FESTIVAL.

Cannes. Festival du film. Le soixante-dixième du nom… mais pour moi, c’est le premier.
Il pleut des cordes. Vraiment pas de chance, d’avoir un temps aussi pourri pour une première montée des marches… mes souliers vernis prennent l’eau, mon smoking Smalto (de location) sent le chien mouillé (ou le vieux torchon) et pour clôturer le tableau : j’ai la goutte au nez ! Flûte ! Dans la précipitation, je n’ai même pas pensé à prendre un mouchoir… la sympathique Catherine (Deneuve) m’en file un en loucedé, tiré de sa pochette Hermès à cinq mille balles (et un peu plus). Je vais le conserver ce tire-jus, cela me fera un joli souvenir à montrer plus tard.
— Ernest… ! Ernest… enlevez vos Ray-Ban pour les photos ! m’apostrophe l’un de ces crétinos de photographes (attitrés) aux gueules avinées de maquereaux albanais.
Non ! Certainement pas, Duglandu ! Apprenez que je n’enlève jamais mes lunettes de soleil ! J’ai les mirettes hyper sensibles, elles craignent la lumière des projecteurs et si je ne fais pas gaffe cela me file à chaque fois de terribles migraines ophtalmiques…
Mon film en compéte au festival de Cannes… qui l’aurait cru ? Vous ? Pas moi, en tout cas !
Je prends la pose, un bras autour de la taille de Virginie (Efira). Rafale de flashs… Elle sent très bon, elle…
C’est moi qui ai soufflé son nom aux producteurs (Samy et Davy) pour tenir le rôle de Zoé. Je ne voyais qu’elle dans ce rôle clé. Peut-être l’ai-je même écrit pour elle, ce personnage. Mais sans vraiment le savoir finalement car ce n’est qu’une fois mon bouquin achevé que cela est devenu comme une réelle évidence. Sachez tout de même, pour la petite histoire cinématographique, qu’elle (Ninie) a renoncé au tournage du prochain « James Bond » pour être dans mon film ! Elle sent vachement bon mais elle a aussi beaucoup d’intuition, cette gamine !
Gérard (Depardieu) tente de lui mettre une main au fesses tandis qu’on commence à monter les marches. La vieille école… dont il resterait bien encore quelques survivants !
Oui, lui aussi est dans mon film. Cette fois-ci, c’est Samy et Davy (les deux prods, pour rappel) qui ont insisté pour que ce dernier fasse partie de la distribution. « Hyper bankable » (du verbe to bank : convertir en argent), l’horrible jojo ventru, ont-ils assuré… Pour tout dire, je n’avais très honnêtement aucun argument valable pour refuser…
Ceci dit, in final, je l’admets : c’est un bon acteur, notre gros Gégé national. Un peu chiant à la longue avec ses tonnes de blagues salaces à deux balles et ses concours de pets foireux, mais un très bon acteur.
Tout en grimpant l’escalier, je remarque que la moquette rouge nous fait de sacrés plis par endroits. J’ai toujours eu le sens de l’observation, même quand, comme ici, les circonstances ne l’exigent pas.
Treizième marche. Arrêt et demi-tour pour une dernière photo du groupe. Romain (Duris) en profite pour me souffler à l’oreille « Tu vas voir, mon vieux, je suis certain qu’on va la décrocher, la palme d’or ! ». Optimisme, quand tu nous gagnes…
Avec Roro ça a tout de suite matché entre-nous. Il est vraiment cool, le Roro. Et le rôle du petit Jésus lui va comme un gant. Plus vrai que nature en petit Jésus…
La treizième marche… mais pourquoi celle-là et pas une autre… ? La douze aurait très bien pu faire l’affaire, non ? Ne suis pas superstitieux, enfin, pas trop, mais tout de même…
Gégé nous lâche un vent. Un bien balèze, dont il a le secret, et qui fait du bruit. Tout le monde se marre (La Deneuve, Ninie, Roro, Niney et Jeannot (Dujardin). Sauf bibi… parce que voilà que je pense encore à ce numéro treize, c’est plus fort que moi !
On repart. Le président (Thierry) nous attend tout là-haut et semble un peu s’impatienter. On a pris du retard probablement…
Soixante mètres de moquette rouge, quatre mille huit cents photographes, soixante dix films projetés en douze jours, cinq semi-remorques de champagne consommé dans le même temps et… ces fameuses vingt-quatre marches à gravir… ! Vingt-quatre, ce n’est pas beaucoup finalement, on pense souvent qu’il y en a plus que ça.
Je connais tous les chiffres par cœur… c’est un peu ma marotte, les chiffres. Mon film, par exemple, a coûté plus de sept millions d’euros au total. Hors cachets des comédiens, bien entendu, sachant que La Deneuve et Gégé nous en coûtent autant rien qu’à eux deux…
Enfin, il parait que c’est une vraie réussite, ce putain de film (MON putain de film !), qu’il va faire un carton et qu’on va vite rentrer dans nos sous. Il vaudrait mieux d’ailleurs parce qu’à la vérité je n’ai plus un seul radis sur ce coup-là. Plus rien, nada, zéro zeuros en banque ! Non, pardonnez-moi, je me trompe, pas zéro, beaucoup moins que ça… on en serait à moins cent vingt-cinq mille d’après le coup de fil de mon banquier pas plus tard que ce matin ! J’ai même du me faire avancer par Josette (mon assistante) les deux cent balles demandées pour la caution du smoking… Je suis ruiné. Voilà, c’est ça le mot exact, ruiné… !
Vingt-deux, vingt-trois, et la petite dernière enfin… vingt… merde… Les pieds dans le tapis… ! Déséquilibré, je m’agrippe à la robe de Ninie (Fifira), Jeannot (beau gosse) tente bien de me rattraper au vol (sans succés), tandis que Gégé en lâche une de surprise, La Deneuve, toujours très pro quelques soient les circonstances se tourne immédiatement du côté de son meilleur profil, quant à mon Roro (ou Dudu, je ne sais plus… ) pas le temps de voir parce que je suis déjà parti vers le bas… la chute… le drame de la gravité… le couac burlesque… la glissade sur moquette… d’abord un salto arrière, puis un autre, mais après j’avoue que je n’ai plus compté…
Je me relève… en petits morceaux. Pas le temps de ramasser mes lunettes qui ont volé que des dizaines de flashs crépitent déjà… J’en prends plein la poire pour pas un rond… les hyènes… !
Dudu Romain (ou Roro Duris…), bon camarade, redescendu en quatrième vitesse est déjà à m’aider…
— Génial… ! T’es vraiment génial, mon pote ! Putain, cette cascade de dingo ! Si avec ça on décroche pas la palme… j’me fais curé !
— Hein… ? Dis, t’aurais pas un paracétamol… ?
— Quoi… ?
— Un cacheton de Doliprane… je crois bien que je commence à avoir la migraine…

Texte et photographie : Ernest Salgrenn (tous droits réservés et enregistrés). Mai 2023.

Cinq minutes avec Josette Moulina.

En ce moment ma vie ressemble de plus en plus à celle d’Arlette Laguiller. Ce matin, dès potron-minet, je suivais sur des sentiers boueux et dans une brume épaisse, une bande de récalcitrants à l’installation d’une centrale photovoltaïque géante en plein milieu de la forêt de Gironde, puis de retour sur Bordeaux dans l’après-midi, j’arpentais cette fois la rue Sainte Catherine, gueulant à tue-tête des slogans anti-retraite à 65 balais, pour terminer la soirée chez moi en beauté, en décidant d’entamer une énième grève (reconductible) du sexe ! Ainsi donc, le mouvement social m’anime du matin au soir… !
Mon mari est un con. Et ça ne date pas d’aujourd’hui. Il n’a absolument rien compris au Féminisme ! Mince, ce n’est pourtant pas si compliqué que ça à comprendre ?! Nous voulons juste être considérées pour ce que nous sommes, des êtres humains comme tout le monde, et avoir enfin les mêmes droits que vous, petits connards du patriarcat !
Jules (c’est bête, mais mon jules s’appelle Jules !) ne fait vraiment aucun effort. Je me demande encore pourquoi j’ai accepté de l’épouser… par pitié, peut-être…
Il ne le sait pas, mais deux de nos gosses ne sont pas de lui. Seul le premier des trois est son œuvre. C’est d’ailleurs celui que j’aime le moins. Si vous pouviez voir comme il a une sale tronche celui-ci ! La même que celle de son père ! Déjà tout petit, lorsque je lui filais le sein, j’avais la nausée, pour vous dire comme il est laid, ce gamin !
N’importe comment, je n’ai pas la fibre maternelle. Les autres, les deux bâtards, je ne les aime pas plus. Ils sont un peu moins laids, certes, mais cela ne fait rien, le courant n’est jamais passé avec les mioches !
L’amour d’une mère ? Tu parles, Charles ! Laisse-moi rire ! La mienne (de mère) ne m’aimait pas non plus. Une véritable garce ! Aujourd’hui, elle est entrain de crever à petit feu dans un hospice où je ne vais jamais la voir. Elle n’a que ce qu’elle mérite, le jour vient tôt ou tard où il faut régler son ardoise…
En ce moment, c’est vachement dur pour tout le monde. Les fins de mois ne sont pas faciles à boucler. La crise s’est installée, et personne ne sait trop comment ça va se terminer tout ça… Nous, en attendant, on bouffe des pâtes ! Mes gosses aiment bien ça, les pâtes, mais mon mari, lui, il se plaint qu’on bouffe toujours la même chose. Comme je lui ai dit : « Si t’es pas content de ton sort : t’avais qu’à mieux bosser à l’école, ou alors rentrer dans la fonction publique ! »
Non, au lieu de ça, cette espèce de raté se fait exploiter par un patron sans aucun scrupule et presque aussi con que lui ! Il pose des affiches sur des panneaux publicitaires, à l’aide d’un balai monté sur une perche et d’un seau plein de colle. Des grandes affiches de 4 par 5 qui vous incitent à acheter de belles bagnoles tout à l’électricité et à quarante mille balles minimum, ou bien, d’aller passer de super chouettes vacances au soleil dans des quatre étoiles avec une grande piscine toute bleue, un dauphin en mosaïque dessiné dans le fond. De sacrément belles affiches toutes en couleurs… et toujours, bien sûr, une superbe greluche en maillot de bain qui se la joue princesse au bords de leurs piscines de luxe… garanti… y a toujours cette petite salope au cul bien ferme et sans aucun bourrelet sur les hanches ! Avec des belles ratiches aussi, bien blanches et qui clignent au soleil ! Mais arrête donc de sourire comme ça, pauvre pouffiasse ! T’es conne ou quoi, t’as pas encore compris qu’on t’exploite ?!
Moi, le dentiste, ça fait un sacré bail que je ne le vois plus. Trop chère, la séance de roulette. Je me détartre moi-même, avec du bicarbonate de soude, en poudre, à l’ancienne. Ça mousse beaucoup et ça pique un peu les gencives, mais ça me coûte pas un radis !
Jules, lui, il les a presque toutes perdues ses quenottes. Au début, lorsque je l’ai connu il lui en manquait déjà pas mal, mais là, maintenant, même celles du devant se sont barrées ! Il s’en fout, n’a jamais été un grand soigneux, Jules…
Je ne sais pas pourquoi je demande pas le divorce d’avec Julot… par pitié peut-être, là encore…
Deux fois par semaine, les après-midi en général, je m’envoie en l’air avec Roger Gauduchon. Lui, il bosse dans les assurances. À la Mamouth. C’est bien, la Mamouth. On est drôlement bien couverts avec eux. Et puis avec Roger, on a eu de bonnes réducs sur les tarifs. C’est normal, ma chérie, qu’il m’a dit, ça me coûte rien de faire de temps en temps un petit geste commercial pour mes bons clients. Il est sympa, Roger…
Pour nos galipettes, on va toujours chez lui. On y est tranquilles, sa femme tient un commerce et elle ne rentrera jamais à l’improviste : on ne peut pas fermer un commerce comme ça, en pleine journée… surtout par les temps qui courent… En tout cas, c’est ce que pense Roger. On verra bien…
D’après le calendrier, j’ai trente-deux ans aujourd’hui. Trente-deux piges seulement et j’ai déjà raté ma vie…

Texte et photographies Ernest Salgrenn. Mars 2023. Tous droits réservés.

Beurk… !

Quelque chose s’est cassé dans le monde d’Ernest Salgrenn…
Un bâton merdeux dans la roue… une fiente de pigeon sur l’épaule… Du dégueulis qui pue sur mes mocassins à glands…
Plagiat… ? Connaissez-vous ce mot et sa définition ?
« Le plagiat est une faute d’ordre moral, civil ou commercial, qui peut être sanctionnée au pénal. Elle consiste à copier un auteur, ou accaparer l’œuvre d’un créateur dans le domaine des arts, sans le citer ou le dire, ainsi qu’à fortement s’inspirer d’un modèle que l’on omet, délibérément ou par négligence, de désigner. Il est souvent assimilé à un vol immatériel… ».
Ce n’est pas moi qui le dit, c’est Wikipédia !
Vous voulez que je vous raconte ? D’accord, mais avec des pincettes, alors ! Pourquoi dois-je faire gaffe à ce que je dis ? Parce qu’il existe dans le droit français quelque chose que l’on nomme le droit à la présomption d’innocence et seront sévèrement punis ceux qui ne l’observent pas…
Non… ! mieux que ça… ne prenons pas de risques inutiles : je vais vous laisser vous faire une opinion par vous-même… du coup, je ne fais qu’informer et pas dénoncer… d’ailleurs, je n’ai encore cité personne à ce que je sache…
« Son assosse, à Josyane, se nomme « Un p’tit bif’ton de vingt pour nos crétins ! »… ou quelque chose d’approchant…
Le crédo ? Un téléphone portable pour tous nos adolescents !
Noble cause que celle-ci, sachant que de nos jours, un virgule trente sept pour cent de nos jeunes, âgés de dix à seize ans, ne posséderait pas encore leur propre smartphone ! Insupportable, non… ?
Oh, ça oui, alors ! Comment un aussi grand nombre de parents pouvaient bafouer à ce point les droits les plus élémentaires de notre jeunesse boutonneuse ? Cette belle jeunesse si désireuse de s’envoyer toutes les vingt secondes des textos bourrés de fautes d’orthographes, ou bien de se vider –ce qui était fort légitime après de longues journées scolaires bien remplies– en consultant l’un de ces innombrables sites internet, ô combien éducatifs, mais à caractère néanmoins presque exclusivement pornographique, les… les esprits !
… »
Voici ce que j’ai écrit. Il y a plus de deux ans maintenant, dans le chapitre 26 de mon roman « Le coup du Dodo ». Chapitre que j’ai posté dans mon blog mais aussi sur une plate-forme d’écriture bien connue qui se nomme « L’atelier des auteurs ». Le tout avec preuve de paternité et d’antériorité. Je rappelle d’ailleurs que mes textes sont enregistrés officiellement auprès de la SACD (société des auteurs et compositeurs dramatiques).
Et voici maintenant ce que j’ai vu et entendu à la télévision (TF1) le 24 novembre dernier et les jours qui ont suivi : https://www.tiktok.com/@lelateofficiel/video/7171488745311522053

Alors ? c’est moi, ou… ?!

PS : Comme ce n’est pas trop tard… bonne année à toutes et tous ! Même si le cœur n’y est pas…

Texte et photographie Ernest Salgrenn. Janvier 2023. Tous droits réservés.

Chu…

Sa pipe, Ernest, a cassé.
A cassé, Ernest, sa pipe.
Cassé, Ernest, sa pipe, a.
Oui, Ernest Salgrenn a cassé sa pipe… !
De l’échelle sur le toit monté. Une glissade et c’est la tuile ! Badaboum ! Chu sur le cou ! Crac ! Bris d’os !
Ils sont déjà nombreux mais il en arrive encore. De petits groupes se sont formés dans l’attente. Noirs, ils piétinent sur place, tels de gros corbacs dans un champ de Beauce fraîchement retourné. Deux chats, un rouquin et un autre rayé de gris, observent, familiers de ces manèges désenchantés, leurs culs bien gras posés sur un marbre gelé.
Division dix, allée Grammont. La bonne nouvelle est que Desproges sera mon voisin de droite. Cela nous promet d’éternelles rigolades. Mais, ce petit trou-là, juste à côté de lui, m’a coûté une fortune. Pas donné la concession par ici ! Pour commencer, j’en ai pris pour trente ans. Après, nous verrons…
Drucker est là, dans son fauteuil à roulettes, un plaid à carreaux sur les genoux. Quand on vous le disait qu’il nous enterrerait tous… ! Big, Gad, Florence, Jérome, Kad, Franck… là, eux aussi. C’est chouette tout de même d’avoir tout ce joli monde à son enterrement. Me voilà bien rassuré, moi qui craignait tant que personne ne se donne de la peine pour moi.
« Pute borgne ! qu’est-ce qu’on se pèle les roubignoles ! aurait quand même pu attendre le printemps, ce connard ! »
Changera jamais le Big. Toujours aussi lourd, grossier, obscène et scatologique. Mais, je lui pardonne, c’est un bon gars avec un cœur gros comme ça. Je crois que je l’aimais bien, finalement…
— Ça m’étonne que tu sois venu… il t’avait pas mis un procès au cul pour plagiat, l’Ernest ?
— Si, mais on avait trouvé un arrangement à l’amiable…
Menteur. Mais cela n’a plus tellement d’importance, à un moment donné, il faut aussi savoir passer l’éponge.
Tiens ? ça bouge, ça frémit, ça s’agite, là-bas dans le fond, derrière la haie de cyprès…
Le Président. Des français, bien sûr, pas de la Comédie humaine ! Vous êtes cons, des fois ! Toujours superbe, le profil grec. La classe impériale, comme toujours, notre césarinot. Courbettes sur son passage altier. Madame à sa main, en Balmain, attire les regards. C’est sympa qu’ils se soient déplacés, les deux. Cela me touche. Si, vraiment. Quand je pense que je ne m’étais même pas rasé le jour de ma remise de rosette ! Faudrait que j’arrête toute cette provoc gratuite, un jour. Un jour, peut-être…
Et me voilà. En retard, comme d’habitude. « À mon ami » , lit-on sur la gerbe de lys blanc. C’est vrai que ça caille sec, ce matin, l’a raison, le gros Big.

Hein… ? Attendez… une seconde… ? « Mon ami »… ? comment ça, mon ami… ? je ne savais même pas que j’avais un ami… comment aurais-je pu le deviner… trop occupé, pas le temps, autre chose à faire… ne savais pas, non, ne savais pas, je vous le jure… ! Mince, j’aurais certainement du faire beaucoup plus attention à ça… c’est si précieux, un ami…
Mais… j’y crois pas ! Qu’on me pince ! C’est quoi ce curé en tenue d’apparat derrière la grosse bagnole américaine ? Font chier, je l’avais pourtant bien précisé : j’veux pas voir de cureton ! Nom de Dieu, c’est pas possible, ça ! À quoi ça sert donc d’écrire ses dernières volontés si au final, on ne les respecte pas ? Et la musique ? J’espère que ça au moins il vont bien me la jouer tout à l’heure, lorsque je descendrai dans mon trou, ma jolie musique à moi que je me suis choisi ! Du Mozart. Et du bien tristounet, comme j’aime, rien que pour les voir tous chialer comme des madeleines. Ouais, tous ! Même la Bellucci. Surtout, la Bellucci ! Veux qu’elle chiale sa race, la bella Monica, voir son rimmel dégouliner sur ses joues toutes violacées, son petit nez couler de morve, ses lèvres pulpeuses trembloter de sanglots… Qu’elle soit moche, la Madone, pour une fois !
Rancunier, Ernest ? Parfaitement ! Et alors ? Quoi ? Dites-vous qu’après tout, cela sera mon dernier kif, le tout dernier, l’ultime pied de nez de l’artiste avant que ne s’éteigne, pour de bon, la lumière vacillante au fond de ses yeux…

Texte et photographies : Ernest Salgrenn. Décembre 2022. Tous droits réservés.

Automne, ô désespoir…


Cela fait un bail. Oui, cela fait un sacré bail que je n’écris plus rien sur mon blog. L’automne ne m’inspire guère, l’on dirait. Et puis surtout : j’ai un peu de mal à taper sur mon clavier avec mes moufles en laine. Et pourtant, il y a tant à raconter en ce moment…
Bon… commençons par les choses qui fâchent : la pénurie d’électricité dans notre beau pays ! Voilà donc qu’on nous avertit (et depuis déjà pas mal de temps, car pour ça, faut voir comme ils sont prévoyants… !) que cet hiver nous allons subir des coupures de courant, faute à un manque à venir dans la production de nos belles centrales nucléaires (si, monsieur, c’est beau, une centrale nucléaire !). Là, on peut se poser plusieurs questions, et la toute première : mais pourquoi donc ?
Oui, pourquoi donc allons nous manquer de courant, alors que nous avons plus de cinquante centrales nucléaires ?! La réponse de nos responsables serait celle-ci : « Hé, ben, c’est à cause du Covid, mon con ! »
Tout d’abord, sachez monsieur le secrétaire d’état aux énergies, qu’on dit pas Le Covid, mais LA Covid ! Ah ! elle a sacrément bon dos, cette Covid… ! Une véritable mule marocaine : on la charge autant qu’on peut, quitte à lui briser ses petites pattes sous le poids des accusations ! C’est véritablement honteux de faire ça à un pauvre petit virus sans défense ! Bande de salopiots, va !
Non ! Ben, non, ce n’est pas du tout la faute à la Covid : c’est surtout la faute à un manque d’organisation ! Il était où le responsable en chef de la maintenance de nos centrales ? Hein, il était où, ce fainéant, ces trois dernières années ? En slip de bain aux Seychelles ? En réunion à la Réunion ? Aux Marquises à jouer les princesses ? Où qu’il était ? Où, bon sang de bonsoir ?!
Voilà, ça, c’est fait. Passons à la suite. La moutarde ? Alors, ça y est, vous avez vu comme moi : elle est revenue dans nos rayons ! Mais, en couleur ! Un drôle de vert un peu flashi ! Perso, je m’en passe pour le moment, j’attends la prochaine récolte, mais c’est vous qui voyez !
Ensuite. Ensuite, c’est pas mieux ! Tout augmente. Rien n’échappe à la crise. L’essence bien sûr, mais tout le reste aussi. Cette fois, c’est l’Ukraine qui trinque. Enfin, le conflit en Ukraine, plutôt. Ah, si seulement on avait su qu’un si petit pays pouvait nous attirer de si gros emmerdements… ! Mais bon, nos dirigeants ne sont pas là pour prévoir ce genre de choses, ça se saurait depuis longtemps si c’était le cas ! Enfin, tout n’est pas perdu : il nous reste les Américains et les bons d’aide gouvernementale aux miséreux que nous sommes devenus…
Les Américains. S’il y en a bien qui sont là à chaque fois pour sauver le Monde, ce sont bien eux ! God save the Queen ! Hein ? Oui, mes excuses, je m’ai trompé… in god we trust, que je voulais plutôt dire ! Et God se traduit par dollars, of course…
Les bons d’aide ciblés. Ou : « Donner plus pour reprendre plus »… ! Merci, mais du coup : je préfère crever de faim tout de suite, si j’ai le choix ! L’agonie est toujours moins pénible lorsqu’elle ne s’éternise pas de trop ! Sinon, faites des stocks, les gars : la vaseline commence déjà à manquer dans les pharmacies…
Du positif ? Je sais pas. Je cherche, je cherche…
Ah, si… on m’a plagié ! Et pas n’importe qui : un humoriste très célèbre ! Enfin, toute une bande plutôt, car eux doivent se mettre à plusieurs pour écrire leurs sketchs. Voler ? oui, vous avez raison : voler, plutôt qu’écrire… ! Pourquoi je fous ça dans la rubrique « positif » ? Parce que ça fait toujours plaisir d’être plagié ! Cela prouve finalement qu’on a du talent ! Et puis, tout cela va me rapporter un max de flouze. J’ai bien failli dire brouzoufs… mais cela vous aurait mis sur la piste de mon imposteur…
Bon, je vous laisse, mes loulous, je dois remettre du bois (de la palette piquée à Intermarché) dans ma cheminée… comment ça c’est toxique, la palette ? Non, vous déconnez, là… ?!

