettre ses protections d’oreilles en cire de frelons…
— Silence… ça commence ! gueule papa-Nazillon (c’est le petit surnom affectueux qu’on donne à papa depuis qu’on est tout petit avec ma sœur).
— Mince, j’ai pas eu le temps d’aller pisser ! qu’interjecte Georgino en se trémoussant.
Mes parents sont loin d’être des lumières, et ils ont aussi, par ailleurs, pas mal de défauts, mais je les aime bien quand même. Néanmoins, je suppose que ceci est tout à fait normal : tous les gamins du Monde n’aiment-ils pas ainsi tendrement leurs parents ?
Un peu plus tard dans la soirée, alors que l’émission touche à sa fin et qu’un concurrent en salopette mauve et avec une capacité pulmonaire dépassant les huit litres vient tout juste de pulvériser le record en lâchant un contre-ut absolument remarquable à plus de cent-vingt cinq décibels, on frappe à la porte…
«Mais qui peut donc venir faire chier les honnêtes gens à une heure pareille… ?!» chuchote papa immédiatement, n’en ratant jamais une pour pousser un coup de gueule à minima.
C’est tonton Monique…
Tonton Monique, cela fait un sacré bail qu’on ne l’a pas vue. Elle habite pour ainsi dire à l’autre bout du Monde. Enfin, c’est en Ardèche, de l’autre côté du Rhône à sec, mais c’est tout comme.
Et elle a une sale tronche, le tonton Monique. M’ait avis qu’il a dû se passer quelque chose de pas normal, par là-bas, chez les Ploucs (C’est papa qui emploie cette expression lorsqu’il parle du pays de sauvages à tonton Monique !).
«Une invasion de criquets… des millions… des millions, et ces sales bêtes ont tout bouffé… tout… ! Nous reste plus que nos pauvres yeux pour pleurer… !»
Nous, les criquets, ou bien leurs copines, les sauterelles géantes du Sahel, on ne les a jamais eu. Faut dire que par ici, il n’y a plus grand chose à bouffer maintenant que le sable recouvre tout le paysage. Il parait même qu’on aurait la plus haute dune d’Europe du côté de Saint Popaul-les-trois-Têtons. D’ailleurs, un jour, papa a promis qu’on irait tous ensemble voir ça, que cela valait vraiment le déplacement. En attendant, nous voilà bien maintenant, avec tonton Monique, qui pleurniche toutes les larmes de son corps. En parlant de ça, son corps à tonton Monique, je le trouve plutôt bizarre… mince, alors, je me souvenais pas qu’elle était aussi difforme, la dernière fois ! Papa, qui est un peu con, certes, mais pas aveugle, non plus, a bien l’air de l’avoir remarqué aussi…
«Dis, donc, ma p’tite Monique… tu ne serais quand même pas enceinte… ?!
Les femmes, papa-Nazillon et le tact ont toujours fait trois. C’est un peu notre Laurent Ruquier à nous en quelque sorte… !
— Non ! Quelle idée ! Ça (elle montre son gros bidou)… c’est parce qu’en route j’ai bouffé un peu trop de tricholomes de la Saint Georges ! Et surtout, je n’aurai pas du boire ensuite… dingue, comme ça te fait gonfler grave !
— Ah… j’aime mieux ça !
Et tonton Monique s’assoie sur un tabouret que lui pousse gentiment du pied sous son cul Georgina.
— Et vous ne me demandez même pas des nouvelles de Bibine… ?
Bibine, c’est le mari à tonton Monique. Ma tantine, quoi.
— Ben, si, si, bien sûr que si… alors, comment qu’y va donc, notre vieux Bibine ?
— Je l’ai enterré y’a trois jours… !
Silence. Enfin, presque, le vent, furieux, comme toutes les nuits, hurle dans les tuiles disjointes.
— Crotte, alors ! (C’est l’un des jurons favoris de papa-nazillon).
Le Bibine à Monique, est (était…) un sacré numéro. Jamais le dernier pour faire son couillon, lorsque l’occasion se présentait ! Et toujours bourré comme un coing, il va de soi.
— Bon… je suppose que tu vas t’installer ici, maintenant que tu as tout perdu… ? reprend papa, le choc passé.
— Ouais, pourquoi pas… si y’a moyen… !
Re-silence. Enfin, presque, mais ça, je l’ai déjà dit, je crois bien.
— Et vous ne me demandez pas non plus de quoi il est mort, mon Bibine ?! Tonton Monique au bout d’un moment.
— Hein ? Ben, si, voyons ! Bien sûr, qu’on veut savoir… ! Il est mort de quoi, alors, ce brave Bibine ?! papa, qui tente tant bien que mal de se rattraper.
— … De la peste… ! De la peste bubonique qu’il est mort, mon Bibine !