Évidemment, l’intégralité de ce texte est protégé par mes droits d’auteur, en l’occurrence : moi, Ernest Salgrenn. 02 décembre 2022. Qu’on se le dise… !

Inflation.

Les « Firsts » d’Air New Zealand sont hyper cosy. De la pure laine de mouton un peu partout. Leur pinard n’est pas mal non plus, je dois l’avouer.
« …Chardourney or cabernette chôvignonne, sir ?… »
L’accent rapeux de mon hôtesse me sort des vapes. Elle a du poil aux pattes, la kiwi, et certainement de nombreuses heures de vol à son compteur, dont une grande partie de nuit et sur le dos, à considérer la taille impressionnante de ses cernes !
Ça m’a pris comme ça, avant-hier matin. Ben, ouais, comme ça ! Un tour du Monde en first classe. But, why not, après tout ? Depuis quelques temps déjà, je tournais en rond chez moi, et c’est grand chez bibi, dans les cinq cent mètres carrés, et encore, c’est sans compter la pool-house et les sous-sols aménagés. Pour tout dire, je m’ennuyais un max. Et tout le monde sait qu’un tel état semi-végétatif n’est jamais très bon pour le moral. Plus tu tournes et vires ainsi comme une loque, plus tu cogites en boucle dans le vide, et plus la situation s’aggrave. Pas bon. Pas bon du tout.
L’escale de deux heures à Singapour m’a permis d’apprendre que la Queen est morte. Drapeaux en berne. Moi, j’ai offert une tournée générale de champagne. L’ai jamais bien kiffé, la Lisbeth deux. Et puis l’autre niais, aux grandes escourdes, ceci qui va prendre sa suite avant même qu’elle soit sous terre, la vieille peau, pas mieux.
Notons qu’il était assez dégueu, leur champ, au salon VIP. Trop de bulles. Un regrettable petit bémol à cette chocking-party improvisée…
Auckland. Enfin, dirais-je. C’est super loin, les antipodes, même en first class. Il pleut des trombes d’eau tiède, et personne ne parle un foutu mot de français, par ici. Tout est noir ou bien gris. Plutôt noir d’ailleurs, comme le chauffeur de ma limousine. Un brave type qui tente une approche dès que j’embarque dans son carrosse qui embaume le cuir ciré et la bombe désodorisante au citron vert.
 » Adorrre la France… misieu ! « 
Ouais, moi aussi, mon coco, et tu vois, c’est pour ça que je me barre dès que je le peux !
Me dit encore, dans son drôle de patois des caraïbes, qu’il a de la famille chez nous, les gentils frenchies. Et, bien entendu, rêve d’aller leur rendre visite un jour… toute une bande d’haïtiens, installés, sans aucun doute, dans des logements sociaux délabrés et crasseux du côté de Châteauroux, ou, peut-être, de Clermont-Ferrand. Comme d’habitude, mon imagination débordante fait le reste du boulot… alors je prends des notes sur mon Iphone 14, histoire de ne pas oublier toutes ces belles images de misère qui défilent si clairement dans ma caboche. Une nouvelle ébauche de projet d’écriture sur un fond très sombre de boat-people vaudouïsé… Pourquoi pas un polar, cette fois ? Découpage à la machette, amulettes criblées d’aiguilles, égorgements à gogo dans des caves qui puent la pisse de rat… Fais chier ! la machine à historiettes ne s’arrête donc jamais, rien n’y fait, même pas le décalage horaire, c’est presque du non-stop dans mon ciboulot de dingo… Gérard de Villiers, sort de mon corps, je t’en supplie ! J’en peux plus… !
Hôtel Sofitel. Face au port de plaisance. Les mats des voiliers vous font un de ces « cling-cling » assourdissant avec le vent qui rafale. Mais, là encore, le grand luxe. Monsieur Salgrenn ne se refuse jamais rien, c’est maintenant bien connu de tous !
Un personnel trilingue, mais tiré à quatre épingles, est au garde à vous devant l’empreinte de ma carte Premium qui donne le ton juste pour la suite à venir. Ma suite, justement… dernier étage, of course, marbres, dorures kitch, moquette wool-mark, mini-bar, et tout le tralala habituel, mais surtout cette putain de vue époustouflante à 180 degrés sur la mer de Tasman vert-grisaille et l’îlot Motutapu… Motutapu, l’île interdite… l’ile sacrée… Là aussi, il a du s’en passer des trucs… immolation tribale, anthropophagie, orgie, dépucelage de vierges impubères pour la bonne cause… tout un programme à fouiller…
Naze, je me jette direct sur le king-size sans enlever mes pompes sales. Chez moi, je l’aurai pas fait, c’est vrai. Chez moi, je fais gaffe à pas saloper. Chez moi, je suis un autre homme. Un être bien civilisé qui salope pas les couvre-lits et qui rote jamais après les repas. Ou alors, discrètos, toujours en loucedé. Mais là, aux antipodes, je me lâche un peu, histoire d’amortir le voyage.
Merde ! 15 000 balles, le trip… ! et faudra compter autant pour le billet retour ! C’est vraiment pas donné, la grande classe ! Faut-il en aligner de l’oseille aujourd’hui, pour avoir son petit confort à soi ! Enfin, je parle de retour… mais en vérité, je ne sais pas encore s’il y aura un retour… pas sûr…
Porqué ? Parce que ! Parce que finalement, la France, ce n’est pas le Pérou. Un joli pays certes, mais peuplé de cons. Oui, je confirme. Des cons par milliers. Des tas de cons qui se lamentent sur leur sort à longueur d’année. Comment ça, tout augmente en ce moment ? Et paraît aussi qu’il n’y a plus de moutarde forte dans les rayons de vos supermarchés ? Ouais, et alors ? qu’est-ce que vous voulez que je vous dise, moi ? Ce n’est tout de même pas de ma faute s’il y a la guerre en Ukraine ! Voyez donc plutôt ça avec monsieur Poutine ! Et puis, oh ! hé ! le pognon, c’est fait pour être dépensé, non ? sinon, à quoi ça sert ? Et attendez, la meilleure de toutes : voilà maintenant qu’on découvre qu’il va faire froid cet hiver, un scoop ! et qu’avec tout ça, on va avoir du mal à se chauffer ?! Ben, z’avez qu’à faire comme moi, les gars : faites vos valises et partez vous dorer les miches au soleil ! Ah, quelle bande de blaireaux, tiens !
Demain, si fait beau, j’irai voir fumer les geysers, à Roturoa. En hélico, bien sûr. J’ai réservé une suite au Prince’s Gate hotel. On m’a affirmé que c’est celle où avait dormi la reine Victoria…

Dans le mur…

Ce matin, un lapin, et… Bon, OK ! les plus perspicaces d’entre-vous l’auront tout de suite compris : je n’ai pas grand-chose à vous raconter aujourd’hui ! J’ai chaud et je rame… un peu comme tout le monde, quoi !
Ah, si… les infos télévisées de treize heures… avez-vous suivi les infos du treize heures ? Finalement, lorsque je suis en panne d’inspiration il n’y a rien de mieux que les journaux télévisés : toujours quelque chose à en tirer, de la matière à exploiter, du grain à moudre, une mine de conneries livrée par wagons entiers (prononcer « vagon » si vous êtes de l’autre côté de la frontière). Un vrai régal !
Des exemples ? J’y viens…
La canicule. Sujet d’importance.
Il fait chaud, les thermomètres qui s’affolent, les climatisations à fond les ballons, et ça tombe vraiment mal qu’il fasse aussi chaud en été parce qu’on doit faire des économies en énergie, une énergie qui nous coûte de plus en plus cher… alors, c’est recta : voilà une nouvelle mesure du gouvernement ! Et laquelle, donc ?
On va obliger les commerçants à fermer leurs portes de magasins because, leur clim, sinon, elle marchera pour rien ! Pas onc ! Mais pas sûr, non plus, que c’est avec des mesures comme ça, qu’on va se sortir du pétrin ! Et l’hiver ? Non, non, ça va, pas la peine de leur dire : ils fermaient déjà parce que sinon, le chauffage, ça ne servait à rien ! Bon, comme toujours, il y en a, dont la commerçante interrogée (magasin de vêtements qui viennent tous de Chine ou du Vietnam) qui ne sont pas d’accord avec cette nouvelle mesure. La raison ? Madame ne pourra plus cavaler à fond de train après les voleurs à l’étalage… ! Véridique !
La sécheresse. Autre sujet d’importance.
Bon, ça fait déjà deux mois qu’on en cause tous les jours, mais apparemment on attend le dernier moment pour faire quelque chose. Comme d’ab, quoi ! Voilà pas qu’on supprime les douches sur les plages ! Sauf que là aussi, ça gueule ! Pas content du tout, le touriste moyen, oh, la, la, pas content du tout !
Au micro, un blaireau en maillot pris au hasard sous un parasol Miko : « Moi, ça me fait chier de rentrer chez moi avec les pieds plein de sable ! ». J’avoue que, perso, je ne savais pas qu’il y avait des douches maintenant sur toutes les plages de France. M’excuse de mon ignorance, mais de mon temps, y’en avait pas ! On s’essuyait le plus gros avec nos serviettes, on foutait du sable un peu partout dans la bagnole, et papa gueulait. Bon, papa, il gueulait tout le temps, fallait pas trop s’en faire pour ça. Une fois à la maison (enfin, chez mémé, parce que les grandes vacances c’était toujours chez mémé, en Bretagne), on se rinçait au jet, dehors sur la terrasse, pendant que papa époussetait soigneusement les tapis de sa Citroën. Après ça, on mangeait une bonne salade avec des légumes qui avaient du goût. Comme presque tout le monde, quoi…
Les feux en Gironde. Autre sujet d’importance.
Des milliers d’hectares partis en fumée, et ce n’est pas fini, ça ne fait que commencer. Je ne reviendrai pas sur la déclaration de madame la préfete du coin, l’autre jour, qui engueulait au tout début de l’incendie, les journalistes, parce qu’ils osaient employer le terme de « Feux majeurs ». Elle s’offusquait grave la petite dame… Évidemment, on la comprend un peu, pas envie de faire des vagues, la mère Simone, et qu’on attire l’attention sur elle, principale responsable de la mise en place des mesures visant à lutter contre les feux de forêts… bon, je dis ça, je dis rien… !
Mais, soyons juste tout de même, les journaleux, c’est vrai, qu’eux aussi, ils nous débitent pas mal de conneries… Non ! Le débroussaillage obligatoire, ce n’est pas pour protéger la forêt ! C’est pour protéger les habitations ou les infrastructures qui sont en bordure de forêt ! Ce n’est pas du tout la même chose ! Tiens, parlons-en du débroussaillage… au vu des images, j’ai l’impression que par là-bas ce n’est pas une préoccupation majeure (oui, je dis majeure quand j’veux, madame Simone !). L’était beau le camping des flots bleus… les gens y étaient bien à l’ombre ? Venez donc voir autour de chez moi… vous verrez la différence !
Le cliff jumping. Sujet secondaire, celui-là, mais bien sympatoche pour meubler un peu quand il n’y a pas une horrible guerre près d’ici qui fait des milliers de morts (Hein… ? Y’en a une ?).
Savez pas ce que c’est, le cliff jumping ? C’est la nouvelle mode qui consiste à sauter dans l’eau du haut d’une falaise abrupte. Pour les moins doués, en bombe, pour les plus cons, en faisant des figures plus ou moins désordonnées. Attention, en conclusion, faut pas le faire parce que c’est drôlement dangereux tout de même, surtout si y’a pas assez de fond… transition toute trouvée (et là, je dis, bravo !) pour nous parler ensuite des Urgences qui saturent un max pendant l’été… (et ça, non plus, on pouvait pas le prévoir…)
Après, juste avant de rendre l’antenne, et la météo qu’annonce son dôme de chaleur ou bien sa goutte froide, il y avait un reportage sur un glacier. Pas celui de la mer de glace à Chamonix qui fond aussi vite que ma retraite, non, celui de Strasbourg, un artisan. Histoire de nous rafraîchir un peu, les idées…

Texte et photographie Ernest Salgrenn. Juillet 2022. Tous droits réservés.

Cognitif…

Cette nuit, j’ai fait un rêve très étrange…
Voilà, que dans ce rêve si curieux, je me voyais, moi, Ernest Salgrenn, doté d’un pouvoir extraordinaire, un super-pouvoir bien plus fantastique encore que tout ce qui vous est possible d’imaginer ! En effet, si je ne pouvais voler à la vitesse de la lumière, ni déplacer des montagnes grâce à une force herculéenne, ou (et pourtant, j’avoue que cela m’aurait beaucoup plu !) m’agripper aux murs et me suspendre aux plafonds, tel Spiderman, l’homme-araignée des Comics Marvel, je possédais néanmoins un pouvoir encore plus étonnant, un incroyable don quasi surnaturel qui me permettait de changer notre Monde, car… on m’écoutait… ! Oui, vous avez bien lu… on m’é-cou-tait !
Au tout début de ce rêve, cela commençait de façon presque anodine. En réalité, je ne savais pas encore que ce pouvoir était là, déjà bien présent pourtant, et je ne me rendais pas compte de sa puissance démesurée. J’ai commencé par dire à mon petit-fils, Cloud, (très probablement en vacances chez nous pendant ce songe, et je rajouterai tout de suite pour ceux que son prénom interroge que mon gendre travaille comme commercial chez Free…) se brossant les dents devant le lavabo : « Tu devrais penser à fermer le robinet pendant que tu te brosses les dents, cela gaspille de l’eau pour rien… et l’eau, tu sais, mon petit, c’est important de l’économiser ! ». Une de ces banales phrases que je lui répète sans cesse.
À ma surprise, il a répondu : « Oui, Papynou, tu as raison, je te promets que je ferais bien attention dorénavant ! ».
Évidemment, cela aurait du me mettre la puce à l’oreille. Mais bon, vous savez bien ce que sont les rêves, nous ne sommes pas toujours très attentifs lorsque nous rêvons.
Puis, vînt le tour de ma femme. Elle revenait des courses au supermarché. Tandis que je l’aidais, sans râler, à ranger les provisions dans les placards (je vous rappelle qu’il s’agit d’un rêve !), je remarquais au milieu des sacs, un pochon en plastique rempli d’oignons blancs…
« Tu l’as vu… ?!
— Quoi donc ? Ton cul ?!
Je n’en connais pas la raison exacte, et peut-être serait-il nécessaire que je me pose sérieusement la question un jour, mais, ma femme, lorsqu’elle est présente dans l’un de mes rêves nocturnes, s’exprime toujours d’une façon très vulgaire…
— Non ! L’étiquette de tes oignons !
— Ben, quoi ? Kèsse kella cette tétiquette ?
— Ils proviennent de Nouvelle-Zélande ! Tu as acheté des oignons qui ont traversé le globe pour venir chez nous ! Te rends-tu compte, ma douce, de l’aberration que cela peut être ? Vingt-mille kilomètres dans la soute d’un cargo ! Alors que tout le monde sait pertinemment que ce mode de transport est l’un des plus polluant qui soit ! N’avons-nous pas pourtant d’adorables légumes chez nous, que ne nous soyons ainsi obligés d’en importer de l’autre bout de la planète ?
— … Ouais, c’est vrai… t’as raison… ! Le ferais plus !
— C’est bien… et pendant que tu y es, pense donc aussi à utiliser plutôt des pochons en papier pour les légumes, pochons que tu pourras d’ailleurs réutiliser plusieurs fois si tu prends soin de les conserver… et uniquement en papier recyclable, si cela est possible…
— OK ! Fr’ais bin gaffe à ça, la prochaine fois ! Promis-juré, mon gros loulou ! (elle crache sur le carrelage de la cuisine…)
— Et…
— Quoi, nankore ?
— Si tu essayais aussi de… de t’exprimer un peu plus correctement !
— Entendu ! Je n’y manquerai pas ! Plus aucun gros mot dorénavant… je surveillerai mon langage, c’est promis !
Bon, là, je dois vous dire que j’ai commencé à me douter de quelque chose de pas normal ! Que ma femme m’écoute ainsi sans broncher et ne m’envoie pas valdinguer comme un vulgaire mal-propre au bout de cinq minutes de conversation, il y avait forcément un loup qui se planquait quelque part… !
Alors, j’ai voulu tenter un truc sur mon chien. Pour voir.
« Kiki, viens mon Kiki, viens à papa… !
Il arrive, en remuant la queue, ce bâtard…
— Assis, Kiki ! Assis !
Il s’assoit… et ma surprise est grande, car c’est bien la première fois qu’il m’obéit ainsi… !
— Mais, c’est très bien ça ! Gentil toutou, mon Kiki ! Donne la papatte à papa maintenant ! Allez, la papatte !
Il me donne sa papatte, cet imbécile de clebs… Incroyable ! Cette fois-ci, je n’ai plus aucun doute… quoi que je dise et à qui je le dise, on m’écoute ! et mieux encore… on fait tout ce que je demande !
Me voici maintenant dans mon jardin. Le soleil se lève à peine et je tombe sur Raoul de l’autre côté de ma haie de thuyas du Mexique. Ce Raoul existe bel et bien dans ma vraie vie lorsque je ne dors pas comme en ce moment, et c’est effectivement un voisin de quartier. Un habitué de mes rêves, ce type. Par altération inconsciente de ma résilience à tous mes tracas quotidiens fort probablement, car je dois admettre qu’il est un peu ma bête noire… un casse-bonbon de première catégorie, une véritable calamité, un de ces redoutables pénibles de compétition que les circonstances de la vie vous foutent parfois dans les pattes sans qu’on sache bien pourquoi cela tombe sur vous ! Bref, à lui tout seul, un véritable roman ! Non, que vous dis-je, une encyclopédie en douze tomes sur la bêtise humaine !
Je passe la tête par dessus la haie et l’aborde.
« Mon cher voisin, vous voilà donc une nouvelle fois en train de passer votre tondeuse à six heures du matin, et un dimanche de surcroît, alors que vous savez pertinemment que c’est tout à fait interdit par notre règlement de copropriété !
— M’en fous ! Travaille, môa, la semaine ! Pas le temps ! Reste pas chez môa, moâaa, à faire semblant d’écrire des bouquins à la con pour des connasses qu’ont rien d’autre à foutre que de bouquiner ces conneries pendant que leurs cons de maris y bossent comme môa toute la semaine ! Alors, con, passe ma tondeuse quand j’veux d’abord, chuis chez mo-â, merde !
Ce corniaud de haute-voltige travaille comme docker au port. Docker de père en fils, chez les Raoul. Et même avant, je pense, et peut-être même depuis que les bateaux savent flotter sur l’eau. Six mois par an en grève, mon Raoul, avec tous les autres, ses copains « qu’i z’ont un métier k’est dur et kiss’on pas assez payés, nom d’Dieu d’enfants d’salauds d’patrons » ! Et pour le reste du temps en arrêt maladie… ! Bon, c’est vrai, j’exagère un peu, car parfois il lui arrive tout de même de bosser, histoire de ramener le soir à la maison deux ou trois bricoles électroniques chinoises tombées par hasard d’un container de vingt-et-un pieds, bricoles qu’il essaye ensuite de refourguer en douce, par-ci, par-là… Faut pas non plus déconner, la vie n’est pas commode pour tout le monde !
— Vous qui êtes le roi de la combine, Raoul, et si vous achetiez une de ces nouvelles tondeuses électriques ? Cela ferait déjà un peu moins de boucan, non ?
— Ouais… c’est une idée… !
— Ou mieux… du joli gazon synthétique… Plus besoin de tondre avec du gazon synthétique… et plus besoin d’arroser aussi… ! Regardez donc, ce n’est pas beau, ça… ? vous feriez de belles économies en plus !
— Ouais… c’est pas con c’que vous dites… !
— Et pendant que vous y êtes, si vous supprimiez aussi définitivement le mot « con » de votre vocabulaire ?!
— Hein ? Croyez vraiment que ça serait possible, ça, m’sieu Salgrenn ?
— Je ne sais pas, mais cela vaudrait peut-être le coup d’essayer… !
Me voici maintenant dans la rue. J’avance un peu… lorsqu’une voiture se pointe et s’arrête à mon niveau. La vitre côté passager descend, je le reconnais… c’est le maire de mon village !
— J’peux vous déposer quelque part, monsieur Salgrenn ?
— Non, merci, ça va, je préfère marcher… surtout qu’à vrai dire, je ne sais pas encore tout à fait où je vais aller très exactement… !
— Tut, tut ! Montez, vous dis-je, parce que ce n’est pas raisonnable avec cette chaleur, z’avez vu, la météo ? ils nous annoncent quarante à l’ombre pour aujourd’hui… et de l’ombre, bou diou con ! il faut la chercher par ici !
— Si on ne craint pas trop le bruit de leurs pales, il y en a un peu sous vos magnifiques éoliennes… je parle de celles que vous avez fait installer un peu partout autour de notre commune !
— Bon sang ! On ne va pas encore revenir là-dessus ! Vous savez bien que je n’ai fait qu’appliquer les ordres du préfet, monsieur Salgrenn !
— Oui, bêtement… comme un mouton bien discipliné…
— … C’est vrai, je l’avoue, mais avais-je vraiment le choix de refuser… ?
— On a toujours le choix ! Oui, toujours, croyez-moi, mon vieux… et parfois, avoir un peu de bon sens n’a jamais fait de mal à personne !
— Cela rapporte pas mal d’argent à la commune !
— Pardon ? Vous vouliez dire, je le suppose : cela ME rapporte pas mal de fric ! Car, mais arrêtez-moi si je me trompe… c’est bien vous qui êtes le propriétaire des terrains sur lesquels ces affreuses choses de plus de cent mètres de haut ont été installées ?!
— … Oui… !
— Et si on les démontait, ces horreurs ?
— Mais… comment ça… ?
— Pour les remonter ailleurs, par exemple…
— Où ça ?!
— Devant la préfecture ! Il y a justement un immense terrain vague qui ferait très bien l’affaire devant la préfecture…
— Un terrain vague ? Vous en êtes sûr ?
— Absolument ! Il suffirait d’annuler ce projet de nouveau centre commercial, un de plus, prévu à cet endroit, et qui devrait, lui aussi, rapporter pas mal de pognon à quelques amis très influents du préfet…
— Pas bête… !
— Alors, vous voyez ce que vous pouvez faire ? Je peux compter sur vous, monsieur le Maire ?
— Mais bien entendu ! Je m’en occupe tout de suite…
— Tout de suite… ? Un dimanche matin ? Je crains fort que vous ne dérangiez le préfet pendant sa partie de golf !
— M’en fiche !
— Bien… c’est vous qui voyez après tout… mais… attendez un peu… une dernière chose…
— Oui, quoi donc ?
— Une fois les éoliennes démontées… n’oubliez pas de faire replanter des arbres sur vos terrains… ce serait moche de laisser tout ça en friche !
— Oh ! Vous avez raison, je n’y aurai pas pensé tout seul… ! C’est vrai que c’est beau, un arbre… ! C’est tellement beau…
Je continue alors mon petit bonhomme de chemin, le laissant à ses nouvelles réflexions beaucoup moins mercantiles et bien plus chlorophyllées dorénavant. Mais, je n’ai pas fait trois pas en pantoufles, que voilà que je tombe sur Emmanuel Macron… ! Bien sûr, je me pince immédiatement pour voir si je ne rêverais pas, par hasard, dans mon propre rêve (oui, cela peut tout à fait arriver, je vous l’assure) ! Aie ! Et bien, non, je ne sur-rêve pas ! c’est bien lui… !
— Monsieur le Président ! Vous… ? Vous, ici… ?!
— Oui, car ma grand-tante Alexandra Plintralala habite à deux pas de chez vous, ma présence n’est donc pas si abracadabrantesque que cela dans ce coin paumé…
— Croquignolesque… aurais-je plutôt dit à votre place !
— Peut-être, mais vous n’êtes pas à ma place… !
— Mais, je n’aurai qu’à traverser la rue pour y être… !
— Soyons sérieux, monsieur !
— Je ne l’ai jamais été autant de toute ma vie ! Et tiens, je crois que vous tombez bien… Il y a justement deux ou trois petites choses qui me tiennent à cœur et que j’aimerai aborder avec vous… !
Il a l’air surpris, mon Jupiter, mais j’attaque immédiatement dans le vif du sujet, bien conscient que mon état paradoxal pourrait s’interrompre sans prévenir…
— Si on parlait un peu tout d’abord de ce fameux pouvoir d’achat qui préoccupe tant les français… ?
— Si vous y tenez…
— Très bien… commençons par parler de ces petits arrangements avec vos chers amis des Banques et de la Finance internationale… de ces fameuses actions privilégiées à dividende cumulatif… ainsi que de ces autres saloperies de crowndivesting actions ! Je pense que cela doit sûrement vous dire quelque chose, non… ?!
— Vous avez fait des études de commerce ?
— Non ! Juste suivi les cours du soir du Planning Familial… !
— Mais, qu’est-ce donc que toutes ces calembredaines ?!
Bon, bien évidemment, je ne vais pas vous infliger l’entièreté de notre conversation. Cela a duré plus d’une heure. Ce qui est, je l’admets, assez long, même dans un rêve…
Je retourne ensuite chez moi. Ma femme m’attends derrière la porte, un gros Larousse en couleurs dans les mains…
— Ah… te voilà enfin… tu rentres bien tard, mon chéri… n’es-tu pas trop fourbu d’avoir marché si longuement ? Ne veux-tu pas que je te masse un peu les pieds ? Je t’ai préparé un bon repas… que des bonnes choses bien de chez nous… une véritable capilotade auvergnate… ! Dis, mon amour, tu ne m’admonesteras pas de trop si je devais me tromper encore quelque fois dans l’emploi du subjonctif… ? Amphigourique… c’est joli, ce mot, n’est-ce pas ?! Je viens de le découvrir dans le dictionnaire… ! et celui-là… coprolalie… n’est-ce pas très exactement ce dont je souffrais avant que tu ne me le fasses si justement remarquer ? Oh… il y a tellement de belles choses à découvrir dans le dictionnaire, si tu savais ! Et les pages roses au milieu… ? As-tu déjà lu les pages roses… ? C’est absolument merveilleux, ces pages roses… !
— …
Mince… je reste un peu sur le cul, et je me demande si finalement je ne la préférais pas avant. Sa gouaille ordurière de poissonnière du quartier du Panier me manquerait déjà… ?! Insondable âme humaine…
Je sors un papelard de ma poche de pyjama et attrape le téléphone posé sur une table gigogne dans l’entrée.
— Qu’est-ce que tu fais, mon chéri ?
— Je dois appeler quelques personnes… vite… avant que je me réveille… !
— Quelques personnes… ?
— Oui ! C’est Manu qui m’a refilé tous leurs zéro-six persos… bon, je crois que je vais commencer par lui… C’est quoi déjà l’indicatif pour la Russie… ?