(La suite au prochain numéro (ou peut-être pas…)).

Ulysse.

Désir de fuite, couper les liens

Besoin de zapper tout ce quotidien

De ne pas rater, une fois encore, ma rentrée des classes

Sortir enfin de la nasse

De cette impasse…

Alors ce soir, comme un déclic

Une porte qui claque

Et d’un palier noir, libre, je glisse, je glisse,

Dans l’escalier de service

Dans l’escalier de service…

Prends donc tes cliques

Et puis aussi toutes tes claques

Tes cliques, tes claques…

Tes cliques et puis aussi toutes tes claques…

Sur le boulevard de l’Escampette

Seule la pluie m’fait la causette

Ce soir d’octobre, tout recommencer, oui, mais ailleurs

Oublier pour toujours, le malheur

Mêm’ plus peur !

Hep ! Taxi ! Loin d’ici ! Vite !

Y’a le feu au lac !

L’échappe d’une vie trop lisse, trop lisse

La rengaine d’un long supplice

La rengaine d’un long supplice…

Prends donc tes cliques

Et puis toutes tes claques

Tes cliques et puis toutes tes claques…

Tes cliques et puis toutes tes claques…

Par une nuit glacée, j’me fais la malle

En pouvais plus, j’avais trop mal

Un coup d’éponge effacera tout sur mon ardoise

Avion Roissy, Val-d’Oise

Fini la poisse !

En Première classe, l’Amérique

Et voilà, j’vous plaque !

Souvenirs déjà s’évanouissent, s’évanouissent

Fumées dans la coulisse

Fumées dans la coulisse…

Prends donc tes cliques

Et puis toutes tes claques

Tes cliques et puis toutes tes claques…

Tes cliques et puis toutes tes claques…

La tête baissée, tu te carapates

Vl’à qu’t’as cassé l’fil à la patte !

Décider d’remettre tous mes compteurs à zéro

Déchirer les photos, tourner le dos

Jeter à l’eau

Aucune trace, aucun risque

Loin, quitter la baraque !

Trop de bagages alourdissent, alourdissent

Le petit frère d’Ulysse

Le petit frère d’Ulysse…

Prends donc tes cliques

Et puis toutes tes claques

Tes cliques et puis toutes tes claques…

Tes cliques et puis toutes tes claques…

Auteur : Ernest Salgrenn. Mars 2021. ®Tous droits réservés.

Bon sens.

  • NDA : Ceci est une pure fiction. Ne vous méprenez pas, cela n’arrivera jamais ! Jamais…

Aux environs de 20H00. Paris. Gare de Lyon.

« Bonsoir… 55, rue du faubourg Saint-Honoré, je vous prie…

— Bien, monsieur…

Le taxi démarre dans le silence feutré de son puissant moteur électrique. Cela fait à peu près un an maintenant que l’ensemble du parc des taxis de France est en motorisation électrique. Ainsi d’ailleurs que tous les véhicules de livraison et les autobus. Et pour les automobiles particulières, cela est prévu dans deux ans au plus tard.

— Si vous avez froid, monsieur, je peux augmenter le chauffage à l’arrière… Désirez-vous écouter de la musique ? Peut-être avez-vous une préférence pour la station ?

— Non, merci, c’est gentil, mais je n’ai pas froid pour l’instant. Un peu de musique, pourquoi pas… RTL, ou bien alors sinon, France Inter, si cela ne vous dérange pas…

Depuis que les publicités, la plupart idiotes et infantilisantes, et surtout venant entrecouper sans arrêt les programmes musicaux, sont abolies sur les toutes les chaînes de radio (et de télévision), il est vrai qu’il est bien plus agréable de les écouter.

— Dites, vous n’êtes pas d’ici, vous ?

— Du 12 ème arrondissement ?

— Non ! Je voulais plutôt dire de ce pays… !

Il sourit.

— C’est tout à fait exact, je m’appelle Ishka et je suis arrivé d’Afghanistan, il y a trois ans à peine…

— Seulement trois ans… ?! Oh ! Comme vous parlez bien le français, et… sans aucun accent de surcroît !