Dring… dring… ! ça sonne… oui, ça sonne… mais… c’est mon réveil ! Il me faut encore quelques minutes avant d’émerger totalement des vapes… j’entends ma femme qui s’active au rez-de-chaussée… elle doit certainement préparer notre petit-déjeuner… enfin, voici que je retrouve tout à fait mes esprits et me lève…
— Bonjour, mon chéri ! As-tu bien dormi ?
— Hum… ouais, ouais, si on veut… c’est quoi tout ce vacarme, dehors ? Je parie que c’est encore le voisin qui tond sa pelouse ?
— Non, pas du tout ! Je ne sais pas ce qui leur prend ce matin, mais… ils ont décidé de démonter toutes les éoliennes… !
Il faut que je me pince à nouveau… aie ! Fais chier, cette fois, c’est bien sûr… je ne dors plus… ! Je sors sur le perron, accompagné de ma femme… un gros camion passe dans la rue, une immense pale d’éolienne posée sur sa remorque…
— Dieu… ne trouves-tu pas qu’elles paraissent encore plus grandes couchées que debout ?!
— Quoi… ? Comment tu m’as appelé, là… ?

Texte et photographie Ernest Salgrenn. Juillet 2022. Tous droits réservés.

Eden-roc.

Comme tous les ans, je passe mon été à l’Eden-Roc d’Antibes. Du 1er juillet au 31 août. Et toujours la même suite de luxe du troisième étage (celle où feu madame la duchesse de Windsor aimait à séjourner souvent, loin des paparazzis et de l’agitation du monde). Le service y est remarquable, la table succulente, la piscine taillée à main d’homme dans le rocher extrêmement rafraîchissante. On peut y avoir BHL (Bi, pour les intimes…) pour voisin de transat, et je vous laisse imaginer, ce délire de ouf…
Là, je dois vous dire que j’ai une petite manie. Fort amusante au demeurant, vous l’allez voir plus loin. Ce n’est pas pour me dédouaner, mais nous noterons ensemble au passage, que bon nombre d’autres écrivains, possèdent (ou possédaient) eux-aussi, quelques manies plus ou moins originales, histoire certainement de s’aérer un peu l’esprit souvent bien encombré. Hemingway buvait sec, Cocteau, Jean, maraît, et, plus près de nous, Beigbeder, indécrottable philatéliste passionné parmi les passionnés, aime quant à lui lécher le cul de certains spécimens de timbres de sa collection, et plus précisément ceux de Colombie, ceci après avoir découvert fortuitement que la gomme arabique utilisée dans ce pays contenait une proportion non négligeable de cocaïne brute. Bref, je ne suis pas le seul à avoir des petites manies rigolotes !
Donc, pas plus tard qu’avant-hier, comme tous les premiers dimanche suivant mon installation, je me retrouve sur la plage publique de la Gravette, après que mon chauffeur (Raymond) m’y eût transporté (Plus-que-parfait du subjonctif, un temps que les moins de vingt ans ne peuvent connaître, mais qu’il me plaît à employer, juste pour faire le malin et montrer que, oui, j’ai des lettres, moi !). Vêtu d’un simple bermuda à fleurs, d’un tee-shirt « fruit’of zi loume » et coiffé d’un vieux bob « Pastis Ricard » (hérité de mon oncle Robert, demi-finaliste mille neuf cent soixante quatorze du championnat régional de pétanque du Haut-Cambrésis), parfaite panoplie pour passer inaperçu au milieu d’une populace déjà grouillante, je reste ainsi, un long moment, planté comme un gland dans les galets (oui, la plage des Gravettes est en galets), tout à savourer ce merveilleux instant de félicité. Vous l’avez compris, j’aime mater la populace estivale ! Quel plaisir indicible est-ce en effet pour moi, une journée par an (n’abusons pas tout de même des bonnes choses !) de reluquer sans aucune retenue ce petit peuple issu des classes les plus populaires et insignifiantes de notre société. Croyez-moi sur parole, cela vaut très largement un safari-photo en Afrique australe chez les Boshimans, et surtout, cela vous coûte beaucoup moins cher (nonobstant bien sûr le fait que vous pouvez trouver à loger ailleurs que dans un palace cinq étoiles).
D’ailleurs, si la chanteuse Beyoncé (celle qu’a un super boule !) a dit (mais, n’a-t-elle pas dit beaucoup de conneries, finalement) : « Shakira le vendredi, sourira le dimanche ! », ici, sur cette plage des Gravettes, noire de monde dès neuf heures du matin, c’est la fête à Nénesse ! Je jubile ! J’extase ! En un mot, je prends mon panard comme peu souvent m’est donné l’occasion ! Une véritable érection neuronale ! Un magnifique feu d’artifice ethnologique !
Quelques fois, il m’arrive même d’engager une conversation (toute proportion gardée bien entendu avec la définition exacte que l’on trouve dans le dico, au mot conversation) avec l’autochtone des plages publiques… des femelles de préférence, cette catégorie ayant de façon assez générale un vocabulaire plus étoffé que les autres individus, qui sont (mais pas toujours, c’est vrai, mais le plus souvent, dirons-nous) également beaucoup plus poilus.
Parfois, avec un peu de chance, des caissières de supermarchés discounts, bien reconnaissables à leurs ongles longs et vernissés d’une couleur différente à chaque doigt. Car, j’ai un petit faible, je l’avoue, pour ces demoiselles. Elles sont comme du pain béni pour moi, écrivain méticuleux et besogneux, toujours à la recherche de personnages réels plus vrais que nature, ceci afin d’illustrer mes histoires avec un maximum d’authenticité. Il m’arrive même de prendre des notes sur le petit carnet que je conserve dans l’une des poches de mon bermuda à fleurs (que j’ai pris soin de choisir d’au moins deux tailles au-dessus de la mienne, soucis du détail, une fois encore, et que je porte donc ample et peu serré à la ceinture, ce qui me permet ainsi de dévoiler sans pudeur le début de la raie de mes fesses ainsi que le haut de ma toison pubienne foisonnante). Je resterai ainsi des heures à les écouter, mes petites caissières. Des heures, vous dis-je…
Les mioches du peuple ne sont pas pas mal non plus. Une aubaine encore, car tous très mal élevés évidemment, véritable régal de chaque instant pour l’observateur éclairé que je suis. Laissés la plupart du temps sans surveillance par leurs parents respectifs (trop occupés à se dorer la pilule, pour les unes, et à mater le cul d’icelles, pour les autres), bruyants à la limite de l’insupportable (couvrant à peine, c’est moche, le boum-boum obsédant du poste de radio XXL tonitruant de votre (très) proche voisin de serviette, un fan de rap…), chialant, geignant sans cesse (pas mal de méduses, cette année, sur la côte d’Azur, ce qui augmente le phénomène acoustique), s’ébrouant en vous aspergeant d’eau de mer sans aucune vergogne, piétinant consciencieusement votre serviette de bain (que j’ai empruntée à l’hôtel, fort heureusement) à l’envi, déposant parfois dessus avec la négligence toute excusée de leur jeune âge, un papier d’emballage de glace à la fraise (la fraise, ainsi que la framboise, tachent, il faut le savoir), ou de chichis bien gras, achetés à l’un de ces vendeurs ambulants à petite carriole (esclaves estivaux rétribués selon un faible pourcentage sur les ventes inversement proportionnel à leur chance de déclarer dans quelques années un cancer de la peau), ceux-là même qui vous harcèlent en gueulant à tue-tête leur litanie commerciale, du matin au soir. Tout un poème, quoi… !
Quelquefois, et, le remarquai-je bien souvent, juste après le repas de midi que la plupart arrosent plus que de raison (il faut vraiment le voir pour le croire !) de bières chaudes comme de la pisse d’âne marocain, j’assiste, spectateur médusé (!), à une bagarre générale, déclenchée la plupart du temps pour des raisons futiles. Occasion inespérée d’étoffer mon vocabulaire en noms d’oiseaux plus ou moins originaux, m’interrogeant à nouveau sur l’inventivité dont peuvent faire preuve en la matière des êtres pourtant si frustres en apparence ! Une découverte linguistique que je ne raterai pour rien au monde !
Lorsque Raymond (mon chauffeur) vient me rechercher en fin d’après-midi, je suis vanné, épuisé, lessivé, mais heureux aussi… tellement heureux d’avoir eu cette chance de côtoyer pendant ces quelques heures, un monde si éloigné du mien… Alors… Vivement l’année prochaine ! Et bonnes vacances à tous !

Texte et photographie Ernest Salgrenn. Juillet 2022. Tous droits réservés.

21 Juillet 69. Fake…

L’autre jour, j’ai rencontré un connard. Un connard de complotiste. Il s’agit de mon garagiste. Mon connard de garagiste complotiste. Simple révision des vingt-mille, la vidange moteur et changement des filtres, j’y allais donc serein, les mains (gantées) tapotant sur le volant de l’Aston, un petit air de Malher (symphonie numéro 3) au bout de mes lèvres fines (rehaussées d’une moustache bien taillée).
Cet abruti (j’ai bon nombre d’autres qualificatifs à disposition, si celui-ci ne vous convenait pas) ne croît pas au Covid (on dit « la », mais le problème n’est pas là). Pour lui, tout est invention. Exit donc les millions de morts et de familles endeuillées à travers le Monde, exit les tubars qui toussent encore trois semaines (mois…) après l’avoir chopé, exit les rescapés de l’horreur des salles de réa qui ont cru voir leur dernière heure arriver, exit tous ceux qui ne le savent pas encore mais traîneront des séquelles plus ou moins lourdes jusqu’à la fin de leur existence. Exit tout ça en bloc… ! D’après lui, tout ceci n’est que du bidon, du vent, du coup monté, de la supercherie d’état bien orchestrée pour nous foutre tous dedans, parce qu’ils n’ont que ça à faire, nos élites…
Monsieur est très certainement un excellent garagiste, habile de ses mains, capable de vous caler à la lampe stroboscopique un moteur de trois cents cinquante bourrins qui a un peu trop d’avance à l’allumage, ou bien, plus subtil, de vous desserrer juste ce qu’il faut une durite de gas-oil (Mais cela fonctionne aussi très bien avec une durite de frein ou de liquide de refroidissement…), histoire d’avoir l’assurance de vous revoir dans quinze jours (on connait tous, bien sûr, la petite combine, mais on se fait avoir à chaque fois !), cependant, monsieur demeure malgré tout un pauvre handicapé de la cervelle ! Et accessoirement, un putain de criminel en puissance…
Pourquoi, je dis ça ? Parce qu’évidemment monsieur, l’innocent aux mains pleines de cambuis, se contrefiche comme de sa première clé à mollette du respect des gestes barrières. Cela le fait chier de faire comme tout le monde, nous, les moutons qui ne comprenons rien. Évidemment. Monsieur sait bien plus de choses que nous. Monsieur sait la Vérité (celle avec une majuscule). Monsieur est mieux informé que nous. Monsieur va sur internet, mais pas n’importe où bien sûr, il a ses sources vérifiées, ses sources fiables, ses sources qui ne racontent pas de conneries, elles, comme tous ces suppôts de Satan que sont devenues les autres, celles bien officielles. Et vous, du coup, vous n’êtes qu’un con avec votre masque sur le pif, votre flacon de gel hydro-alcoolique en permanence dans votre poche, et qui sent pourtant bon la menthe ou le jasmin d’été, votre petit recul lorsqu’on tente de vous faire la bise, ou encore votre ridicule check, le poing fermé, lorsque vous dites bonjour à un pote, et, bien entendu, ne l’oublions pas (et là, c’est le pompon suprême de votre terrible ignorance !) votre saloperie de vaccin tout trafiqué et qui n’est pas bon du tout pour votre santé… Un con, voilà ce que vous êtes ! Un pauvre con qui n’a pas encore compris (mais ça viendra bien, il le sait…) qu’on voulait vous rouler dans la farine depuis le début (le virus n’existe pas, mais toutefois il a été inventé dans un laboratoire chinois… cherchons l’erreur… !). Monsieur affirme donc que le Covid ce n’est rien du tout, que monsieur l’a chopé, comme tout le monde (!) et qu’il s’en est super bien sorti, même pas le nez qui a coulé, rien, pas une quinte, juste un peu mal à la tête, et qu’il a continué à bosser sans rien dire à personne, comme si de rien n’était… Monsieur a vaincu la maladie, tout seul comme un grand, et il en est fier… ! Très fier…
L’Aston tourne sur trois pattes depuis cette dernière visite au garage. Elle freine moins bien aussi. J’ai comme un doute…

Texte et photgraphie Ernest Salgrenn. Juillet 2022. Tous droits réservés.

Affreux Jojo.

Je connais, depuis bientôt trois ans maintenant, un type vraiment spécial. Jonas. Un vieux saligot, râleur de première, jamais heureux, et à tout vous critiquer en permanence ! Ce n’est pas très compliqué, quoi qu’il se passe, quoi ou bien de qui, il puisse s’agir : il est forcément contre ! De plus, monsieur vous le fait toujours savoir sans jamais prendre de gants : brutalité permanente des mots choisis, expressions si cruelles qu’elles vous descendent en flamme, et, bien entendu, objectivité toujours au ras des pâquerettes ! Plus impolitiquement correct que ce Jonas, cela ne doit pas exister sur Terre, c’est tout bonnement impossible ! Une parfaite petite ordure, en résumé !
Et, comme il se trouve qu’il est mon voisin de palier, et qu’il n’a personne d’autre, mis à part moi, à qui cracher son venin quotidien, si ce n’est cette jeune infirmière (Mademoiselle Corine Lebas) qui lui rend visite chaque matin et chaque soir, toujours en coup de vent bien sûr, afin de lui laver les fesses (et quelques fois les dessous de bras lorsqu’elle a un peu plus de temps, mais c’est assez rare), et vérifier aussi qu’il a bien pris tous ses cachetons, je suis en première ligne pour profiter de ses perpétuelles et ignominieuses déblatérations…
Aucun sujet ne lui fait peur, à mon affreux Jojo. Véritable champion toutes catégories de la méchanceté, tout est matière exploitable pour exprimer sans retenue sa haine immodérée de la Société, et, d’une façon très générale, son exécration du Monde, il faut bien le dire.
Ce matin…
« Est-ce que tu te rends compte… voilà maintenant que des cons ont inventé un verre « mouchard » pour surveiller les vieux… ! ils peuvent savoir comme ça s’ils boivent réellement leur flotte ou bien la jette dans le lavabo ! Tu vas voir qu’ils finiront par nous mettre une puce électronique dans le fion… mais si… on y arrive, j’te dis !
— Ils ont raison, Jojo… il ne faut pas oublier de boire régulièrement pendant cette canicule… ! Si tu as terminé ta clope, tu veux que je te pousse au frais, dans la cuisine ? il fait déjà très chaud sur ce balcon…
Jojo est en fauteuil roulant depuis son accident. Et cela n’a fait, sans aucun doute, qu’empirer sa mauvaise humeur congénitale.
— Ouais ! C’est ça… pousse donc, l’invalide ! Et après ça, tu nous serviras un petit jaune, histoire de se rafraîchir un peu, l’gosier… !
— Il est à peine neuf heures, Jojo… !
— Et alors, c’est quoi le problème… ?!
L’accident à Jojo, c’est en tombant d’une échelle. Une échelle de huit mètres quand même, et cela commence à faire haut pour se casser la gueule. Il changeait de vieilles tuiles cassées chez Raton (Raton était le boulanger du coin de la rue Mesrines, mais il a pris sa retraite depuis). Comme il bossait au black, les assurances n’ont pas suivi, et, du coup, ce fût tout pour sa pomme, à Jojo…
— Quelle bande de pédés, tout de même ! Ça fait bientôt deux ans qu’ils n’ont pas augmenté ma pension d’invalidité, et là, voilà pas qu’ils se décident enfin, histoire d’amadouer les gens à cause des élections… comme par hasard, Balthazar ! Mais, j’suis pas dupe, Gigi (Gigi c’est moi, Gilbert Gageonnet, initiales GG…) ! J’suis pas dupe, tu peux me croire ! j’les connais par cœur maintenant toutes leurs petites combines à deux balles, à tous ces véreux de politicaillons !
Mon Jojo, ce n’est pas un secret, il n’aime pas les homos. Ni les gouines. Ni même tous les autres d’ailleurs, tous ceux qui ne sont pas bien nets, d’après lui, avec l’emploi de leurs bistouquettes ! Pour Jojo, la bistouquette (Et, mon Dieu ! que ce mot est ridiculement laid dans sa bouche…), c’est sacrée ! Il affirme qu’il n’y a pas trente-six moyen de s’en servir : soit tu es du bon côté de la tige, soit… tu ne l’es pas ! C’est un peu pour ça que je ne lui ai encore jamais avoué à Jojo que j’étais pédé, comme il dit. Je pense qu’il le prendrait mal.
— Et surtout n’oublie pas les glaçons, mon garçon, sinon ça te colle au caleçon ! Et tu m’en mets deux… comme papa, s’il-te-plaît !
— Ce n’est pas raisonnable du tout de boire de l’alcool aussi tôt dans la journée ! Et avec cette chaleur, en plus ! Si ton docteur l’apprenait, sûr que je me ferais engueuler !
— On l’emmerde, le docteur ! Et on emmerde aussi toute la Médecine pendant qu’on y est ! À poil, les carabins ! À poil ! Et crois-moi bien qu’c’est pas ça qui m’tueras ! Oh, que non ! C’est plutôt leur connerie, à toutes ces pédales d’emmerdeurs, qui me tuera un jour… leur connerie, t’entends ?! Tiens, est-ce que t’as vu notre président ? Est-ce que tu l’as vu dans le train, à son retour de Kiev’eu ? Môsieu « Je-sais-tout-sur-tout-parce-que-je-suis-le-premier-de-la-classe-depuis-que-je suis-tout-petit » qui nous donne des interviews dans un wagon de la SNCF à trois heures du matin ! Trois heures du mat’ ! Moi, à trois heures du mat’, je pionce ! Et tout le monde pionce aussi à trois heures du mat’… ! Quel con, alors ! Non mais, quel con, non… ?! Comme s’il ne pouvait pas prendre l’avion comme tous les autres ! Quel freluquet, celui-là !
— C’est beaucoup plus écologique, le train… et puis… moi… je ne dormais pas encore à cette heure-là… je rentrais à peine de mon travail…
— Oui, bon… toi, tu sais très bien que tu ne seras jamais un bon exemple… !
— Merci… ça me touche… ! Mais, il essaye de sauver l’Ukraine… et peut-être bien, nous, avec… aussi je trouve que c’est quand même bien d’être aller là-bas, c’est drôlement courageux de sa part…
— Courageux ? Mais qu’est-ce que tu y connais toi, mon p’tit gars, au courage ? Hein ? Non ! Faire la belle, toute bronzée en bras de chemise, entourée de ses quarante gardes du corps, ce n’est pas ça avoir du courage ! Le courage, ce serait d’aller dire merde à Poutine une bonne fois pour toute ! Bien en face ! Et de lui retourner sa putain de table en marbre de dix mètres de long sur sa sale petite gueule, à ce salaud… voilà ce que serait la vraie définition d’avoir des couilles au cul ! Des couilles au cul, voilà bien c’qu’il lui manque… et à tous les autres aussi ! Mais, oui, qu’est-ce qu’on attends pour leur greffer des couilles au cul, nom d’un chien ?!
— Mais pourquoi es-tu donc si grossier, ce matin ? Tu sais très bien pourtant que je n’aime pas la grossièreté…
—… je sais pas… ! Cette chaleur, sûrement… tiens, ressers-z’en-moi donc un autre, histoire de pas perdre la main !
Il se trompe, Jojo. Du courage, j’en ai, moi aussi, lorsqu’on essaye de me casser la figure parce que mes petites manières ne plaisent pas toujours à certains. Je me laisse jamais faire, je me défends toujours. Même si, c’est vrai, je n’ai pas souvent le dessus…
— Tu ne veux pas plutôt de l’antésite ?
— Tu te fous de ma gueule ? C’est cancérigène, l’antésite ! Ils l’ont dit à la téloche, dans le magazine de la Santé ! Comment qu’elle s’appelle, l’autre, là, la vieille peau… ! Mais si, tu vois bien, celle qu’est un peu trop potelée des bras… la Barrière d’en Close ! Voilà, c’est ça !
— Ce n’est pas bien non plus de se moquer des gros ! Et puis tu ne devrais pas continuer à t’abrutir comme ça à longueur de journée devant la télévision ! Tu devrais plutôt lire un peu… la lecture, serait une distraction beaucoup plus apaisante pour toi, j’en suis certain… je peux te passer un roman, si tu veux… Éric-Emmanuel Schmitt… c’est bien, un livre de Schmitt, pour aborder la lecture… « Le Visiteur » par exemple… une pièce de théâtre… c’est facile à lire et je suis persuadé que cela te plaira…
— Ce gros cochon ?! Et si ça se trouve… il est pédé comme les autres, lui aussi ! Je suis sûr qu’ils sont tous plus ou moins de la jacquette dans ce milieu ! Alors, certainement pas ! Et puis… ça m’userait les yeux de lire dans le noir !
— Je pourrais t’entrebaîller légèrement un volet…
— Laisse tomber, j’te dis !
— Bon… si tu n’as besoin de rien, je vais filer, j’ai pas mal de trucs à faire ce matin…
(Un brin de couture pour être exact. Hier soir, dans les coulisses, j’ai accroché une de mes tenues de scène. Celle de Dalida, la robe fourreau tout en strass. Ce n’est pas très grave, mais il faut tout de même que je reprenne ce petit accroc avant que cela n’empire de trop.)
— Hum…
— Et je te prends cette paire de chaussettes… j’ai vu que qu’elles avaient des trous au bout…
— Des trous ? Et alors… comme ça, tu sais coudre, toi ?
— Oui, un petit peu… j’ai appris avec maman… bon, OK, je vais te les repriser… mais, je crois aussi que tu devrais te faire couper les ongles des pieds un peu plus courts… c’est à cause de ça, tes trous aux chaussettes ! Tu devrais peut-être demander à ton infirmière… c’est à elle de faire ça… cela fait partie de son job après tout…
— Cette petite conne ?! Elle n’a jamais le temps de rien ! Je crois bien que je devrais en changer…
— Oh, là, doucement… je crois que tu devrais peut-être y réflèchir à deux fois avant de prendre une décision comme celle-ci… avec ton sale caractère, pas sûr que tu trouves quelqu’un d’autre aussi facilement ! Ouais… c’est pas gagné du tout !
— N’importe comment… c’est pas important, je m’en fous pas mal ! J’peux me débrouiller seul, s’il le faut ! Ouais, j’pourrais faire sans… tu sais, j’ai toujours su me démerder tout seul, moi !
— Décidement, tu es en pleine forme, ce matin, pour nous sortir des grosses bêtises ! Bravo, l’artiste !
— Mais… tu repasseras me voir plus tard… ?
— Oui, bien sûr, comme d’habitude… vers huit heures, ce soir, avant de partir au boulot… mais il faut que je me repose un peu, moi aussi… je suis comme tout le monde, j’ai du mal avec cette chaleur… allez, cette fois, je te laisse, mon petit Jojo… à pluche !
Au moment de refermer la porte…
— Gigi…
— Oui… quoi… ?
— …Non… rien… enfin si… ton bouquin, là…
— Celui de Schmitt ?
— Oui, c’est ça… apporte-moi le quand même, si tu veux…
— Bien… d’accord, c’est entendu, à ce soir, alors…
Le lendemain matin, vers huit heures.
On frappe à ma porte. Je suis encore dans le gaz, pas démaquillé, rentré très tard, on a fait la bringue avec les copines, un anniversaire, toute cette nuit…
C’est la petite conne ! Enfin, je veux dire l’infirmière, mademoiselle Corine Lebas…
— Bonjour… madame… monsieur…
— Oui, non, enfin, si, oui… c’est bien monsieur !
— Avez-vous vu Jonas, hier soir ?
— Jonas… ? Non, je n’ai pas eu le temps de passer chez lui… j’étais à la bourre… pas eu le temps… je devais lui passer un livre, mais comme je vous viens de vous le dire… pas eu le temps malheureusement…
— Il est mort dans la nuit… !
— Quoi… ?
— Oui, une rupture d’anévrisme certainement… Avec la chaleur, peut-être… Il y avait ça, posé sur la table de la cuisine… une lettre… c’est pour vous… Gigi… c’est bien vous, Gigi ?
— Oui, Gigi… pour Gilbert… je peux le voir, Jonas… ?
— Non, pas pour le moment, le docteur doit passer avant, pour signer le certificat de décès, vous comprenez, c’est obligatoire, je vous le dirais après, quand ce sera bon…
— Bien… merci, c’est très gentil de votre part…
Et elle repart, avec sa petite sacoche, miss Tact…
La lettre, oui, vous avez raison, la lettre…

Gigi, mon petit Gigi, mon cher petit Gigi,

Quand tu liras cette lettre, je ne serais probablement plus de ce Monde à la con. Parti Jonas, envolé Jonas, by, by Jonas ! Ben, oui, il a bien réussi son coup, on le verra plus, ce vieux trou du cul !
Bon, c’est vrai, que je râlais pas mal… et peut-être même un peu plus souvent qu’à mon tour !
OK, ce n’est pas non plus pour me trouver des excuses foireuses mais tu avoueras que les aléas de l’existence, comme on le dit dans tes bouquins à l’eau de rose, ne m’ont pas rendu cette vie facile, surtout sur la fin…
Alors, regardons-ça plutôt comme si cela avait été tout bêtement ma façon à moi de vous crier à tous : « Au secours, aidez-moi un peu, j’ai si mal, je souffre tellement… ! »
Enfin, je voulais te dire aussi que pour toi, pour ta vie, ton boulot de danseuse au cabaret, j’ai toujours su. Oui, tout, je savais tout, et depuis le début… ! Mais, vois-tu, finalement, je m’en foutais ! Je m’en foutais pas mal parce que tu es un sacré brave gars, mon petit Gigi…
Allez, tchao, mon pote ! Et toutes mes amitiés depuis l’au-delà à tes copines du Music-hall !
PS : Dis leur bien, à ces cons de docteurs, que rien que pour les faire chier, je ne veux surtout pas donner mon corps à la science ! Merci, Gigi…

Non. Merci à toi, Jojo…

Texte et photographie Ernest Salgrenn. Juin 2022. Tous droits réservés.

Fondu.

Aujourd’hui, je me traîne comme un mouton lourd, j’ai la flemme des grands jours. Ne rien foutre, juste attendre que ça passe. Dehors, ils annoncent 40. À l’ombre bien sûr. Peut-être même 42. Canicule… À l’intérieur, 18. La clime générale tourne à fond, et pour un peu, je me pèlerais presque si je n’ouvrais pas de temps en temps une fenêtre en grand. Pas envie d’écrire. Ou alors, si, mais uniquement des phrases longues, interminables, sans ponctuation, même pas de point au bout, sans fin, et toutes remplies de ces mots qui font du mal à la lecture, des mots qui râpent, qui t’accrochent la langue, mots un peu sales sur eux, ou mots tout torturés de l’orthographe, avec un « X » qui siffle bizzarement au beau milieu, et puis des « K » aussi, des tonnes de « K »… « Gengis Khan se carapate dans les Carpates en Volkswagen kaki ! »… Cela ne veut rien dire, c’est absurde et moche, mais voilà bien tout ce que j’ai envie d’écrire, ce matin…
Un peu plus tôt cette nuit, vers deux heures, coup de fil de Los Angeles :
« Devine c’est qui ?! c’est Tata, c’est Titi, c’est Tino, c’est Tarantino !
— M’ouais… ?
— Je ne te réveille pas au moins ?
— Non, ça va… je me repassais l’intégrale des quatre saisons de « Killing Éve », en m’empiffrant de glace à la pistache turque bien arrosée de Kirsh… !
— Parfait ! Bon, là, j’suis avec les producteurs… faut à tout prix que tu nous écrives un scénar, un truc qui tienne la route, t’as seulement deux jours… c’est bon pour toi ? No problem, mon pote ?!
Tarantine, cette grande gigue du Tennessee, à chaque fois qu’il me voit, aime me rassurer et me dire que, d’après lui, je serais tout simplement un véritable génie, que personne n’a jamais rien écrit d’aussi chouette (en français dans le texte) depuis Victor Hugo, ou même, Lamartine ! Moi ? Un génie ? Mon cul, oui ! Un génie, c’est le petit Wolfgang qui jouait comme un demi-dieu du violon, ou de la clarinette à bec, ou bien composait un opéra à six ans à peine. Moi, à cet âge-là, je faisais du vélo, au parc, avec les deux petites roues, de chaque côté à l’arrière, pour ne pas me casser la gueule comme une merde ! Un génie ? Non, monsieur ! Un génie, c’est un Xavier Dolan, magistral, qui réalise son premier film à dix-neuf ans, c’est Rimbaud, sublime, qui écrit son « Bateau ivre » à tout juste dix-sept berges. C’est… ce n’est pas moi en tout cas ! Et encore moins aujourd’hui, où il fait bien trop chaud pour écrire quelque chose de génial. Beaucoup trop chaud…
— OK… c’est quoi, dans les grandes lignes, l’idée… ?
— Y’en a pas ! Tu as carte blanche ! Profites-en ! Lâche les fauves, mon vieux !
Carte blanche ? Faut pas me le dire deux fois…

Tarmac. Chaleur, transpiration. En arrière-plan : avion, gros n’avion, Boeing 747, Force One, la bannière étoilée sur la queue…
Arrive Joe Biden. Tribune, micros, plein de micros. Déclaration solennelle :
« Gne Gnje…(pause)… gnagna… gna gne… (pause encore)… gnla… gn… Guerre… !
Mouchoir blanc, sueur présidentielle, hymne national, trompettes, mains sur le cœur. Sortie du cadre à petits pas de vieux. Fondu enchaîné…
Hélicoptère. Gros n’hélico. Vroum-vroum, rase-mottes, casques mats, noirs, visières dorées dans un soleil éclatant. Joli. Très joli, les reflets dorés. Écussons en couleurs sur les bras, armement. Beaucoup d’armement. Impressionnant.
Le pilote, Jack Mitchell (ou bien peut-être Johnny Check ? Faut voir).
L’ acteur (Tom Cruise, ouais, il est pas mal, Tom Cruise… !).
— On va leur péter la gueule, chef !
Bing ! Crash, descente en flammes, détonations tout azimut, re-flammes, perte de connaissance, nuit noire, capture. Angoisse en contre-plongée…
Prison. Chaleur, moiteur, humidité, ça suinte de partout. Bestioles qui rampent, ça grouille. Un serpent sort d’un trou… ouais, pas mal, ça, comme idée, un serpent… Oppression. Interrogatoire musclé. Claques. Beaucoup de claques. Héros diminué, humilié, dégradé, malmené, torturé, et claqué donc, mais de magnifiques claques qui claquent, surtout pas des fausses de cinoche, faut qu’on est mal pour lui, que ça saigne du nez, des deux narines à la fois, mais, oui… c’est vrai qu’il est très beau, ce visage de Tom Cruise, tout couvert de sang, plein d’égratignures… (Penser au plan serré sur son nez sanguinolent).
Un méchant (accent slave, ou chinois, faut voir aussi) :
— Tu vas parler, ou on te laisse rôtir en plein cagnard… ?
Non ! Plus méchant que ça encore, notre méchant :
— Tu vas parler, ou bien on te coupe la langue… ?
La sentinelle (acteur de second ordre, mais avec une vilaine tronche pleine de balafres). Pas vigilante, la sentinelle. Bien baisée, la sentinelle. Elle n’y croyait pas, la sentinelle. Trop conne, la sentinelle. Égorgée en douceur…
Retour en territoire ami. Plein cadre. Honneur, patrie. Uniformes blancs, décoration, hymne national, tsoin-tsoin, fiancée en larmes. Beaucoup de larmes. Joe Biden, fier… ça compte, c’est toujours ça de pris pour le moral des troupes.
Et la fiancée, justement (Demi Moore ? Non, bien trop âgée maintenant… la petite Léa Seydoux, oui, c’est beaucoup mieux, super sexy, la p’tite Léa), robe à fleurs, une main posée, délicate, sur son bide :
— J’attends un bébé… ! (Ben, oui, voilà que c’est bientôt Noël)
Émouvant. Très émouvant. Sortez vos mouchoirs, tout le monde chiale sa race. Le Final, travelling arrière : soleil couchant, des militaires en fauteuil roulant, une nuée de petits drapeaux avec les étoiles dessus qui s’agitent, la fanfare militaire, lâché de ballons multicolores, beaucoup de ballons multicolores… Rideau ! Long générique de Fin. Très long générique de fin…

Dans la foulée, j’appelle Desplats (deux Oscars posés sur le piano Yamaha…).
— Dis, mon Alex, tu ne pourrais pas me faire un truc sympatoche sur le thème du « Stars-spangled banners » ? Un machin qui pèterait un peu fort dans les basses… avec des tambours, tu sais, les gros, ces énormes tambours du fond d’orchestre, ceux que j’aime bien, boum et boum ! Et que ton type n’hésite pas surtout, qu’il frappe bien comme un malade dessus, boum, boum, que ça résonne fort ! Du lourdos, quoi ! Comment ? Des violons aussi ? Oui, pourquoi pas, si tu penses vraiment qu’il en faut, tu peux en rajouter quelques-uns en fond de partition… mais léger, hein ? Oui, bon, voilà, c’est tout… non, t’inquiète pas, je te répète que tu peux forcer un peu la sauce, s’il le faut ! C’est pour les amerlocks, tu sais bien qu’ils adorent ça… des boumboums, y’en a jamais assez, z’en redemandent toujours, ces bourrins !
Un génie, Salgrenn ? Du talent ? Cela se saurait, non… ?!

Texte et photographie Ernest Salgrenn. Juin 2022. Tous droits réservés.

Twingo.

L’autre soir, je m’en va, seul comme un grand, au restaurant. Boui-boui local (spécialités de fruits de mer) sans aucune prétention, mais j’y ai mes petites habitudes, un peu comme ma sweet cantine. La patronne est assez jolie fille, le patron un peu moins, mais comme il reste la plupart du temps en cuisine, derrière ses fourneaux, ce n’est pas très grave. Et, depuis peu, ils ont embauché un commis-serveur-à-tout-faire, auquel il manque les deux dents du milieu (celles d’en haut, qu’on appelle les dents du bonheur lorsqu’elles sont bien écartées). Un brave gars, pas très cortiqué (Mais, n’en faut-il pas, aussi, pour faire un monde équilibré ?), qui vous remplit toujours ras bord votre verre, du « vin au verre », alors que sa charmante patronne ne le fait qu’à moitié. Remarquons ici, que cette formule, du « vin au verre », est plutôt une bonne astuce pour picoler au resto et ne pas trop se faire remarquer des quidams alentours. Si tu prends une bouteille pour toi tout seul et que tu te la siffles pendant le repas, cela se voit comme un nez rouge au milieu d’une figure d’ivrogne, tandis qu’en commandant, de façon discrète, un verre après l’autre, beaucoup moins. Enfin, ne cherchez pas, du moment que j’me comprends, c’est le principal !

Ce soir-là, il n’y a pas foule dans mon boui-boui de campagne. Pour être plus exact, je suis le seul client (nous étions en milieu de semaine, et de plus, la saison estivale, et son immonde flot de peigne-culs en short-chaussettes-savattes n’a pas encore débuté…). Jusqu’à ce qu’arrive un couple de touristes. Des Canadiens. Et pour être encore plus précis, un homme et un homme. Mais, rassurez-vous, je n’ai absolument rien contre les Canadiens, bien au contraire : dans l’ensemble, ils me plaisent beaucoup. Évidemment, vous me connaissez maintenant, d’un naturel sympathique et toujours avenant, j’eus très envie de faire connaissance avec ces deux zygotos d’outre-manche. Bon, en réalité, il est vrai que je me faisais surtout un peu chier en tête à tête avec mon chaud-froid de calamards-crevettes sur son lit d’algues printanières !

« Vous êtes canadiens, il me semble, non ? (affirmatif, je peux aussi être très con, des fois !)

— Oui… de Montréal !

Et patati et patata… ! Cinq minutes plus tard, je finis par m’incruster à leur table, cela s’avérant tout de même plus agréable pour converser normalement, c’est à dire sans être obligé de gueuler fort pour se faire comprendre (surtout qu’ils avaient choisi de s’installer à l’autre bout de la terrasse, ceci pour être plus tranquilles, j’imagine). Dans la foulée, je nous commande une bouteille d’un rosé du coin, qui mérite vraiment d’être connu, fruité et élégant, qui se boit sans soif, ou presque. Nous sympathisons assez vite avec mes deux cousins québécois. Bien sûr, et c’est une chance, vous l’apprendrez un peu plus loin, je ne leur révélais pas qui j’étais –je sais que je suis beaucoup lu, et très apprécié, là-bas aussi, cet immense pays où les nuits d’hiver sont encore plus longues que partout ailleurs dans le monde, et donc particulièrement propices à la lecture de romans fleuves– cela aurait sans aucun doute gâché la belle spontanéité de notre échange… Il y a, quelque fois, des moments dans la vie où il faut savoir se faire tout petit… !

— Tous les deux, mon ami Richard et moi-même, bossons dans le cinéma ! On est là en repérage, en location scouting, pour un film à gros budget… « Le coup du père François » que ça va s’appeler… !

— … Du père François… ?!

— Oui, c’est l’adaptation d’un roman à succès d’un gars de chez vous, un frenchie, qui a fait aussi un terrible carton au Canada… « Le coup du Dodo », c’est son titre original… !

Tel l’exprimait, et si profondément comme souvent, mon ami JCVD (Jean-Claude Van Damme) : « Je ne crois pas aux coïncidences ! ». Et il rajoutait même : « Je prétends que tout sur la Terre, sur la vie, sur l’univers… tout a une raison. Ton interview (c’était lors d’une interview sur CINM-TV, chaîne numérique du câble au Sénégal) avec moi, la température de l’eau, les tremblements de terre, la polution (avec un seul « L » dans le texte), les gens qui ont du mal sur la Terre, les gens qui ont du bien, c’est que des messages pour nous… »…

Bouleversé, je recommande une boutanche bien fraîche de rosé à l’idiot sans ses quenottes du haut. Fallait au moins ça pour faire passer à l’as toute l’émotion qui devait se lire dans mes yeux à ce moment-là… !

— Mais…

— Mais surtout…

— Mais surtout quoi… ?

— On aimerait tellement rencontrer l’auteur ! Ça s’rait tel’ment b’en, ça… !

— L’auteur… ?

— Oui, l’auteur, Ernest Salgrenn ! C’est pas qu’on a du front tout autour d’la tête*, nous autres avec mon pote Richard, mais on s’est dit que ça serait une sacrément bonne idée de le rencontrer pour qu’il nous aiguille un peu, qu’il nous donne des indications personnelles sur sa façon globale de voir les choses, qu’on en apprenne un peu plus sur sa vision de… !

— Et… ?

— Ben, pour tout vous dire, osti d’câlisse d’ciboire d’tabarnak ! c’est que c’est pas mariole d’le dégoter, not’guy !

— Ah bon… ? (oui, je suis aussi très doué pour jouer le mec qui tombe des nues !)

— Ça fait bientôt six semaines maintenant qu’on lâche pas la patate*, qu’on tourne en rond dans ce coin perdu, qu’on épluche même une à une toutes les boites à malle* du district, et malgré ça, tous nos efforts, pas moyen de mettre la main dessus !

— Et pourtant, sûr qu’on n’est pas resté à se pogner le bacon* de tout c’temps-là ! (rajoute l’autre, le Richard).

 »Pour vivre heureux, mieux vaut vivre bien planqué ! » a toujours été ma devise et cela depuis longtemps… c’est ainsi que je n’ai jamais étalé ma tronche nulle part, ni jamais donné d’indications précises (ou alors sinon… toutes fausses !) sur ma vie privée en général. Je cloisonne, et croyez-moi, le cloisonnement entre le privé et le publique, voilà bien le succès d’une tranquillité assurée. Ainsi, finalement, on connait très peu de choses sur moi, et ce n’est pas plus mal, la preuve en est, une fois de plus…

— Peut-être que vous…

— Qu’on devrait laisser tomber ? Non ! Pas question ! On a encore un petit espoir depuis qu’on a enfin dégoté un instantané de lui sur Facebook…

— Une photo ? Ce n’est pas possible !

— Comment ça… ?

— Non… je voulais dire… ah bon ? ce n’est pas possible… ? (modifiant l’intonation de ma voix…)

— Si ! Tiens, look-moi ça, man… !

Il sort alors une photographie de sa poche de chemise de bûcheron, à carreaux rouges et noirs…

— Merde… c’est mon beau-frère… !

— Comment ça… ton beau-frère ?

— Non… enfin non… ce n’est pas lui, évidemment… je voulais plutôt dire… Oh, ben merde, alors… c’est marrant… on dirait mon beau-frère ! En tout cas, si ce n’est pas lui… il lui ressemble beaucoup ! Mais, rassurez-vous, ce n’est pas lui, bien entendu… mon beau-frère n’a jamais écrit un bouquin de sa vie… il en serait d’ailleurs bien incapable, cet imbécile… mon beau-frère vend des poulets frits sur les marchés… des poulets… des gros poulets qui tournent et grillent pendant des heures sur une rôtissoire… et je vous ressers un petit coup de rosé… ?!

— Ouais, c’est pas d’refus… on est pas contre de se paqueter la fraise* ce soir, hein Richard… ?! parce que je crois bien que cette fois… on touche au but… ! Fini de niaiser avec le puck*… !

— Le puck ?

— Ouais, tu connais pas ? c’est la rondelle en caoutchouque du hockey sur glace… !

— … la rondelle… oui, oui, bien sûr… mais, attention… comme on dit par ici… une rondelle n’a jamais fait le printemps !

Je fais le malin, je plaisante, seule façon que j’ai trouvé pour l’instant de détourner l’attention de mes bûcherons, mais… nom d’une pipe ! Sur la photographie, vous n’allez pas le croire, c’est bien mon beau-frère ! Le cliché est flou, mais pas de doute, c’est bien lui ! Cet abruti pose devant ma bagnole, que je lui ai prêté (trop bon, trop con !) il y a quelques mois de ça, pour un soi-disant, ouvrez les guillemets, « Wiikène en amoureux », fermez les guillemets, avec ma frangine… Il sourit bêtement, une main posée sur le capot de l’Aston et l’autre dans la poche de son bermuda à fleurs… et j’imagine aisément qu’il a du se faire passer pour moi, histoire de se faire mousser la praline auprès de ses potes, et qu’au final, la photo a fini par se retrouver sur l’un de ces réseaux sociaux à la mords-moi-le-…

— Est-ce que t’as vu son char, à l’écrivain ?

— Le char… ?

— La Cadillac… c’est une Aston-Martin ! Un cabrio DB7… le genre de bolide qu’est vite sur ses patins à faire du train* !

— Oui, un jolie voiture, en effet…

— Et devine quoi… ?

— Quoi… ?

— Elle est garée devant, sur le parking… ! Alors, si ça, c’est pas comme un signe du destin ?!

— Bon… faut que j’aille pisser… changer l’eau aux poissons rouges… je reviens… bougez pas, j’en ai juste pour une seconde… !