— Oui ! Merci, mais, je le dois à ce formidable programme de prise en charge, d’intégration et de formation des immigrés que le nouveau Gouvernement a mis en place dès le mois de juin 2022. Aussi, je n’ai pas trop de mérite à vrai dire ; on s’occupe tellement bien de nous dès notre arrivée sur le territoire français, ah, ça oui, faut voir, monsieur, comme on nous chouchoute ! Autant de bienveillance et d’attention vous motive beaucoup, aussi il faudrait vraiment être un parfait idiot pour ne pas en profiter !

Un gri-gri en métal doré pendouille au rétroviseur.

— Vous êtes croyant, Ishka ?

— Hein ? Oui, comme tout un chacun, je le suppose ! Mais, attention, monsieur… je n’en parle jamais ! Cela ne regarde que moi ! Quelle impolitesse serait de parler ainsi de sa religion ! Moi, je considère que c’est du domaine du privé ! Enfin…

— Quoi donc… ?

— Ben, pour tout vous dire : depuis que j’ai suivi, comme beaucoup de gens, des cours de philosophie et d’humanité… cela m’a un peu ouvert les yeux sur tout ceci… la Mort, par exemple, me fait beaucoup moins peur maintenant, alors, du coup, les bondieuseries et tout ce qui va avec, voyez-vous… comment vous dire… ce n’est plus vraiment ça !

— Oui… je comprends… je comprends très bien… Et vous êtes marié, Ishka, vous avez des enfants ?

— Oui ! Une gentille épouse et deux adorables gamines ! La plus grande vient de rentrer au CM1, cette année, et la petite va à la crèche gratuite de notre quartier pendant la journée. Enfin, je ne sais pas trop pourquoi je dis ça, c’est idiot ! Toutes les crèches de notre pays sont gratuites aujourd’hui !

— Et surtout beaucoup plus nombreuses !

— Bien vrai ! Nous n’avons eu aucune difficulté pour lui trouver une place !

— Ainsi, si je comprends bien, votre épouse travaille donc aussi ?

— Mais, bien sûr ! Tiens donc, il ne manquerait plus que ça qu’elle reste sans rien faire à la maison ! Elle ne le supporterait pas, je crois ! Elle est surveillante en chef à la commission des TIG…

— Les TIG ? Rappelez-moi donc un peu ce que c’est déjà… ?

— Les travaux d’intérêt généraux ! Vous savez bien, les travaux obligatoires pour les quelques chômeurs qui nous restent encore*, et puis les détenus…

— Ah, oui, c’est ça ! Et alors, cela lui plaît ?

— Y’a pas à se plaindre, qu’elle dit ! L’ambiance est très bonne dans son job ! Généralement, elle est sur le terrain, alors elle profite du bon air de Paris ! Et les gars, eux aussi, sont bien contents de pouvoir mettre le nez dehors comme ça tous les jours, et puis surtout d’être un peu utiles à la société. Vous avez vu comme toutes nos rues sont propres aujourd’hui ? C’est grâce à eux ! Et les tags ? Plus un tag sur les murs ! C’est dingue, non ?! Ces gens-là font un travail remarquable…

Il me plaît bien ce chauffeur de taxi.

— Vous avez raison, Paris n’a jamais été aussi propre ! Et de cette façon, tout le monde y trouve son compte ! On m’a dit que le taux de récidive avait été divisé par deux… Incroyable, mais nos prisons se vident !

— Oui, je l’ai lu, moi aussi… mais, n’est-ce pas plutôt cette fois le résultat de l’amélioration des conditions de détention, ainsi que de l’effort important consacré à la formation et à l’instruction de nos délinquants ?

— Effectivement, effectivement… Il était peut-être temps de comprendre qu’une incarcération seule, dans des conditions souvent inhumaines, et favorisant la rancœur envers la société, ne servait strictement à rien, sinon à repousser un peu le problème… Dites… Ça vous dirait de passer prendre l’apéritif, un soir dans la semaine, accompagné de votre épouse ? L’on pourrait ainsi discuter plus tranquillement…

— Et pourquoi pas, monsieur ! Alors, on apportera du Kabuli palaw, vous verrez, ma femme le réussit à la perfection !

— En voilà une bonne idée ! C’est un plat que j’adore !

— Et bien évidemment… inutile de vous préciser que tous les ingrédients sont issus de l’agriculture biologique !