Comme un coup de chaud, des vapeurs. Mais, c’est quand même vraiment pas de chance, vous l’avouerez ! Si leur piège à loup, avec ses grosses dents acérées, se referme, fini ta tranquillité, ma crapule d’Ernest ! C’est encore pire que le tétanos, ce qui va t’arriver, te v’là à deux doigts d’être découvert par ces enquiquineurs qui ne te lâcheront plus, c’est certain, trop heureux d’avoir mis à jour ta véritable identité… à moins que… Je chope le serveur édenté du bonheur, qui sort des cuisines, un plateau de fruits de mer dans les bras…

— Dites donc, mon brave… Non, non, ça va, il n’y a pas de souci avec le rosé… ! tout va très bien de ce côté-là ! Non, je voulais vous faire une petite proposition… qui va sûrement vous étonner, ça, c’est sûr ! mais… alors… hum… voici le deal…

Deux minutes plus tard, je reviens m’asseoir, beaucoup plus serein.

— Faites donc voir encore un peu votre photographie, là… oui, la photo… Mais, oui, c’est bien ça… Regardez mieux… c’est flou, mais… les dents du type… on dirait pas qu’il lui manque des chicots devant… ?!

— Tabernak… !

Je suis rentré en Renault Twingo. Jaune moutarde, pas ma couleur préférée…

*avoir du front tout le tour de la tête – avoir du culot
*ne pas lâcher la patate – tenir bon
*la boîte à malle – la boîte aux lettres
*se pogner le bacon – se branler la nouille, glander
*se paqueter la fraise – se bourrer la gueule
*niaiser avec le puck – tourner autour du pot
*être vite sur ses patins – démarrer au quart de tour
*faire du train – faire du boucan

Texte et photographie Ernest Salgrenn. Juin 2022. Tous droits réservés.

Chiasse Royale.

NDA : Ressorti des archives because c’est un peu d’actualité en ce moment… !

Et surtout ne cherchez pas « La Poluche » sur vos cartes de France… Vous vous fatigueriez pour rien car, même sur Google Earth la photo satellite du coin est complètement floue ! À croire que ce bled n’existe pas ! Et pourtant…

Et pourtant, c’est bien là que j’habite depuis une dizaine d’années maintenant, et où la seule véritable indication pour trouver l’endroit serait donc ce petit panneau en bois, que j’ai planté moi-même, tout en bas du chemin, à environ trois kilomètres d’ici, à l’intersection de la route départementale.
« La Poluche, route privée, accès interdit« … Au moins cela a le mérite d’être bien clair sur mon souhait à recevoir des visites !
Il y a seulement trois baraques dans ce hameau perdu. Dont deux en ruines. Quant à la troisième, je la retape, seul et avec des moyens qui sont plutôt limités. Mais, je ne suis pas pressé, j’ai le temps. D’ailleurs, le temps, c’est peut-être bien ma seule vraie richesse. Certes, elle s’épuise un peu chaque jour qui passe, mais en théorie il devrait m’en rester encore un chouia sur mon compte…
La Rolls-Royce noire, je ne l’ai pas du tout entendue arriver… À cause sûrement de la bétonnière, pleine ras la gueule, et qui tournait plein pot…
J’ai coupé le moteur de la bécane, et je me suis avancé, ma pelle à la main. Un type est descendu, tel une flèche, du coté droit de la bagnole. Deux mètres de haut à la louche, et la gueule toute rougeote, comme sortie d’un four à pizza.
Ohé, meusieu… Good morning… ! Escuisé mi… est-ce que vous… hum… water closet dans le maison à vous… ?!
Il est vrai que j’en ai vu quelques-uns, des frapadingues, des agités du bocal, des torturés des boyaux de la tête, dans ma vie ! J’ai même bossé pendant un certain temps dans un asile psychiatrique, c’est pour vous dire ma connaissance approfondie du sujet. Un job de dépannage, pas très bien payé, mais dès que tu avais bien repéré ceux qui avaient le droit de sortir du bloc, le soir (les soignants, comme ils se la racontait entre-eux), se révélait finalement assez cool…
Néanmoins, celui-ci, avait quand même l’air rudement tartiné.
— Dites… c’est bien une Phantom III, hein… ?! Ouaah… la grande classe, mon pote ! Mon grand-père avait exactement la même juste avant la guerre ! Mais, en 40, il l’a démontée en pièces détachées, et puis l’a coulée, morceau par morceau, dans du béton pour que les Bosch ne lui prennent pas ! Pas con, le vieux, hein… ?!
Le rougeaud enlève sa casquette, jette un coup d’œil à la bétonnière, puis à ma pelle, sur laquelle je suis appuyé…
— Yes Sir, Phantom III ! Mille neuf cent trente-sept, mais… j’insiste… avez-vous cabinet toilette… ?!
— Of course ! Sûr que vu comme ça c’est peut-être pas Versailles, mais quand même… J’ai l’eau courante et puis des chiottes qui fonctionnent pas trop mal !
— Good… Perfect ! Alors s’il-viou plaît… est-ce que la reine peut utiliser le toilette maintenant ?!
— Quoi ?! Qui ça… ?! La reine… ?! Mince, alors ! M’dis quand même pas que tu trimballes notre miss France là-dedans ?! Mais bien sûr, qu’elle peut venir caguer chez moi, ta p’tit’reine ! Attends un peu… y’a aussi Jean-Pierre Foucault avec… ?!
— Jean-Pierre Foucault ? But… who is Jean-Pierre Foucault ? No, sir, nous sommes seulement avec la queen Elisabeth two… Sa majesté et moi seulement dans le voiture !
L’après-midi s’annonçait pourtant plutôt bien, la ferraille était en place, et j’avais prévu de couler une dalle de cinq par dix et d’une épaisseur d’environ quinze centimètres. Tranquillo, pépère, la routine habituelle, quoi !
C’est à ce moment précis de mes réflexions intimes, et toutes maçonniques, que la porte arrière de la limousine s’est ouverte en grand…
— Et merde, tiens ! C’est la reine d’Angleterre… !
Sorry sir ! Merci biocoup de bien vouloir m’accorder la possibilité d’utiliser vos commodités… Je suis…
— La reine d’Angleterre !
— No… ! Enfin si, of course, que je suis la Reine ! Mais je voulais dire que je suis… ho, ho… comment vous le dire… em-bar-ras-sée ! Tout cela c’est à cou-ôze de le pastèque !
— La pastèque ! Pas, Le… mais… LA pastèque qu’on dit ! Avec, bien sûr, tout vot’ respect du à vot’ rang, mon altesse !
Elle se marre, la kouinne Elizabeth… ! Pour une fois, c’était peut-être bon signe, allez savoir, parce que généralement, le courant ne passait pas toujours très bien entre bibi et les têtes couronnées… Pour tout vous avouer, ce n’est pas trop ma came, les monarchies, n’arrivant pas bien à voir l’intérêt de conserver ces gens-là au vingt-et-unième siècle… pour résumer, en deux mots, disons que j’aurais plutôt tendance à être du bon côté de la guillotine… enfin bref… On n’est pas là non plus pour refaire le monde…
— Nous avons malheureusement mangé de la pastèque à midi et…
— Et maintenant, je parie ma paie contre la vôtre que vous avez chopé la cagagne ?! Faut pas vous inquiéter votre altesse sérénissime, c’est tout à fait normal, ça ! La pastèque, c’est comme le melon, faut vachement s’en méfier quand on n’a pas l’habitude ! Bon… j’vous montre le petit coin ?! Vous me suivez ? Faites pas trop gaffe à mon bordel… j’avais pas vraiment prévu d’avoir de la visite aujourd’hui ! Vous savez bien ce que c’est, hein ? quand on est à fond dans les travaux, on n’a pas trop le temps de faire le ménage tous les jours… !
M’a suivi gentiment, la Queen, son petit sac Kelly de chez Hermès à la main. J’étais fier, un peu comme un mec sans une seule thune en poche, qui viendrait de tomber par hasard sur un billet de cinquante euros flottant dans un caniveau. Ensuite elle a fait ses besoins. Comme tout le monde, je dirai. Puis, je lui ai proposé un verre d’eau, avec un Immodium lingual (à 2 milligrammes), retrouvé dans le tiroir de mon armoire de salle de bain, mais périmé depuis un petit moment quand même. Elle en a pas voulu de mon comprimé, mais, à la réflexion, je me dis que c’était peut-être pas plus mal, car si elle devait clamser la reine mère à cause de mon cacheton périmé, j’aurai probablement eu de sérieux ennuis ensuite avec les English, qui sont, et c’est bien connu du monde entier, Commonwealth y compris, jamais les derniers pour vous chercher des poux dans la tête… Perfide Albion, qu’on dit même, c’est pas pour rien, non… ?!
Comme elle n’avait pas l’air plus pressée que ça de repartir, maintenant qu’elle s’était soulagée, je lui ai fait faire un petit tour du propriétaire. Forcément, cela a du la changer un peu de son Buckingham Palace, mais elle a quand même bien aimé ma déco.
— Et je vous félicite aussi pour le choix de vos coloris, monsieur Salgrinne… vous avez le goût très sûr, il me semble… !
Et, ce compliment faisait toujours plaisir venant de quelqu’un comme elle, toujours fringuée comme une pochette surprise de la foire du Trône. Je trouva aussi qu’elle causait vachement bien le français, Elizabeth, et je le lui fis remarquer par politesse.
— Vous parlez rudement bien not’ langue, vot’ sérénité ! Encore mieux, peut-être, que Jane Birkin, qui vit pourtant chez nous depuis plus de quarante ans !
— Oh, mais je n’ai aucun mérite, car je parle tous les jours à mes chiens dans cette langue… j’ai remarqué qu’ils écoutaient bôcuiou mieux lorsqu’on leur parlait frenchy… !
L’anecdote méritait absolument d’être soulignée.
— Bon… je vous garderai volontiers à souper, ce soir, mais, j’ai bien peur de ne pas avoir grand-chose à vous proposer !
Sorry, c’est très gentil, monsieur Salgrinne, mais je ne vais pas pouvoir rester plus longtemps malheureusement… on m’attend à Nice, ce soir… une autre fois peut-être… Who know… ? Oui… qui sait… ?!


Avant qu’elle ne parte, la Queen, on a quand même fait un petit selfie. Tous les trois, avec son chauffeur, et puis la Rolls, dans le fond. Mais… je ne pourrai même pas vous le montrer… une mauvaise manip’ et… c’est vraiment trop bête… ! je l’ai effacé sur mon Iphone two… !

Texte et photographie Ernest Salgrenn. Juin 2022. Tous droits réservés.

C’est la photo floue !

Comme pas mal d’entre-vous, j’ai plusieurs cordes à mon arc. Bien sûr, vous connaissez depuis longtemps mes éminents talents d’écrivain, mais il se trouve que j’ai aussi une passion pour la photographie, la peinture, la sculpture, et depuis peu, le bûcheronnage d’art (ou Abattage Addictif de Grands Arbres en Pleine Santé (AAGAPS)).
D’ailleurs, la jolie photographie, qui illustre ce post, est de moi. Oui, i know, elle est floue ! Mais, ne vous inquiétez pas, toutes mes prises de vues sont plus ou moins floues, c’est le signe qu’elles sont réussies.
Je suis myope. Depuis tout petit, mais au début, vers huit ou neuf ans, je ne le savais pas encore. À l’école communale, las de plisser, du matin au soir, les paupières, pour voir quelque chose à plus de cinq mètres de distance, je copiais ce qui m’était alors impossible de distinguer au tableau noir, sur le cahier à petits carreaux de mon voisin. Notons, par ailleurs, que l’instituteur avait eu la bonne idée de me placer tout au fond de la classe, jugeant certainement que je levais le doigt un peu trop souvent qu’à mon tour pour lui poser des questions auxquelles il ne savait généralement pas trop quoi répondre. C’est finalement une visite médicale scolaire et la table du docteur Monoyer qui m’a sauvé d’un échec scolaire assuré. « Z, U »… je me souviens encore de sa dernière ligne, tout en bas, et en très grosses lettres, la seule que j’arrivais à lire à cette époque !
L’on m’a ensuite refilé une jolie (mais très moche, aussi) paire de lunettes correctrices, qui, il faut bien le dire, a considérablement changé ma vie, car, sortant du brouillard et profitant de cette nouvelle capacité extraordinaire à bien voir de loin, et n’ayant surtout plus besoin de perdre du temps à recopier sur mon idiot de voisin, je passais dorénavant mes journées entières à mater en détail une petite beauté du premier rang ! Charlotte Le Coz, qu’elle s’appelait, cette gamine. Fille unique du plus grand propriétaire terrien de la région (et gros producteur de choux-fleurs). Premier choc amoureux donc, mais aussi premier gros râteau de ma vie… cette petite peste couverte de taches de rousseurs (Beurk ! les cacas mouches !) n’ayant jamais daigné m’accorder la moindre attention, préférant se ranger derrière la bande d’imbéciles heureux qui me traitaient maintenant en rigolant de « Quat’z’yeux » dans la cour de récréation ! Enfin, bref, revenons à la photographie…
Oui, il s’agit bien d’un caillou ! J’adore photographier les cailloux. Je les collectionne aussi. J’ai souvent les poches pleines de cailloux au retour de mes ballades champêtres. Celui-ci est plus exactement un galet. Le galet n’est plus tout à fait un caillou comme les autres : le galet est un caillou qui a du vécu, qui a roulé ses bosses, qui a fait de nombreuses fois le tour de la question…
Celui-ci, et cela ne se voit pas du tout sur la photo en noir et blanc, je l’ai peint en bleu. Le bleu est ma couleur préférée. J’aime le bleu plus que toutes les autres couleurs.
Celui-ci provient du lit de la Durance. Ce n’est pas marqué dessus, mais je le sais. Je peux ainsi vous dire sans me tromper la provenance de tous mes cailloux et de tous mes galets ramassés à droite et à gauche. Certains viennent de loin. J’en possède même un, tout noir, trouvé dans le désert d’Atacama (c’est au nord du Chili, pour les ignares qui ne savent pas) qui vient de l’espace. Ouais, de l’espace, vous dis-je… !
J’aime bien photographier les insectes aussi. On dit faire de la « Macro », dans le jargon des photographes. C’est plus difficile que les cailloux, certes, car bien souvent ils bougent beaucoup plus, mais comme le résultat au final est toujours flou, cela n’est pas très grave en soi. En ce moment, nous avons énormément de mouches, par ici. C’est l’époque, fin Mai, début Juin. La mouche est un animal fort intéressant pour le photographe amateur que je suis. Plus commune, donc beaucoup plus accessible que la panthère des neiges, par exemple, mais tout aussi photogénique, je trouve. Surtout les mouches bleues, qui sont, vous vous en doutiez, mes préférées…
Charlotte Le Coz, je l’ai appris, par hasard, il y a quelques années de ça, s’est finalement mariée avec l’un de ces petits boutonneux et imbéciles heureux qui se moquaient de moi au CM1. Il lui a fait trois gosses d’affilée, qu’elle a élevés seule, ce dernier ayant préféré se projeter, un samedi soir, contre un poteau électrique (en béton armé) avec trois grammes et demi dans le sang… C’est con, des fois, la vie, vous trouvez pas… ?!

Texte et photographie Ernest Salgrenn. Juin 2022. Tous droits réservés.

Post-Mortem.

(Inspiré de faits réels…)

St Julien d’Emphasy. 9h30 du matin, Mardi 3 Juillet. Jour de marché.

« Saloperie de distributeur ! »
Comme tous les Mardi, je veux retirer mes 100 balles dans le nourin automatique du Crédit National de la Gascogne, place Georges Pérec, mais voilà que ce matin, la bécane à biftons vient de m’avaler tout cru ma carte bleue… !
« Carte non valide ! Prière de vous adresser à votre Agence. »
J’entre.
« Bonjour, monsieur, que puis-je faire pour vous ? »
— Bonjour, Madame… Et j’explique l’histoire.
— Bougez pas, on va vérifier ça tout de suite…
Et j’attends. La dame revient au bout d’un moment avec un type en costume sombre, clampin qui doit être le directeur de l’agence, cela ne fait pas de doute, vu sa tronche de premier de la classe.
— Monsieur… ?
— Gianni Belafonte, lui-même !
— Vous en êtes sûr… ?
— Un peu mon neveu, que j’en suis sûr ! Alors ? Ma carte bleue, vous allez me la rendre, ou pas, c’est que j’ai encore mon marché à faire, moi ?!
— Non… !
— Comment ça, NON ? C’est quoi le problème avec ma carte ?
— Votre compte a été clôturé la semaine dernière…
— Comment ça, CLO-TU-RÉ ?
— Oui, clôturé… c’est la loi après un décès…
— Un décès ? Mais, quel décès ?
— Le vôtre, monsieur Belafonte… le vôtre… !
— Vous vous foutez de moi, là ? Bon sang, vous voyez bien que je ne suis pas mort, c’est moi, là, devant vous… tenez, regardez ma carte d’identité… alors ? Vous voyez bien que c’est moi et que je suis donc toujours vivant !
— Désolé… mais cela ne prouve rien ! Nous avons reçu un avis officiel de l’administration, la semaine dernière… si vous n’êtes pas décédé… il faut voir ça avec eux !
— L’administration ? Mais, quelle administration ?
— L’administration centrale…
— Bon… je veux parler à mademoiselle Lonbini, ma conseillère… elle me connait, elle, alors je suis certain qu’elle pourra vous le confirmer que c’est bien moi !
— Désolé… mademoiselle Lonbini ne travaille plus dans notre agence, elle a été mutée à Paris, au siège central…
— Mutée ? Voilà bien ma veine, tiens ! OK… pour ma carte bleue, ce n’est pas grave, vous pouvez la garder si cela vous chante… mais je vais retirer tout mon pognon… oui, c’est ça… donnez-moi tout mon fric jusqu’au dernier centime… et tout ce qu’il y a sur le livret A aussi, pendant qu’on y est !
— Je crois que vous n’avez pas bien compris, monsieur Belafonte… je viens de vous dire que pour nous, vous n’existez plus… ! d’ailleurs, inutile d’insister, votre solde a déjà été transférer sur la caisse des dépôts et consignations, et c’est maintenant votre notaire qui doit s’occuper de votre succession… Voyez plutôt avec lui…
— Mon notaire ? Mais, bougre d’âne, je ne sais même pas qui est mon notaire !
— Maître Gras… 3 rue des pieds paquets… mais ne dites surtout pas que c’est moi qui vous l’ai dit, je pourrai avoir de gros ennuis en trahissant ainsi le secret bancaire…
Je sors de la boutique. Pas la peine de perdre mon temps, j’ai bien compris qu’ils sont butés. Direct chez ce notaire, comme c’est à seulement deux pas d’ici, autant régler cette stupide affaire le plus rapidement possible…
— Monsieur Belafonte, je voudrais voir Maître Gras, c’est très urgent !
— Vous avez un rendez-vous ?
— Non ! Mais c’est une histoire de vie ou de mort… et surtout de mort d’ailleurs… ! Dites-lui qu’un certain monsieur Belafonte Gianni est là, bien vivant, en chair et en os, et vous verrez… je suis sûr qu’il acceptera de me recevoir… !
— Très bien… patientez, je vais voir…
Et j’attends. Avec mon cabas, toujours vide… Dix minutes plus tard, la secrétaire revient.
— Suivez-moi, maître Gras va vous recevoir…
Je suis.
— Entrez donc, cher ami… alors comme cela, vous ne seriez pas mort ?
Gras est gras. Très gras. Et très antipathique aussi.
— Oui, toujours bien vivant ! Et en pleine forme ! je tourne sur moi-même, qu’il se rende bien compte du bestiau.
— Bon… cette affaire est claire comme de l’eau de roche… encore une de ces grossières erreurs de l’administration centrale… ! Alors, asseyez-vous et voyons donc un peu ensemble ce que nous pouvons faire maintenant pour vous sortir de là… !
— Et surtout d’abord… qu’on me rende mon pognon !
— Oui… bien sûr, bien sûr, mais avant cela, il faut rétablir votre existence au yeux de l’administration centrale… et ce n’est pas aussi simple que ça en a l’air en premier lieu, vous pouvez me croire, par expérience en la matière… !
— Mais…
— Avez-vous déjà un avocat ? Il vous faut absolument un avocat, monsieur Belafonte… !
— Un avocat ? Mais pour quoi faire un avocat ?
— Pour vous défendre devant le tribunal administratif, évidemment ! Allons donc, vous n’espérez tout de même pas que la chose va se régler aussi simplement ? Peut-être même devrez-vous aller vous battre ensuite devant la Cour Européenne des droits de l’homme… ce n’est pas impossible, je les connais, ils ne lâcheront pas l’affaire aussi facilement, l’administration française a toujours eu beaucoup de difficultés à reconnaitre ses erreurs… ! Ils feront durer les choses, c’est une évidence… !
— Mais… et avec un certificat médical… ?! Un docteur… oui, mon docteur, il pourra leur dire tout de même, que je suis vivant ?! Ça fait bien partie de son boulot, non, que de constater si les gens sont vraiment morts ou pas ?
— Vous avez raison… votre juge désignera certainement un expert, peut-être même plusieurs, afin de déterminer avec certitude l’état réel dans lequel vous vous trouvez…
— Un expert ? Et qui le payera… ?
— Mais vous, monsieur Belafonte ! Quelle question ! Qui voulez-vous d’autre paye les experts, sinon les plaignants ?! Il rit de bon cœur, le gras-double. J’ai très envie de me le faire…
— Cela risque d’être compliqué… maintenant que je n’ai plus un rond !
— Peut-être pourrez-vous emprunter un peu d’argent à vos héritiers… ? Cela se fait parfois…
— Mes héritiers ?
— Oui, dès l’instant où votre succession sera entérinée, cela devrait prendre six à huit mois tout au plus… et pour vous être agréable, je pourrais faire accélérer les choses… il me suffira d’en toucher deux mots au Greffe… vous avez de la chance, j’ai une connaissance, là-bas… !
— Six mois… six mois… merde, c’est quand même vachement long six mois… !
— Oui, certes, mais, en attendant, avez-vous trouvé quelqu’un pour vous héberger pendant ce temps-là ? À ce propos, si vous pouviez me rendre les clés de votre appartement, cela nous ferait gagner du temps sur la procédure en cours… !
Je me suis sauvé… en cour…rant ! Procédure, procès en première instance, demande gracieuse, ministère public, tribunal d’instance, recours superfétatoire, frais de justice, révision de jugement, sursis moratoire, cour de cassation, autorité de la chose jugée, citation à paraître, notification, contentieux, constatation, débouter, rejeter, interjecter, délibérer, renvoi, code de procédure pénale… article 6… articles 117… 121… ?
Trois mois plus tard.
Je sonne. J’entends des pas derrière la porte. Elle ouvre.
— Oui, c’est pour quoi ?
— Belafonte Gianni… vous savez qui je suis ?
— Non, pas du tout !
— Ce pauvre type que vous avez tué ! Alors, ça ne vous dit rien ?! Décédé… c’est bien vous pourtant, la petite croix dans la case « décédé » dans mon dossier des Assedic… une simple petite croix au stylo à bille noir…
— Je ne vois pas du tout de quoi vous voulez parler… laissez-moi tranquille ou j’appelle la police… !
— La police ? Mais qu’est-ce que j’en ai à foutre, ma vieille, de la police ?! Rien à foutre de la police et même de la justice ! Je suis mort ! Canné, t’entends, et par ta faute, connasse ?! Et l’article 6, du code de procédure pénal, ça ne te dis rien, non plus ?
— … Non… !
Je sors le papelard de ma poche.
— Alors, écoute bien… article 6… mais surtout les articles 117 et 121 du code pénal… excuse-moi, je préfère lire, des fois que j’oublierais quelque chose d’important… : «l’assignation délivrée à une personne décédée est affectée d’un vice de fond, la rendant nulle.» En clair, pour que tu comprennes bien, ma petite dame, juger un mort au pénal, ce n’est pas possible ! Le décès de la personne poursuivie est une cause d’extinction de l’action publique… alors, aujourd’hui, à ton tour de voir comment ça fait d’être mort…
Je sors mon flingue de mon autre poche, j’arme et je tire… allez, au suivant…

Texte et photographie Ernest Salgrenn. Mai 2022. Tous droits réservés.

La panthère des neiges. Sylvain Tesson.(Dans la continuité de mes critiques littéraires hyper-chiadées)

« Il faut que tout change, pour que rien ne change« , célèbre formule de l’écrivain Giuseppe Tomasi di Lampedusa qu’on trouve dans son unique œuvre « Le Guépard ». De guépards, de véritables, et non pas ce vieil aristocrate sur le déclin, le prince Fabrizio, héros du flamboyant roman, j’eu la chance incroyable d’en rencontrer toute une bande. Trois, plus exactement. Et encore bien plus extraordinaire… nous avons chassé ensemble… !
Bien entendu, je ne cours pas aussi vite qu’un guépard, loin de là, mais pour compenser je disposais alors d’une carabine de gros calibre !
Certes, j’en conviens avec vous, la réflexion arrive un peu comme un cheveu dans la minestrone… mais qui se souvient encore aujourd’hui de Claude Bertrand ?! Oui, qui ? Peu de gens, sans doute ! Cet acteur oublié fut pourtant la voix française de Burt Lancaster dans le film « le Guépard » de Visconti. Mais aussi de bon nombre d’autres, comme Roger Moore, Bud Spencer, John Wayne, Charles Bronson, et j’en passe et des biens meilleurs qu’eux, tel, pour ne citer que lui, le capitaine Haddock dans « le Temple du soleil »…
Mais, revenons à nos moutons, ou plutôt à nos guépards… ! Mes trois orphelins (leur mère avait été tuée par une lionne), élevés au biberon, ronronnaient comme de vulgaires chatons. À peine sevrés, de la chasse, ils ne savaient rien, et il était indispensable de tout leur apprendre, condition sine qua non à leur hypothétique retour vers un état sauvage. Mon guide de brousse, Ted, afrikaner de souche, s’en chargeait avec beaucoup d’application et de méthode. Ted, enfant de la savane, du busch, de l’outback sud-africain, connaissait tout de ces animaux sauvages, aussi, qui, à part Ted, aurait pu s’en charger ? Personne d’autre, je crois…
Quant à moi, pris d’une soudaine lubie, comme cela m’arrive si souvent (et cela fait tout mon charme, n’est-ce pas ?), je décidai donc de participer à un safari, me donnant l’occasion d’inscrire à mon tableau de chasse, encore vierge, les si fameux big-five d’Ernest Hemingway (Les vertes collines d’Afrique. Récit autobiographique. 1935) …

À certains égards, l’Afrique du sud est un bien étrange pays. Mon hôtel de transit, dans la banlieue immédiate de Johannesbourg, était entièrement cerné de fils barbelés et d’une haute clôture électrifiée. Pour y pénétrer, nécessité absolue de montrer patte blanche (la métaphore poétique sera appréciée, merci…). Fort heureusement, car d’un naturel dépressif depuis l’enfance, je ne séjournai que très peu de temps dans ce bunker, rejoignant assez vite ma destination finale, un lodge de luxe au sein d’une réserve privée, à quelques encablures seulement de l’emblématique parc Krüger. Quelques fois, à la tombée de la nuit, des compagnies d’éléphants y venaient s’abreuver dans la piscine en forme d’ haricot géant. Le pittoresque de la vie sauvage. Curieusement, on m’apprit, dès le premier soir, que les hyènes tachetées étaient les animaux les plus redoutés ici, par les autochtones. J’affirmais, à la surprise générale, qu’à Paris, il en allait de même !
Je pris assez vite mes marques, le bar était remarquablement achalandé. Et, de bonne constitution, je sympathisais avec mes hôtes, un couple de français fortunés, issus du monde du cinéma. Cinéma documentaire animalier plus exactement. Disons que je n’avais de prime abord aucun à priori concernant le cinéma documentaire, qu’il soit animalier ou d’autres horizons, bien au contraire, Madame était tout à fait charmante.
« Nous avons longtemps travaillé avec Bougrain-Dubourg… m’apprit-elle, en souriant.
— Qui donc ?
— Bougrain-Dubourg…
— Vois pas…
— La L.P.O… ?
— Non plus !
— … Catherine Ceylac, Brigitte Bardot, Jeanne Manson… (en rapprochant ses deux index…)
— Ah, oui, OK, sa tête me revient maintenant !
Nous chassâmes, donc. Mais, rassurez-vous, âmes sensibles, je ratais à chaque fois ma cible et rentrais toujours bredouille.
— Hey, j’ai crôa, Ernest, qué tou manquérais ouneu bouffle dans un kouloir dé métro… ! me dit un jour, Ted, l’accent boer moqueur.
— Hakuna Matata, Desmon Toutou ! lui répondis-je, seuls mots que je connusse alors dans son idiome natal. Mais, il n’avait pas tort, mon Ted : alcoolisme congénital et précision balistique font assez rarement bon ménage… à l’inverse, et vous sourirez très certainement en lisant ceci (je commence à vous connaitre…), je fus, une fois, moi-même, considéré comme une vulgaire proie par l’un de mes potentiels gibiers. Un énorme éléphant mâle, en rut, et l’éléphant mâle en rut n’a jamais très bon caractère, cela est reconnu, nous chargea un jour. Vif, j’échappai de peu au piétinement du mastodonte en furie hormonale… ce qui, entre parenthèse, m’aurait chagriné au plus au point, bien que ne niant pas le fait aujourd’hui, que si cela eut dû se produire, il aurait ajouter à ma légende personnelle (déjà bien étoffée) un petit plus non négligeable.
Au bout d’une semaine à peine, je m’ennuyai déjà. Les cocktails à base d’amarula (Sclerocarya birrea), mes tirs ratés, ainsi que la fidélité obstinée de Clarisse (mon hôte, l’ex-court-métragiste éco-guerrière) finissaient par me donner le spleen, voire la nausée. Je caressai une dernière fois mes trois jeunes félins aux yeux tristement bordés de noirs, se prélassant, insouciants, au bord de la piscine en forme de rein géant, rangeais ma Winchester et sa cartouchière emplie de dum-dum sur son râtelier rustique en cornes d’impala, et fis mes bagages…
Quelques mois plus tard, j’appris par hasard qu’aucun des trois jeunes guépards n’avait survécu. Tombés, une nuit sans lune, dans le guet-apens d’une meute de hyènes affamées, ils furent dévorés l’un après l’autre…
Ma peine fut immense en apprenant leurs fins tragiques. Et parfois, je me dis que, finalement, ce Lampedusa avait bien raison : tout évolue mais rien ne changera jamais dans ce monde…

Texte et photographies Ernest Salgrenn. Mai 2022. Tous droits réservés.

OLYMPUS DIGITAL CAMERA

Moquette (Petite moquerie).

Cette robe moulante « boule à facettes » est du style à vous filer une migraine ophtalmique carabinée. J’ai bien fait de garder mes lunettes de soleil sur le nez. D’ailleurs, je ne les quitte pour ainsi dire jamais en public. Lorsqu’on me demande pourquoi, et c’est assez souvent, je réponds très humblement que j’écris des choses tellement brillantes que cela est indispensable si je ne veux pas m’aveugler moi-même… et ils se marrent, bien sûr, les cons !
Je n’ai jamais vu une cérémonie d’ouverture aussi chiante…
Pourtant, Virginie, « Miss Glamour » collée d’office ce soir, fait malheureusement ce qu’elle peut dans cette robe stroboscopique qui la boudine. J’en possède plus de deux cents cinquante paires. Je parle de mes lunettes de soleil. Hier soir, dès mon arrivée dans ma suite du Martinez, je les ai toutes rangées soigneusement dans les deux commodes à quatre tiroirs, installées spécialement pour cela à ma demande. C’est ma marotte, les lunettes de soleil. Et les chapeaux, aussi. Et les montres de luxe, en or de préférence. Et les boules à neige, mais ça, c’est depuis plus longtemps, bien avant que je ne sois connu.
« Je ne sais pas si tu es au courant mais on a vendu les droits aux américains, la semaine dernière…
Lui, assis à ma droite, c’est Samy, Samuel Bensoussan, le producteur du film. Un con. Bourré de fric, mais un con quand même.
— Non, je savais pas… c’est bien, alors ?
— Un peu, mon vieux ! Ils pensent l’adapter dès le début de l’année prochaine… tu vas être riche !
— Je le suis bien assez déjà !
— Mais non ! On en a jamais assez, du fric… crois-moi !
Définitivement con, le pauvre (sic).
— Et ils ont déjà une idée pour les rôles principaux ?
— Ils y réfléchissent… Peut-être Jane Fonda dans celui de BB… pas sûr encore… elle se tâte…
Jane Fonda se tâterait… la belle histoire que voilà… !
Clap de fin, et ce n’est pas trop tôt, j’étais à deux doigts de me barrer.
— Tu viens prendre une coupe avec tout le monde avant de rentrer à ton hôtel ?
— Non, je ne crois pas, les mondanités, c’est pas trop mon truc, tu le sais bien… et puis je suis crevé, j’ai très mal dormi cette nuit…
— OK, on se voit demain soir alors, en bas des marches… ?
— Ouais, c’est ça… en bas des marches…
Je file en douce par derrière, et rentre à pied jusqu’au Martinez. Des dizaines de zozos refluent vers leurs campings périphériques, appareil photo autour du cou, un escabeau en alu sous le bras. L’escabeau est un outil bien pratique ici pour faire de belles photos de stars. On est au-dessus du flot commun avec un escabeau en aluminium. Et ceux à quatre marches, sont le top du top… D’ailleurs, il faudra peut-être que je m’en achète un, un jour prochain…
À la réception, derrière son comptoir, le type aux clés d’or me sourit de toutes ses dents refaites.
« Alors… ? Mes trois valises manquantes sont-elles enfin arrivées ?
— Non, désolé, monsieur Salgrenn, mais on fait le nécessaire, je vous l’assure… elles sont parties à Rome… une erreur d’aiguillage à Roissy, très certainement…
— Je compte sur vous… tous mes smokinges sont à l’intérieur… et ma collection de boules à neige, aussi… et j’y tiens beaucoup, vous savez, à mes petites boules… !
Il en a certainement vu et entendu bien d’autres, des excentricités de ce genre, mais il se marre quand même. Pro jusqu’au bout, l’homme aux clés d’or.
Le groom de l’ascenseur me sourit aussi. Monter, descendre… monter, descendre…
J’enlève mes chaussures vernies, prend un peu d’élan, et m’affale direct sur le plumard, tel une orque de quinze tonnes du Marineland d’Antibes.
Cinq minutes plus tard, on frappe. J’ouvre en chaussettes. C’est Virginie.
« … J’peux entrer, Ernest… ?
— Bien sûr, je me reposais… !
Je tire les rideaux, baisse un peu l’intensité des lampes, et remets mes lunettes sur le nez, par sécurité. Elle s’assoit au bord lit.
— J’ai été nulle, hein ? J’en chialerais presque, tiens… !
— Mais, non… l’exercice n’est pas facile, tu sais… et au contraire, j’ai trouvé que tu t’en étais finalement plutôt bien sortie… !
Elle n’est pas conne, elle devine bien que je mens.
— Non… j’ai été nulle, je te dis… tout le monde va se foutre de moi maintenant… !
— J’aime tellement ton accent…
— Demain soir…
— Oui… quoi, demain soir… ?
— BB… elle sera là pour monter les marches ?
— Normalement oui… elle me l’a promis en tout cas… pourquoi ?
— J’aimerais tant lui parler, lui dire qu’elle est si formidable, qu’elle est…
— Et tes cuisses…
— Quoi… qu’est-ce que tu racontes… qu’est-ce qu’elles ont mes cuisses ?!
— Tu as des cuisses magnifiques…
— Et ta femme ?
— Elle est restée à Saint-Rémy de Provence… en ce moment, le jardin l’occupe beaucoup… Les pivoines… elles sont si exigeantes, ses sacrées pivoines…
— Bon… tu m’offres quelque chose à boire… ? Je crève de chaud… avec cette chaleur, trente cinq degrés un mois de Mai… c’est un peu dingue, non ?
— Tu aurais pu aussi faire le journal météo… avec cette robe fendue, succès assuré… !
— Tu fais chier ! T’es pas gai, tiens ! Je viens te voir pour trouver du réconfort, pour que tu me remontes le moral, et tu ne trouves qu’à me causer de mon accent belge, de mes grosses cuisses, et maintenant voilà que tu m’imagines en Miss météo…
J’ouvre le frigo.
— Champagne ? Roederer rosé…
— Non… une bière plutôt… y’a des bières… ?
— Non… je ne crois pas… ce n’est pas trop le genre de la maison, les roteuses… ! Y’a du Perrier, sinon… tu veux pas un Perrier… ?
Elle enlève ses pompes dorées à talons.
— Dis… t’as pas une paire de pantoufles à me passer ? Il y a toujours une paire de pantoufles dans ces hôtels de luxe…
— Tu ne comptes pas t’installer ici tout de même ? J’voudrais pas qu’on jase…
On frappe encore. J’ouvre, toujours en chaussettes. C’est Vincent.
— Salut… je te dérange pas… j’peux entrer… ?
— Bien sûr, je me reposais… !
Il aperçoit le cul de Virginie, la tête dans le frigo, qui a fini par dégoter une paire de pantoufles en peluche blanche immaculée.
— T’es bien sûr que je dérange pas… ?
— Certain !
Je le tire par la manche. J’adore Vincent. Voilà bien, un gars qui a la classe. La grande classe…
— Magnifique ton discours ! Toujours les mots justes, parfait, une fois de plus !
— Je te rappelle tout de même que c’est toi qui me l’a écrit ce discours… !
— Cherche pas, Vincent… ce soir, il a décidé de faire le malin ! Môsieu Salgrenn, fait son intéressant !
— Bon… Champagne, Perrier, Whiskey… ?
— De l’eau… et non gazeuse si possible… je viens te voir pour l’éléphant…
— Quoi… y’a un problème avec l’éléphant ?
— (Grimace, tics…) Ils veulent pas… !
— Comment ça… ILS veulent pas ?
— Pour des raisons de sécurité… trop dangereux… ils flippent grave…
(Re-grimace, tics…) ils pensent que ce n’est pas une très bonne idée que de vouloir faire monter les marches à une éléphante de quatre tonnes…
— Mais, tu plaisantes là… ! Depuis soixante-quinze ans, il y a déjà tout un tas de grosses vaches en robe de soirée à froufrous qui l’ont fait, non ? Perso, je ne vois pas trop la différence ! Et puis la patrouille de France en radada pour épater cet abruti de Cruise ? C’est peut-être pas dangereux, ça, des fois, hein ?! Pas dangereux, la patrouille de France ? Me font chier, tiens… !
— (Grimace,tics)
— Et pour les chihuahuas… ? Me dis pas qu’ils n’en veulent pas non plus ? Là, je te promets que je monte au créneau s’ils refusent aussi pour les chihuahuas ! C’est pas compliqué… j’annule BB s’ils disent non aux chihuahuas !
Je me jette sur le téléphone.
— Allo ? La réception ? Oui… ? Non ! Pas du tout, je n’appelle pas pour mes valises ! Ah bon… vous les avez retrouvées finalement ? C’est parfait ! Faites-les monter, alors ! Et puis, passez-moi Lescure… et vite… !

De mémoire de festivalier, on avait encore jamais vu ça… le service d’ordre fut totalement débordé… une émeute incontrôlable… mais notre BB nationale fut admirable, épatante, digne, sans peur, grande dame d’entre toutes. Juchée sur son éléphante, une ombrelle de soie à la main, elle gravit une à une les marches sous les hourras…
Bon, c’est vrai, on n’a pas chopé la palme, cette année, mais qu’est-ce qu’on s’est bien marré !

Texte et photographie Ernest Salgrenn. Mai 2022. Tous droits réservés.

Titine au pays des Soviets.

(Sur un air de reggae).

La place rouge était rouge.
Le sang faisait un tapis.
Wagner dans les haut-parleurs
Haut les cœurs ! Hourra ! Hourra !
Des cadavres dans la Moskova
suffit à ce que le barbare rit.

Le joli mois de Mai
Dans les plaines d’Ukraine
Au pas de l’oie cadencé
Qu’a dansé… qu’a dansé…

La place rouge était noire.
La mort y faisait un miroir.

Texte et photographie Ernest Salgrenn. Mai 2022. Tous droits réservés.

Concerto N°3.

Jean-Jacques est un gentil garçon. Il fait toujours ce qu’on lui demande sans rechigner. Jean-Jacques travaille dans une usine spéciale. Très spéciale.
Jean-Jacques fabrique des ressorts, ou plus exactement, un ressort. Un ressort très spécial, lui aussi, le ressort modèle-type TZ.2302.D.
Cette usine où travaille Jean-Jacques tous les jours est située en pleine campagne. À l’écart, loin de tout. Le long du chemin d’accès à cette usine, on y aperçoit souvent des chevreuils. Quelques sangliers, aussi. « Charmant et bucolique… », aime à se répéter Jean-Jacques, chaque matin, lorsque le bus vert kaki le dépose sur le parking de son usine si bien cachée au fond des bois. Après la fouille au corps et le passage au détecteur de métaux, Jean-Jacques se rend au vestiaire et enfile avec beaucoup de soin sa tenue de travail. « Mon bel habit de lumière » ! se moque-t-il parfois en revêtant la combinaison intégrale et aseptisée, d’où rien ne doit dépasser. Puis, il se rend dans son atelier, d’où il ne sortira pas, le plus souvent, jusqu’à la fin de sa journée de travail.
Jean-Jacques joue du violon. Depuis l’âge de cinq ans environ. Le violon est un instrument de musique formidable mais très difficile à maîtriser. Bien plus difficile que le piano. Et encore bien plus que la guitare sèche ou même le banjo, cela va sans dire. Cependant, Jean-Jacques joue toujours le même morceau, indéfiniment, inlassablement, le concerto numéro 3 de Wolfgang Amadeus Mozart. Un morceau qui, si on respecte le tempo, dure très exactement sept minutes et quatorze secondes. Pas une de plus, pas une de moins, sept minutes et quatorze secondes pour atteindre la perfection, et donc, le bonheur selon Jean-Jacques !
La perfection, c’est ce que requiert également le ressort modèle-type TZ.2302.D, qui doit être taré très précisément à un, virgule, cinq cent quatre-vingt quatre Newton. Cela est primordial, surtout pas un centième de Newton de plus ou de moins, et c’est là toute la difficulté du travail de Jean-Jacques. Un, virgule, cinq cent quatre-vingt-quatre Newton…
Jean-Jacques n’a jamais été marié. N’a même jamais eu d’aventure sérieuse. Jean-Jacques vit seul dans son petit appartement qui donne sur la place du marché. Seul avec son chat. Un gros chat roux qu’il a fait castrer pour ne pas avoir d’ennui avec les voisins. Jean-Jacques est un gentil garçon, un peu perfectionniste, qui ne veut surtout pas avoir des ennuis avec ses voisins. Ni avec personne d’autre. D’ailleurs, le soir, lorsqu’il joue du violon, c’est toujours modérato. C’est un peu frustrant, mais Jean-Jacques ne veut pas déranger les gens. Un petit bonheur en sourdine en somme, mais peu importe, Jean-Jacques, cet homme que personne ne remarque, est finalement très heureux comme ça.
Le ressort modèle-type TZ.2302.D est une pièce très importante. Peut-être même la plus importante du mécanisme dans lequel il vient s’insérer, lui a-t-on expliqué. Une lourde responsabilité repose donc sur les épaules de Jean-Jacques. De ça, il en a parfaitement conscience, et, comme on le lui a précisé de si nombreuses fois, un seul centième de Newton de pression en plus ou en moins et cela ne fonctionnera pas comme il faut. Le mécanisme s’enrayerait à coup sûr… Alors, Jean-Jacques s’applique, et il n’y pas meilleur que lui pour donner une forme parfaite à ses ressorts en titane. Jean-Jacques est un spécialiste incontesté de la spire. « Pour le meilleur et pour la spire ! » s’en amuse-t-il gentiment parfois, car il peut avoir de l’humour, même s’il ne le partage malheureusement avec personne. En effet, Jean-Jacques n’a pas d’ami. Un chat, cela ne compte pas, affirme-t-on…
Une fois par an, tous les ressorts fabriqués par Jean-Jacques, et mis en service, il y en a plus de trois cents en tout, reviennent à l’usine pour y être révisés. C’est obligatoire, car, au fil du temps, tout ressort, même le plus parfait, se détend toujours un peu. Cette révision annuelle des ressorts du modèle-type TZ.2302.D est également le travail de Jean-Jacques. Personne d’autre, mis à part lui, ne doit toucher à un ressort du modèle-type TZ.2302.D. C’est le règlement…
Ce soir-là, lorsque l’homme habillé de gris sonna à la porte de son petit appartement qui donne sur la place du marché, Jean-Jacques jouait, pour la cinquième fois, ou peut-être la sixième, les dernières mesures de son concerto préféré… et le gros matou roux, qui dormait paisiblement dans son panier, a sursauté…
Jean-jacques est assurément un gentil garçon. Un gentil garçon qui fait toujours ce qu’on lui demande, sans rechigner, mais surtout un gentil garçon qui ne veut de mal à personne. Le ressort modèle-type TZ.2302.D était un ressort de percuteur ! Voilà ce que venait lui apprendre, ce soir-là, son mystérieux visiteur. De gros ressorts de percuteurs, voilà donc ce qu’étaient en réalité, ces fichus ressorts que Jean-Jacques usinait, ajustait, tarait, testait, et bichonnait avec tant d’attention et depuis toutes ces années ! Oui, mais surtout, oh, oui, surtout, il s’agissait plus précisément de ressorts de percuteurs de missiles thermonucléaires… de terrifiantes bombes atomiques…
Notre Jean-Jacques, notre si gentil garçon qui ne voulait de mal à personne, qui adorait Mozart plus que tout, et surtout sa sonate numéro 3, qui caressait tous les soirs son gros chat roux ronronnant sur ses genoux, n’en revenait pas… Vous êtes absolument certain, John… Il s’agit de bombes atomiques… ?

En cette soirée de quatorze Juillet, la place du marché est noire de monde.
Au centre, sur une estrade, la fanfare aux cuivres rutilants joue l’une après l’autre les rengaines populaires de son répertoire…

« … Et on fait tourner les serviettes
Comm’ des petites girouettes
Ça nous fait du vent dans les couettes
C’est bête, c’est bête
Mais, c’est bon pour la tête… ! »

D’une des fenêtres grande ouverte de son appartement, Jean-Jacques et Sergueï, son nouvel ami, s’amusent d’autant d’insouciance. Dans son pays, la grande et belle Russie, Sergueï exerce le même métier que Jean-Jacques. Seul le type du ressort change un peu. Mais, ces ressorts, que seul, là-bas aussi, Sergueï fabrique et étalonne avec une extrême précision, prennent, eux aussi, leur place dans tous les mécanismes de mise à feu des bombes nucléaires de son pays. Tout comme John, son mystérieux visiteur venu des États-Unis, ou bien encore Xi Li, la petite chinoise, Rachid, du Pakistan, Asha, d’Inde, Déborah, du Royaume-Uni, David, d’Israël, et enfin Sun-Hi, de la Corée du Nord… Les nouveaux amis de Jean-Jacques…
Jean-Jacques referme la fenêtre. Ce soir, il ne jouera pas, comme d’habitude, la sonate numéro 3 de Mozart. Non, ce soir, il allait plutôt sortir et faire la fête avec son ami Sergueï… ce soir…

« Chtoby spasti mir, moy drug Jean-Jacques… odna sotaya Newton… v kontse kontsov, eto nemnogo, kogda vy dumayete ob etom, ne tak li ?…?!
Pour sauver le monde, mon ami Jean-Jacques… un centième de Newton… finalement, ce n’est pas grand-chose, quand on y pense, non… ?!