— Mais… je croyais qu’il n’y avait plus que du Bio maintenant sur le marché français… ? N’a-t-on pas fait interdire tous les pesticides, le glyphosate et puis toutes ces autres saloperies toxiques qui nous bousillaient la santé à petit feu et détruisaient la Nature depuis tant de décennies ?

— Oh ! Suis-je bête… ! C’est exact, vous avez raison, je l’avais déjà oublié !

— Et c’est heureux, car cela commence à avoir réellement des effets sur le fameux trou de la sécu ! D’après le dernier rapport officiel, que j’ai pu lire, les cancers digestifs auraient reculé de moitié en seulement deux ans !

— Oui, mais… attention, Monsieur ! si je peux me permettre, bien entendu ! Cela est peut-être dû aussi au fait que notre gouvernement a multiplié par trois le budget de la recherche médicale, ne croyez-vous pas ? Il parait que l’on découvre de nouveaux traitements toutes les semaines ! Nous, avec ma femme, pour se tenir informés : tous les dimanches soirs, on ne rate jamais l’émission « Médecine 2 » à la télévision…

— « Médecine 2 » ?

— Oui, c’est à la place de « Stade 2 » ! Comme les sports de compétitions, et le football en particulier n’intéressent plus personne, à part quelques irréductibles…

— Il est vrai que comme abrutissement des foules, on ne faisait guère mieux… ! Et puis quelle image aussi pour nos jeunes, en leur faisant croire que d’avoir un peu de talent pour taper dans une baballe méritait autant de reconnaissance !

— Et sans parler des salaires mirobolants ! Vous avez bien raison, quelle honte c’était !

— Tenez, à ce sujet, qu’avez-vous pensé aussi, de cette réforme des émoluments de tous les hauts-fonctionnaires, ainsi que des élus nationaux ? Votre avis m’intéresse là-dessus…

— Mais que du bien, évidemment ! Que du bien, monsieur ! Voilà encore une réforme intéressante et efficace de ce nouveau gouvernement ! Était-il vraiment raisonnable de s’obstiner à rémunérer à une telle hauteur tous ces gens qui nous gouvernent ? Notre Pays exsangue n’en avait plus les moyens depuis bien longtemps !

— Encore une fois, je suis bien de votre avis !

— Et vous pouvez me croire que la France entière l’était aussi ! Abolir des privilèges inconcevables à notre époque, diviser par deux les salaires après avoir réduit d’un bon quart le nombre des élus ne pouvait qu’avoir toute l’approbation de la Nation ! Tenez, et vous allez peut-être vous moquez, mais tant pis, je prends le risque… avec ma petite femme, lorsque le Président de la République a annoncé qu’il reverserait la moitié de son salaire à des œuvres caritatives, on en a pleuré de joie, tous les deux !

— À ce propos, l’épouse du Président, vous l’aimez bien ?

— Oh, ça, oui ! En voilà bien une de discrète pour une fois ! Elle ne s’occupe de rien ! Et ce n’est pas plus mal, avouons-le !

Il en rajoute une couche.

— Au moins, elle, elle ne coûte rien au Pays ! Encore de belles économies de faites ! Quand, je pense que la précédente nous coûtait plus de quatre cent mille euros par an en frais divers !

— Oui, et cela compense un peu avec l’augmentation des salaires des professeurs, des instituteurs, des personnels soignants, et de toutes ces professions bien utiles, elles, qui nous rendent la vie beaucoup plus agréable…

— Parfaitement ! Et tenez, justement… permettez donc que je m’arrête deux petites secondes pour dire bonjour et tout le bien que je pense d’eux, et de tous leur semblables, à ces policiers en faction…

— Mais… Ishka… nous sommes arrivés… ! C’est ici, le 55 !

Il se retourne. Et comprend alors sa bévue…

Il est vingt heures trente, et un Président, plein de bon sens, rentre chez lui…

* Dès son arrivée au pouvoir, le nouveau gouvernement a divisé par deux toutes les taxes pesant sur les entreprises françaises (et payant tous leurs impôts en France…), et dans le même temps multiplié par deux celles sur tous les produits importés. L’effet fût quasi immédiat sur la reprise de l’activité industrielle et commerciale de notre pays. Ainsi, le nombre des demandeurs d’emploi est aujourd’hui insignifiant. Simple, efficace, il suffisait juste d’y penser…

Texte Ernest Salgrenn. Mars 2021. ©Tous droits réservés.

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