Jean-Jacques sourit, imaginant que Sergueï ne le savait peut-être pas, mais les sept minutes et quelques secondes que dure la sonate numéro trois de Mozart, auraient été à peu près le temps nécessaire, si bref pourtant, pour anéantir notre planète avec toutes ces horribles bombes…

— Davay, Sergey… seychas poveselimsya…!
… Viens, Sergueï… allons nous amuser, maintenant… !

Texte et photographie Ernest Salgrenn. Avril 2022. Tous droits réservés.

FORME LIBRE.

Quoi de neuf, aujourd’hui ?
À la une du journal local, en titres gras, « Je m’inquiète pour ma santé mentale… »
Juste en dessous, en italiques : « mais aussi pour celles des autres… !« .
Et la photo en couleurs d’un type, poches sous les yeux, mal rasé… ce doit être moi, mais je ne me reconnais pas…
Bruits de fond de tronçonneuses. Pas loin, à deux cent mètres d’ici.
Pi, le chiffre Pi… trois quatorze cent seize… oui, c’est comment déjà la formule… ? Nul en maths, ça n’aide pas. Cinquante, le rayon, au carré, que multiplie ensuite Pi… soit sept mille huit cent et des brouettes… grosso modo, un petit hectare finalement… !
Voilà donc qu’on dégage autour de la nouvelle antenne téléphonique (GSM pour les belges et les initiés). On abat encore des arbres, mais sans sommation, cette fois. Et on prend de la marge, elle ne fait que quarante deux mètres de haut, ainsi si elle devait tomber, aucun risque d’abîmer quelque chose… Comment ? C’est surtout pour qu’elle ne soit pas détruite si la belle forêt tout autour prenait feu… ?! Je n’avais pas compris, veuillez m’en excuser… j’suis trop con, des fois ! Beaucoup trop con.
La nouvelle antenne à monsieur Bouygues et associés. Pas belle, la tétenne à Boui-boui-gues ?! L’ont peinte en vert, et puis avec les arbres : on verra pas du tout le bas qui z’ont dit. Les arbres ? Quels arbres ? Merde… raté ! Monsieur Bouygues nous a promis aussi qu’il n’installerait pas la 5G dans sa jolie antenne, juré, craché, que s’il mentait, il irait tout droit en enfer. On n’en voulait pas, nous, de son cancer du cerveau. On a déjà assez de problèmes comme ça.
Ouiiii… je vais pas bien ! Je me reconnais plus. J’ai plus envie de rien. Si, juste de casser la tête à certains…
Demain, je prend l’avion, direction Madrid. Je vais participer au Championnat du Monde du lancé d’avion en papier. Non, je rigole pas. C’est la vérité vraie. Et je vais le gagner ce championnat ! Ernest Salgrenn, champion du Monde du lancé d’avion en papier… ça va en jeter sur mon pedigree ! J’ai pris ma décision après avoir vu un reportage là-dessus, avant-hier, à la télé. Je suis comme ça, j’ai parfois de sérieux coups de tête. Et surtout en ce moment. Devant un tableau noir, des types, brillants, ingénieurs et tout bardés de diplômes, calculaient la meilleure portance possible pour un avion en papier. Fiers, les gars, ils sont réussi à faire planer leur zinzin à vingt-deux mètres cinquante quatre…
J’ai commencé par lire le règlement du concours. Le matériel ? Une feuille A4, 100gr/m, et rien d’autre. Et puis, « Forme libre », que c’est écrit à l’article 7… Faut pas me le dire deux fois… forme libre ? J’ai réussi 42 mètres (comme l’antenne ! le hasard…) avec mon prototype. Pas la peine de se faire des nœuds au cerveau pour calculer la portance, juste un peu de bon sens, les gars… j’ai fait une jolie boulette, un peu machouillée et aplatie pour une meilleure pénétration dans l’air, et… zou… ! Quarante-deux mètres… sans forcer ! Mais, je suis sûr que je peux améliorer encore, surtout avec un litre de Sangria dans le corps.
Dès mon retour, avec ma médaille autour du cou, la semaine prochaine, je fais Koh-Lenta (orthographe à vérifier par vous-mêmes, j’ai pas trop le temps, ce matin). En trois semaines, c’est baclé, cette affaire ! Et ils peuvent se la mettre où je pense l’épreuve des poteaux, pas la peine, là aussi j’ai ma solution. J’éclate un crâne à coups de noix de coco, chaque nuit, dès que tout le monde dort… Ernest Salgrenn, vainqueur, faute de combattants… et qu’on me fasse pas chier avec le règlement, si c’est pas marqué dedans, c’est qu’on a le droit.
… Vous voyez bien que je vais pas bien… quand je vous le dis, c’est pas pour faire l’intéressant, faut me croire.

Texte et photographie Ernest Salgrenn. Avril 2022. Tous droits réservés.

Comme une odeur de macramé.

« Pourvu qué ça douré ! » lançait la mère Lætitia, celle de l’empereur des français (rien à voir avec notre Jaunie national)…

Mais non ! Bien au contraire, faut qu’on en finisse maintenant ! clamé-je aujourd’hui, haut et fort ! Coup de gueule, c’est gratos, ne me remerciez pas…
Comment ? Pas de politique, avions-nous dit la dernière fois… ? Ah bon… ?! Désolé, le ferais plus !
Et vous, alors ? Ça baigne ?
« Bonjour, bonjour les hirondelles !  » : le printemps est là ce matin, après plusieurs jours de pluie (… en-fin ! pour les deux phénomènes).
Les zoizeaux gazouillent donc à qui mieux mieux, se cherchent, se trouvent, et construisent ensemble, ailes dessus-dessous, des nids bien chauds et douillets aux creux des arbres tout gorgés de sève nouvelle. Que c’est beau, la Nature ! Ce qu’il en reste, en tout cas…
J’aime les oiseaux. Pour moi, ils expriment, avec beaucoup d’insolence, la quintessence d’un équilibre toujours très incertain face aux nombreux aléas d’une vie sauvage. Toujours un peu sur le fil du rasoir, nos piafs. Mais, finalement, ne sommes-nous pas tous un peu dans cette position délicate ? Petits oiseaux, nous aussi.
J’aime donc les oiseaux car ils sont si fragiles. Un rien, une bourrasque un peu plus appuyée, une giboulée de mars un peu plus glaçante que les autres, ou parfois, ce n’est pas de chance, un simple grêlon perdu, et voilà, c’est le drame… ! une famille de mésanges bleues ou de chardonnerets élégants en deuil ! Oh… ! Cruel destin quand tu nous tiens !
François Villon, (peut-être) le plus grand poète de tous les temps, détestait les oiseaux. Et notamment les corbeaux, les « freux » des gibets, si florissants à son époque. Il l’a souvent écrit. Avec tout le respect que je lui dois, je pense qu’il avait tort. Même les corbacs ont le droit d’être aimés, car, après tout, ils ne font que leur boulot, et toujours avec une grande application, et de la plus belle des façons qui soit, programmés à merveille qu’ils sont pour crever et bouffer les yeux des pendus, si pendus qui se balancent il y a, bien entendu…
Et alors ? Ne faut-il pas de tout pour défaire un monde… ?
« Quinze euros, le mètre ? Mince, c’est pas donné, le chanvre… ! Mettez-en moi deux mètres (soit une toise) tout de même… je pense que ça devrait le faire… ! »

Y a d’la joie
Bonjour bonjour les hirondelles
Y a d’la joie
Dans le ciel par dessus le toit
Y a d’la joie
Et du soleil dans les ruelles
Y a d’la joie
Partout y a d’la joie
Tout le jour, mon cœur bat, chavire et chancelle
C’est l’amour qui vient avec je ne sais quoi
C’est l’amour bonjour, bonjour les demoiselles
Y a d’la joie
Partout y a d’la joie…

Des paroles, celles-çi, de Michel Emer et Charles Trenet… Mais, ce n’est pas vrai, ils se trompent : de la joie, y’en a pas partout dans ce monde à la con… mon chat, ce salaud, a tué une mésange, ce matin…

Texte et photographie Ernest Salgrenn. Avril 2022. Tous droits réservés.

Wolf. Jim Harrison.

Si, en ce qui concerne la Littérature, il en va comme de tout le reste, il est toujours préférable de débuter par le commencement, il n’est toutefois pas interdit, une fois lu (l’ennuyeux) « L’illiade et l’Odyssée », de brûler des étapes, et de passer directement aux « 100 Histoires extraordinaires » de Pierre Bellemare. C’est ce que j’ai fait.
Pierre Bellemare, je l’ai rencontré une après-midi ensoleillée d’Août. Cela se passait en Corse, sur le port animé de Saint-Florent. Il débarquait à peine de son voilier (un superbe quinze mètres) accompagné de sa femme, Maryse. Vêtu d’un bermuda à fleurs et d’un simple tee-shirt jaune vif, l’homme m’apparut d’emblée comme fort sympathique, et d’ailleurs, nous sympathisâmes très rapidement. J’avais, moi aussi, tant d’histoires plus extraordinaires les unes que les autres à lui raconter… Oui… quoi… ? Je vous demande de m’excuser un petit instant… ma femme me parle… comment ça, je confonds encore ? Ce n’était pas Pierre Bellemare mais plutôt Philippe Gildas ?! Un mètre cinquante, de très grandes oreilles… ? Oui, bon, tout le monde peut se tromper, non ?
Enfin, bref… hier soir, je suis allé voir un film (mi-documentaire en vérité) intéressant sur Jim Harrison, cet immense écrivain américain. Film co-réalisé par François Busnel (celui de la Grande Librairie). François devait être parmi nous, public sous le charme, pour débattre à l’issue de la projection, mais c’était sans compter sur la Covid (oui, 140 000 cas encore pour la journée d’hier ! mais… chut ! ) qui l’obligeait à rester chez lui. Nous eûmes donc droit à un Zoom en direct de son appartement parisien. Pour ceux qui ne connaissent pas Zoom, c’est comme Whatsapp ou Skype. Et pour ceux qui ne connaissent aucun des trois, allez vite vous… renseigner ! Comme on pouvait s’y attendre, de nombreuses questions à son adresse fusèrent rapidement. L’élite de la communauté locale de lecteurs (et trices) semblait s’être donné rendez-vous, tant toutes les questions étaient pointues (« Ne trouvez-vous pas qu’il y a tout de même quelque chose de Jean Giono chez Jim Harrison ? » Et vas-y que je te cite ensuite de longs passages du « Chant du monde »… !). Bien calé dans mon fauteuil rouge, je laissai faire, admiratif de tant de savoir étalé sans retenue. Pour tout vous dire, Jean Giono, je connais un pio, je sais qu’il était de par ici (Manosque, je crois), mais il est vrai qu’en ce qui concerne ce Jim, l’américain, il y a encore deux jours de cela, je n’avais jamais entendu parler de lui ! Comme je vous l’ai appris plus haut, j’ai brulé des étapes !
Puis, François, toussotant de concert avec une bonne moitié de la salle, en vînt à nous causer du roman « Wolf : mémoires fictives ». Il raconte comment Jim Harrison fût contraint, par les producteurs, de remanier (Ô, combien !) le scénario du film qui en définitif n’avait au final plus rien à voir avec son roman initial. Si, ce n’est certes pas un cas isolé, on sait bien que bon nombre d’adaptations cinématographiques hollywoodiennes prennent de grandes libertés avec les histoires originales, cette fois, on dépassa les bornes…
« Wolf » raconte les aventures d’un jeune homme, Swanson, vagabond littéraire, qui abandonne tout pour se consacrer à la recherche d’un loup, s’enfonçant dans une nature de plus en plus sauvage, pour finalement, au terme des quatre cents pages du roman, ne pas en apercevoir la queue d’un… ! Les producteurs (on peut les comprendre, un sou est un sou, ma bonne dame !) voulaient autre chose, de plus commercial, de moins ennuyeux. Aussi, d’un loqueteux, Jim fit un riche éditeur New-yorkais, des grands espaces à l’infini du Montana, recentra l’action dans Central Park, et du loup invisible, un loup-garou ! C’est là, à cet exposé, que je compris que j’avais peut-être ma carte à jouer pour épater à mon tour, la galerie…
Je levais la main droite, on me fit passer le microphone (contaminé ou pas ?)…
« Bonsoir, François… Ernest Salgrenn, écrivain… ma question est la suivante… je dois vous dire que j’ai rencontré ce loup… celui qui tient le rôle principal dans le film ! d’ailleurs, si je peux apporter une petite précision à ce sujet, il ne s’agissait pas d’un loup, mais d’une louve… (des « Oh ! » et des « Ah ! » dans la salle… ) la rencontre s’est déroulée du côté de Palmer city, dans un coin reculé de l’Alaska, chez son dresseur… mais vous-même, François, lors de vos séjours répétés chez ce Jim Harrison, avez-vous aperçu quelques serpents à sornettes ?!…

Des loups, par chez moi, il en traînent pas mal. Mais, des loqueteux aussi. Et de plus en plus…
La prochaine fois, je vous parlerai à nouveau d’un autre roman de Jim Harrison que je n’ai pas lu.
Oui, je le sais, je choisi trop souvent la facilité !
Salut les copains (et pines), et bien entendu : de bonnes Pâques à vous !

D’élections molles en urnes bourrées.

C’est vrai ! Bien vrai, que je ne vous parle jamais (ou quasiment prou) de politique dans mes posts, billets, petites histoires à deux balles, nouvelles farfelues et pittoresques, appelez-bien ça comme vous voulez. Mais, une fois n’étant pas coutume…
Alors donc, nous y voilà, à deux jours seulement du premier tour de ce scrutin présidentiel ! Pour la plupart des prétendants au titre suprême (grand vizir de Gaule en déclin), les carottes sont cuites, et bien cuites, et leurs derniers petits coups d’esbroufes télévisuelles n’y feront rien, c’est mort ! Reste, comme à chaque fois, deux, éventuellement trois (le fameux trio magique du grand Guignol à papa : le mari, l’épouse et son amant caché dans un placard !) encore en lice pour le deuxième tour. Ce n’est pas moi qui le dit, ce sont les sondages. Les fameux sondages d’intention de vote (Sondeur d’opinion… serait-ce un métier d’avenir pour nos enfants ?). Autrement dit, on prend les mêmes et on recommence ! Enfin, presque les mêmes, car il y a cinq années de cela, souvenez-vous, on avait eu droit au petit nouveau de la bande (Rothschild family and consorts) sorti d’un chapeau claque au dernier moment ! Avec le résultat que vous savez…
Douze lignes. Douze lignes à peine… et déjà cela m’ennuie de vous parler de politique ! et vous avec, très certainement ! Alors, si l’on causait d’autre chose ? OK, ça marche !
En ce moment, je suis entrain de (re)lire « Les ritals » de monsieur François Cavanna. Cavanna est un grand écrivain et ce ne sont pas les sondages d’opinion qui l’affirment, c’est moi ! Dans mon Panthéon des écrivains, il est devant, au premier rang. Juste à côté de Romain et Boris. D’ailleurs, je suis persuadé qu’ils se tiennent la main, ces trois-là, ou plutôt, se tapent dans le dos, tout là-haut, au paradis des grands auteurs. Et qu’ils s’en racontent des fameuses, aussi, pour passer le temps, et j’ai dans l’idée que le temps ne doit pas passer très vite, là-haut…
« L’éternité, cé long commé la morta ! » dirait ma concierge. Petite précision, ma concierge n’est pas portugaise. Aujourd’hui, toutes les concierges (une espèce en voie de disparition, ceci dit) ne sont pas forcément portugaises. Dans le lot, quelques-unes sont d’Espagne. Olé ! Pourquoi ai-je dis « Olé » ? Je ne sais pas… cela m’est venu tout naturellement ! Enfin bref, passons.
« Mousié Salgriné… vous avé rézou ouné couli dé la posté ! » m’apostrophe-t-elle, madame Gomez y Sanchez y Peillon y Rueca dé la Pampa, ma concierge, justement…
Je ne lui ai jamais avoué à cette petite dame à la fine moustache, et qui postillonne plus que la normale, mais ma mère fut concierge, elle aussi. Dans un bel immeuble parisien, très cossu, juste en face du bois de Boulogne. C’est là que je vécu mes premières années. Dans une loge de concierge. Excusez du peu !
S’il me reste quelques souvenirs de cette époque, cela est très étrange, mais ils sont tous en noir et blanc ! Pas une seule note de couleur dans ces souvenirs-ci. Du noir et du blanc, uniquement. Les couleurs, elles n’arrivent que bien plus tard dans mes souvenirs d’enfance. Et principalement du bleu et du vert, couleurs de la mer, en Bretagne.
Elle me tend le paquet (madame G.S.P.R.P). Je sais de quoi il s’agit, pas la peine de l’ouvrir. Encore un retour de mon éditeur. En ce moment, je n’ai pas beaucoup de succès, je m’applique pourtant, mais personne ne veut de ma prose. Il y a des périodes comme ça. Je ne m’en fais pas trop pourtant, cela va reprendre d’ici peu, j’en suis sûr, j’y crois.
Dans notre bel immeuble du XVIème arrondissement, parmi les locataires, il y avait un jeune garçon qui vivait là, avec ses parents. Ce gamin jouait de tout un tas d’instruments de musique dont l’accordéon, et bien souvent on entendait les mélodies de ce dernier résonner dans tout l’immeuble. J’ai toujours apprécié cet instrument, l’accordéon. Le « piano à bretelles », comme on le nommait alors dans les milieux populaires ! Un peu ringard sur les bords, très certainement (mais, ne le suis-je pas moi-même ?!) malgré tout, j’aime bien !
Tandis que ma mère balayait très consciencieusement l’escalier de notre immeuble deux fois par jour, mon père, pendant ce temps-là, conduisait la grande échelle des pompiers. Pompier de Paris, était-il, lui. Un très bel homme, tout en muscles, que mon père. Et avec toutes ses dents… Pourquoi vous préciser ça, vous étonnerez-vous ? Eh bien, car je le sais ! Oui, il avait toutes ses quenottes, mon papa, ne lui en manquait pas une ! Pas une, vous dis-je ! ne nous l’a-t-il pas répété si souvent ensuite, plus tard, alors qu’il nous contait ses formidables exploits de pompier, de courageux et brave petit gars qui sauvait des gens comme nous tous les jours (Vaincre ou périr, telle était sa terrible devise, alors, voyez bien que je ne vous mens pas !)… « Tu sais (mon fiston), s’il te manquait une dent, ou même une seule d’un peu abîmée, et même une qu’est tout au fond de ta bouche et qu’on ne voit pas forcément, eh, bien, tu étais recalé à l’examen médical d’entrée ! Recalé ! Et au suivant ! ».
Mais tout ça, cette sévérité à l’engagement, c’était à cause de cette foutue guerre d’Algérie, que pas un seul des jeunes gars de l’époque ne voulait aller la faire cette saloperie de guerre, c’est pourquoi tout le monde tentait de rentrer dans le corps des pompiers de Paris… la planque, quoi ! Véridique, l’histoire ! Enfin, c’est mon pater qui me l’a dit.
On n’avait pas de salle d’eau pour faire notre toilette. On se lavait dans la cuisine, devant l’évier. Sauf moi, qui prenais mon bain dans une petite cuvette en zinc posée dans ce même évier. Par contre, allez savoir pourquoi, nous avons eu assez vite un poste de télévision ! De ça aussi, je m’en souviens très bien. Et, dans cette télé (énorme, comme un coffre-fort de bijoutier, mais avec pourtant un écran ridiculement petit !), le feuilleton « Belphégor ». En noir et blanc, bien sûr. Bon sang, qu’est-ce que j’ai pu en faire des cauchemars avec ce Belphégor ! Je crois bien que même maintenant, soit plus ou moins soixante ans après, elle me file encore un peu la frousse rétrospectivement, cette Belphégor-là… Saleté, tiens !
Le jeune, celui de tout à l’heure, de l’accordéon, du troisième étage de notre immeuble cossu, il s’appelait Michel, et puis Mick (pour faire tout à fait dans le vent), il parait qu’il est devenu l’un des musiciens attitrés des Chaussettes Noires (le groupe yé-yé avec Eddy Mitchell, alias Claude Moine, ou Schmoll, c’est le même, cherchez pas).
Les Chaussettes Noires… ! vous voyez bien, une fois de plus, que décidément tout était blanc et noir à cette époque ! Ce n’est pas moi qui l’invente… j’en serai bien incapable d’ailleurs de vous inventer tout ça…
Bon, je vous laisse, finirai par vous raconter ma vie, à ce train-là ! Allez, salut les copains ! Et surtout… n’oubliez pas d’aller voter !

Texte et photographie Ernest Salgrenn. Avril 2022; Tous droits réservés.

Entretiens à bâtons rompus avec l’auteur, Ernest Salgrenn (où, finalement, on en apprend guère plus sur lui).

Il s’agit d’une retranscription inédite et fidèle d’une série d’entretiens accordés à une jeune journaliste, qui eurent lieu seulement quelques semaines après l’envoi de mon manuscrit à un éditeur parisien.
Pour la petite histoire : initialement, ces entretiens devaient se dérouler dans l’une des suites du Ritz, célèbre palace parisien de renommée internationale (et idéalement bien situé) mais les tarifs affichés plus qu’exorbitants de cet établissement luxueux m’imposèrent une retraite mieux adaptée à mes moyens, en l’occurrence le parloir de la prison de Fleury-Mérogis (département de l’Essonne), où je purge une peine de trois mois de prison (dont deux avec sursis) pour meurtre. Un meurtre prémédité et particulièrement odieux d’un livreur de pizzas « Uber eats« …


Elle (la journaliste) :
« Bonjour… !
Moi (l’écrivain) :
— Bonjour, mademoiselle… !
Elle :
— Merci de me recevoir et d’avoir bien voulu m’accorder quelques instants de votre temps que je sais pourtant si précieux afin de répondre à toutes ces questions qu’avec tant d’impatience je brûle depuis si longtemps de vous poser… !
Moi :
— … N’en faites pas trop quand même ! Bon… si nous allions droit au but… ? que voulez-vous savoir exactement ?
Elle :
— … Très bien, alors commençons par le commencement… votre nom… Ernest Salgrenn… Salgrenn… est-ce votre véritable nom ?
Moi :
— A votre avis… ?!
Elle :
— Mais, je ne sais pas ! Peut-être ! Si je vous pose cette question c’est tout simplement parce que tout le monde le sait, bon nombre d’écrivains utilisent, ou ont utilisés, un pseudo pour écrire… Alors… Salgrenn… nom de plume, ou pas ?!
Moi (déjà agacé, alors ça commence bien !) :
— Bon… j’ai comme l’impression que cet interview démarre plutôt mal… ! Il me semble bien, ma chère mademoiselle, que vous débarquez, comme ça, là, dans mon parloir, sans avoir pris le soin au préalable de vous renseignez un minimum sur ma personne ! Laissez-moi donc vous dire que ceci n’est pas du tout professionnel, ma petite ! Aussi, je crois bien que l’on va s’arrêter là pour aujourd’hui… désolé, mais vous reviendrez me voir quand vous serez un peu plus au point ! Au revoir, mademoiselle !
Je me lève de ma chaise et sonne le gardien qu’il me ramène fissa en cellule… Bien entendu, j’ai droit à la fouille au corps réglementaire, dès fois que j’en aurai profité pour planquer quelque chose au sein de l’un de mes orifices intimes…
Une semaine plus tard, même heure, même endroit, Moi, écrivain, toujours emprisonné, et Elle, journaliste, si libre :
« Alors… vous revoilà déjà ?!
Elle :
— …
Moi :
— Tiens… Vous n’avez donc rien à me demander aujourd’hui… ?! Je pense qu’on ne va pas beaucoup avancer tous les deux si vous rester ainsi, muette comme une carpe ! Allez ! Lancez-vous donc, nom d’une pipe !
Elle (un peu hésitante, puis) :
— … Ainsi, votre véritable nom serait donc, Ernest de Salgrennic de Ty An-Ker…
Moi :
— Hé, ben, voilà ! Cette fois au moins, on voit que vous avez un peu mieux bossé votre sujet ! Je vous félicite ! C’est très bien ça ! Oui, tout à fait exact, mais j’ai simplifié en Salgrenn ! C’est plus court et ça sonne bien ! Et puis Salgrenn… comme « Sale graine »… ! Trouvais aussi que cela tombait plutôt bien me concernant, non ?! Et vous alors, c’est quoi votre petit nom… ?!
Elle :
— Modestine…
Moi (esclaffé) :
— Modestine… ?! Mais c’est terriblement affreux comme prénom, ça ! Non… on va plutôt vous appeler Isabelle ! Voilà, c’est beaucoup mieux, Isabelle ! C’est tout de même mille fois plus chouette que ce Modestine… ne trouvez-vous pas… ?!
Elle :
— Peu m’importe ! Et puis, ai-je vraiment le choix… ?!
Moi :
— Mais non ! Évidemment que non ! Néanmoins, vous pouvez toutefois me donner votre avis, je pourrai alors éventuellement en tenir compte, car n’allez surtout pas vous imaginer, ma chère Isabelle, que je sois aussi rigide et inflexible que je le laisse paraître… avant d’être un écrivain, je suis avant tout aussi un homme comme les autres !
Elle :
— Oh… de ça, je n’en suis pas vraiment certaine… !
Moi :
— Ah bon ?! Et qu’est-ce qui vous laisserait donc penser ça ?!
Elle :
— Parce que cela se voit tout de suite, tiens ! Vous apercevant pour la première fois, Ernest Salgrenn, on devine immédiatement que vous n’avez jamais été un homme comme tout le monde ! Vous, cela ne fait aucun doute, êtes assurément un être à part, d’une espèce toute particulière, et cela depuis le début de votre existence…
Moi (sourire au lèvres) :
— Méfiez-vous, ma petite… je pourrai le prendre pour un compliment !
Elle :
— A vous de voir…
Moi :
— Bon… très bien… et maintenant… toutes ces questions que vous vous posez à mon propos ?! Alors, si nous attaquions pour de bon maintenant que les présentations sont faites ?!
Elle :
— Pourquoi ai-je les yeux bleus… ?!
Moi (un peu surpris par cette question à laquelle je ne m’attendais pas) :
— … Mais… quelle question ! je ne sais pas moi, parce que… parce que… parce que tout bêtement j’aime les jolies filles aux yeux bleus ! Voilà, cela vous convient-il comme réponse ?!
Elle (rictus) :
— Vous vous amusez bien, hein… ?! Ainsi, vous passez donc tout votre temps à transformer l’intégralité de ce qui vous entoure à votre façon ?! Tout doit être bien comme il plaît à monsieur, n’est-ce pas… ?! C’est bien ça, hein ? Donc, si j’ai ces yeux bleus, c’est uniquement parce que cela vous plaisait mieux que des yeux verts… ?! Et si, après tout, j’avais eu envie d’avoir les yeux verts, moi… ?! Vous êtes-vous au moins posé la question un seul instant avant de m’imposer de force cette affreuse paire d’yeux bleus ciel ?!
Moi (agacé de nouveau) :
— Oh ! Oh, mais comme je vous trouve bien injuste, Isabelle ! Vos yeux bleus sont absolument magnifiques ! Et puis ils ne sont pas vraiment bleus en vérité… prenez votre temps, regardez-les donc un peu mieux… ils sont plutôt gris que bleu en réalité… ce qui est beaucoup plus rare, et bien plus attachant, ne trouvez-vous pas… ?!
Elle (ne faisant pas cas de ma réponse) :
— Et pourquoi êtes-vous en prison… ?!
Moi (très agacé, in fine) :
— J’ai tué un jeune homme ! Un de ces petits livreurs de pizzas à domicile !
Elle (écarquillant ses magnifiques yeux gris en amande) :
— … En voilà bien une idée saugrenue ! Et que vous avait-il donc fait ce pauvre bougre… ?
Moi :
— Mais rien, voyons ! Absolument rien ! C’était juste pour le fun ! M’ennuyais à mourir chez moi, une petite faim, envie de pizzas, alors j’ai pris mon téléphone, commandé une Margharita, sans sauce piquante bien entendu car je n’aime pas ça, et dix minutes plus tard, il a sonné, j’ai ouvert, il a posé délicatement la boite rectangulaire avec la pizza encore chaude à l’intérieur sur la table de cuisine, et puis j’ai tiré… ! Pan ! À bout portant, en pleine poitrine, direct au cœur… il est mort sur le coup !
Elle (scandalisée) :
— Quoi…?! Mais, c’est terrible ce que vous me racontez là ! Quelle horreur ! Ainsi, vous auriez donc abattu ce pauvre homme, comme ça, sans aucune véritable raison… ?!
Moi :
— Exactement ! Où est donc le problème avec ça ? Je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’avoir une bonne raison pour assassiner quelqu’un ! Ce n’est pas très sérieux comme raisonnement ! Eh bien, non, Isabelle ! Apprenez qu’on peut aussi tuer par ennui… et uniquement par ennui ! Et même si ce n’est peut-être pas une raison valable pour vous, sachez que pour moi cela peut très bien être une explication rationnelle qui tient parfaitement la route !
Elle (semblant se calmer un peu) :
— Avec un révolver, donc… ?
Moi :
— Oui ! Mais quelle importance après tout ?! Je l’ai tué… ! Et n’est-ce pas ce qui compte, en définitif ?! On s’en contrefiche bien que ce soit avec un flingue ou à grands coups de hache ! Je l’ai tué, il est mort, point barre, n’en parlons plus !
Elle :
— Non ! C’est faux ! Cela aussi a son importance ! Cela m’aide à mieux visualiser la scène… un seul coup, donc… ?
Moi :
— Vous êtes vraiment sérieuse, là… ?! Pourquoi donc vous intéressez-vous tant à ce crime ?! Quel intérêt ?! N’aurions-nous pas tant d’autres sujets à développer ensemble et qui seraient tellement plus intéressants pour vos lecteurs ?! Tiens, vous ne m’avez même pas encore demander mon âge ! Vous ne voulez donc pas savoir quel âge j’ai ?! C’est tout de même une chose importante que de connaître l’âge d’un écrivain !
Elle :
— Tout le monde s’en contrefiche de votre âge, Ernest ! Allez… vous avez quoi… disons, à la louche, grosso modo, à peu près dans les soixante balais ! C’est bien ça, hein ?! Par contre, voyez-vous, ce crime odieux, gratuit, tellement insensé, et dépourvu de toute morale même la plus élémentaire, voilà bien au contraire un sujet qui va intéresser au plus haut point mes lectrices et mes lecteurs ! Les gens sont toujours friands de faits divers aussi tragiques que celui-ci ! Bien plus, je peux vous l’assurer, que de savoir si vous avez soixante, soixante-quinze ou même peut-être quatre-vingt dix sept ans !
Moi (ne me départissant pas) :
— Je viens à peine de fêter mes soixante berges, en avril de cette année !
Elle :
— On s’en fiche pas mal, je viens de vous dire ! Et donc, si j’ai bien compris… vous avez écopé de seulement trois mois de prison pour ce crime aussi gratuit qu’atroce… ?! N’est-ce pas tout de même un peu léger comme peine ?! Généralement, il me semble que pour un crime de cette nature, cela tournerait plutôt autour de perpète, non… ?!
Moi (rentrant dans son jeu) :
— Je me suis assuré les services d’un très bon avocat ! Le meilleur de la place ! Il a plaidé la légitime défense… et puis… j’ai bénéficié aussi de circonstances atténuantes ! Bon sang, je n’allais tout de même pas passer le restant de ma vie en tôle pour le meurtre d’un simple petit livreur de pizzas ?!
Elle :
— Mais comme vous êtes ridicule, mon pauvre… ! Vous n’assumez même pas vos actes ! Vous auriez pu au contraire vous infliger la peine maximale, cela aurait été si facile pour vous… mais non, vous n’avez même pas eu le flan de le faire ! Quel manque de courage… vous êtes lamentable !
Moi (vraiment agacé pour de bon, cette fois) :
— Mais, Dieu de Dieu ! Qu’est-ce que ça peut bien vous foutre aprés tout ?! Bon d’accord, je n’ai pris que trois mois, et alors… ?! Cela m’arrangeait ! Et puis ce n’est déjà pas mal trois mois pour un crime que l’on n’a pas réellement commis ! Merde ! On voit bien que ce n’est pas vous qui êtes enfermé ici ! Tenez… la fouille au corps par exemple… est-ce que cela vous dit quelque chose, la fouille au corps… ?! Vous croyez peut-être que c’est du gâteau que de se faire… oui… bon… passons maintenant à autre chose, voulez-vous bien ?!
Elle (teigneuse) :
— Mais comment diable avez-vous pu bénéficier de circonstances atténuantes… ?! Je n’arrive pas à le croire ! Des circonstances atténuantes ! Mais en quel honneur ?! Tout ceci est vraiment du n’importe quoi !
Moi (sortant de mes gonds) :
—Hé, ho, doucement, là, ma petite… cela va mal finir ! Allons, reprenez-vous immédiatement, Isabelle ! N’oubliez pas que vous êtes là pour m’interviewer et certainement pas pour refaire mon procès d’assise ! Alors, finissons-en… que voulez-vous donc encore savoir sur moi… ?
Elle :
— … Rien ! Je me demande même maintenant ce que je suis venu faire ici ! je me rends compte finalement que vous ne m’intéressez pas, Ernest ! D’ailleurs, je crois bien que vous n’intéressez véritablement personne ! Ni moi, ni qui que ce soit d’autre !
Moi (stupéfait…) :
— Mais… il y a mon bouquin tout de même ! Mince, alors… mon bouquin, Isabelle… ?! Vous l’avez bien lu, mon bouquin, non ?!
Elle :
— Non… pas lu une seule ligne !
Moi (sur le cul) :
— Quoi… ? Je ne comprends pas… je vous avais pourtant fais parvenir un exemplaire de mon manuscrit la semaine dernière… ?
Elle :
— Pas ouvert, votre manuscrit ! Pas eu le temps ! Pas mal d’autres choses à faire en ce moment, débordée Isabelle, voyez-vous !
Moi (après quelques secondes de réflexion) :
— Ce n’est pas possible ! Vous me faites marcher, là… ?! Non… ce n’est pas vrai ! je ne vous crois pas un instant ! je sais pertinnement que vous l’avez lu ! Vous l’avez lu, ce roman, Isabelle, et je devine aussi que cela vous a plu ! N’est-ce pas ? Allons, dites-moi la vérité !
Elle :
— La vérité… ?! Vous voulez que je vous dise la vérité ?! C’est bien vous, Ernest Salgrenn, qui me demandez ça… ?! La vérité ! Ah ça, vraiment, je trouve que vous ne manquez pas de culot, tiens !
Moi (consentant à redescendre d’un ton) :
— Bon… OK… vous avez raison… j’ai un peu menti pour ce livreur de pizzas… je ne l’ai pas tué par simple ennui, ce pauvre type ! Je l’ai flingué parce que cela me faisait plaisir ! Oui… c’est vrai… j’avais prémédité mon coup ! Ce jour-là, il fallait absolument que je me défoule sur quelqu’un… et… pas de bol, ce fût lui !
Elle :
— Par plaisir… ?! Vous l’avez dégommé parce que cela vous donnait du plaisir ?! Mais vous êtes encore plus dingo que je ne le croyais ! Vous êtes un très grand malade, mon pauvre vieux ! Va vraiment falloir vous faire soigner… et rapidement même !
Moi (à mi-voix) :
— Mais, c’est exactement ce que je fais, Isabelle… je me soigne… oui, je me soigne, voyez-vous… c’est bien la principale raison pour laquelle j’écris des livres ! Tous les jours… un paragraphe ou deux… parfois même un peu plus, tout dépend de mon humeur…
Elle (passant du coq à l’âne) :
— Et pourquoi m’avez-vous choisi blonde aussi… ?! Vous avez peut-être imaginé que cela serait beaucoup plus facile de m’embobiner avec toutes vos histoires ?! C’est navrant d’être lâche à ce point ! Et vous n’en avez pas marre aussi des clichés à deux balles ?! Blonde ! Tiens… vous savez ce qu’elles vous disent les blondes, mon cher… eh bien… elles vous…
Moi (et le courroux qui me gagne) :
— Stop ! Oui, stop ! Cela suffit maintenant, Isabelle ! On arrête tout ! Et on va reprendre calmement tous les deux parce que je crois que ça dérape un peu trop, là ! Certes, vous êtes blonde, et vous avez les yeux bleus, et puis vous êtes aussi particulièrement bien foutue, très bien, alors oui, tout cela est uniquement parce qu’il me convient de vous voir de cette façon ! Aussi ne cherchons pas plus loin, s’il vous plaît ! Et puis après tout, je crois que vous n’avez absolument aucune raison valable de vous plaindre, vous pourriez très bien être l’un de ces malheureux laiderons abjectes et sans aucun caractère qui traînaillent dans la plupart des romans à l’eau de rose !
Elle :
— Ah… ainsi, voilà donc l’opinion que vous vous faites vraiment des femmes en général ?! Elle se résumerait à de simples détails d’ordre esthétique, ou peut-être même purement cosmétique ?! Soit belle et tais-toi, en somme ! Ah ! Elle est charmante, votre vision du Monde !
Moi :
— Mais non ! Justement, vous n’avez rien compris, je ne veux surtout pas que vous vous taisiez, ma petite ! Bien au contraire, parlez-moi, parlez-moi donc ! Et posez-moi des questions, des tonnes de questions ! Je n’attends plus que cela de vous maintenant !
Elle (changeant subitement de ton) :
— Alors… comme ça… vous trouvez que je suis bien foutue… ?! Mais, est-ce que ça au moins, c’est bien vrai… ?!
Moi (profitant de l’aubaine qui se présente) :
— Mais bien sûr que c’est vrai ! Pourquoi vous mentirai-je ?! Vous êtes même une sacrément belle fille, Isabelle ! je vous l’assure, vous êtes magnifique !
Elle (ouvrant (enfin) son petit carnet de notes) :
— Bien… et votre enfance, alors… ? Si nous parlions un peu maintenant de votre enfance, Ernest ! J’ai cru deviner que cela n’avait pas été très folichon folichon ! Vous n’avez pas été un enfant facile à élever à ce qu’il parait… ?
Moi (tombant des nues) :
— Comment ? Mais… qui donc a bien pu vous raconter ça… ?! Ah, mais si, je vois… je vois très bien même… c’est ma mère… ?! C’est bien elle, hein… ?! Je suppose qu’il n’y a pu y avoir qu’elle pour vous raconter toutes ces sornettes sur moi !
Elle :
— Absolument pas ! Je n’ai jamais parlé de ma vie à votre mère ! Il s’agit seulement d’une évidence qui saute aux yeux en parcourant votre manuscrit… vous n’avez certainement pas eu une enfance heureuse, il suffit de savoir vous lire entre les lignes pour l’imaginer sans peine…
Moi :
— Ah… voilà ! je le savais… vous l’avez lu !
Elle :
— Mais évidemment, que je l’ai lu votre satané livre ! Ne pas le faire aurait été une faute professionnelle impardonnable de ma part il me semble, non ?!
Moi :
— Je le savais ! Oui, je le savais ! Et cela vous a plu… ?!
Elle :
— La question n’est pas là pour l’instant ! Que cela m’est plu ou pas n’a vraiment aucune importance, Ernest ! Si je suis là aujourd’hui, c’est uniquement pour vous interviewer et rien de plus ! Alors… cette enfance malheureuse, qu’en est-il exactement… racontez… !
Moi :
— Mais si… allons, dites moi ! Je vous en prie… comment avez vous trouvé… ?
Moi :
— Non ! que je vous dis ! Cela n’a vraiment aucun intérêt ! Je suis là pour travailler, pour informer mes lecteurs qui désirent vous connaitre un peu mieux, et certainement pas pour vous passer de la pommade durant une heure !
Moi :
— Ah… j’en étais sûr ! Si vous dites cela, c’est donc que mon livre vous a plu ! Vous venez de vous trahir, ma chère ! Alors, dites-moi… qu’est-ce qui vous le plus surpris dans cet ouvrage : le style, l’histoire, la manière dont se déroule l’intrigue… ou bien, mes personnages, peut-être… ? Oui je suis certain que ce sont surtout mes personnages qui vous ont intéressés… ne sont-ils pas attachants pour la plupart… ?! Tenez, cette Madeleine, par exemple… n’est-elle pas drôlement sympathique, ma petite Madeleine… ?!
Elle :
— Bon… revenons plutôt à cette enfance… pour votre mère, très bien… j’ai compris, n’en parlons plus ! Mais, votre père… ? Parlez-moi donc maintenant de votre père… quels étaient vos rapports avec votre père ? Extrêmement conflictuels, je suppose… n’est-ce pas, Ernest… ?
Moi :
— Ce n’est pas bien du tout ce que vous faites là, Isabelle… ! Non, pas bien du tout ! Je ne vous demandais pas grand-chose finalement… juste de me dire si cela vous avait plu…
Elle (impatiente) :
— Bon… j’attends… votre père… ?
Moi (écœuré) :
— … Oui, quoi ? Quoi, mon père ?! Qu’est-ce que vous voulez que je vous raconte sur mon père ?! Mais évidemment que c’était extrêmement conflictuel avec lui !
Elle :
— Ah, ben voilà… j’en étais persuadée !
Moi :
— Alors pourquoi me le demander si vous le saviez déjà ?! Pourquoi poser une question dont on connait déjà la réponse ?! Vous m’ennuyez…
Elle :
— Je voulais simplement l’entendre de votre propre bouche !
Moi :
— Laissez-moi vous dire que vous êtes vraiment une drôle de journaliste, ma chère ! Tiens, au fait, c’est quoi déjà ce canard pour lequel vous bossez ?
Elle :
— … France-Brocante…
Moi (interloqué) :
— France-Brocante… ?! Mais vous vous foutez de moi ou quoi… ?! Vous m’apprenez ainsi que vous venez m’interviewer ici, m’agresser, devrais-je plutôt dire… ! tout ça pour le compte d’une vulgaire revue à la con sur la brocante… ?! Non, mais, qu’on me pince, je rêve tout éveillé, là… ! Oui, je rêve !
Elle :
— Apprenez donc, mon cher ami, que les passionnés de vides-greniers peuvent également être des gens qui s’intéressent à la littérature… ne soyez donc pas si sectaire, Ernest Salgrenn ! Ouvrez donc un peu plus votre esprit et élargissez votre vision des choses !
Moi (ironique) :
— Tiens, vous pourrez toujours leur raconter qu’adolescent je collectionnais les timbres-postes ! Je suis certain que cela va beaucoup leur plaire !
Elle :
— Mais oui… certainement… merci pour cette anecdote ! Je le note ! Une seconde, vous n’aviez pas terminé concernant votre père… un rapport très conflictuel, disiez-vous… ?
Moi (tout en m’imaginant en couverture de France-Brocante du mois prochain) :
— … En tout cas jusqu’à l’âge de mes quinze ans environ… ensuite, il est vrai que cela c’est un peu arrangé entre nous…
Elle (curieuse) :
— Comment ça, cela c’est arrangé… ?!
Moi :
— Oui… notre relation père-fils a évoluée de façon très positive dès le jour même où il a pris la décision de se jeter sous un train !
Elle :
— Ah, mince… ! je ne savais pas… me voyez confuse… absolument désolée, Ernest !
Moi :
— Y’a pas à être ennuyée comme ça, ma petite ! Après tout, lorsqu’on a une vie totalement inintéressante, n’est-il pas préférable qu’elle soit la plus courte possible ?! J’ai toujours pensé que mon père avait fait le bon choix !
Elle :
— Mais, c’est carrément horrible ce que vous me dites là… !
Moi :
— Et ce n’est pourtant que la vérité ! Ne vouliez-vous pas justement tout à l’heure que je vous dise la vérité ?! Hé bien, voilà, je vous la sers sur un plateau d’argent, cette vérité… elle est que mon père, je vous le répète une nouvelle fois, ma très chère Isabelle, a eu une excellente idée de se suicider parce que, finalement, cela arrangeait bien tout le monde, et moi le premier !
Elle :
— … Vous êtes ignoble ! Un monstre, voilà ce que vous êtes en réalité !
Moi :
— Merci… vos compliments me vont droit au cœur !
Elle décroise les jambes…
— Ah… enfin… ! Je me demandai bien si vous alliez le faire à un moment !
Elle :
— Quoi… ? De quoi parlez-vous… ?
Moi :
— Vos jambes… j’avais fini par croire que vous n’alliez jamais les décroiser ! J’attendais cela avec beaucoup impatience depuis le début de notre entretien… cela n’est pas très conseillé pour votre circulation du sang de rester comme cela si longtemps, les gambettes croisées !
Elle :
— … Ma circulation du sang… ?! Elle a bon dos, tiens, ma circulation du sang ! Avouez plutôt que ce sont surtout mes cuisses que vous vous désespériez d’apercevoir avant la fin de cet entretien ! Non seulement vous êtes un ignoble type, Ernest Salgrenn, mais de surcroît vous êtes un véritable obsédé sexuel ! Ignoble saligaud ! Honte à vous !
Moi :
— … N’exagérez-vous pas un peu… ? Je me demande bien quel mal y aurait-il donc de ma part à désirer votre bien, ma chère… et uniquement votre bien, je vous l’assure… voilà, alors que je vous parle, avec raison, il me semble, d’hygiène de vie et du bien-être de vos vaisseaux sanguins, mais aussi lymphatiques, que vous… vous… oui, c’est bien de vous dont je parle, et ne faites pas ses yeux de merlan frit, s’il vous plaît, car je vous le répète c’est bien de vous dont il s’agit ici, ma chère ! Vous, donc, petite demoiselle effrontée qui n’ayant apparemment aucun sens de la mesure, ni le moindre discernement, vous… hé bien, vous là même devant moi… jambes décroisées et très légèrement entre-ouvertes… vous avez l’audace de me parlez froidement de sexe… de sexe, Isabelle… oui, j’ai bien dit de sexe ! Aurais-je donc tout entendu cette fois avec vous, ou bien faut-il encore que je m’attende à d’autres inepties de votre part, et qui soient, on ne peut que le craindre j’imagine, toutes aussi grossières et malvenues que celle-là ?! Mais, que me préparez vous donc encore, Isabelle… ?!
Elle :
— Wouaah… ! Bravo ! Là, j’avoue que vous m’impressionnez ! Cette facilité que vous avez à retomber sur vos pattes à chaque fois ! Du grand art lyrique, Néness ! Dans le genre, vous êtes sans conteste le champion toutes catégories ! Alors, que dire après ça, je me le demande bien… ?!
Moi (vexé grave) :
— Hé bien, vous savez quoi… ne dites rien ! c’est peut-être mieux ainsi après tout ! Oui, c’est ça, taisez-vous donc si vous ne savez plus quoi dire !
Elle :
— Vous n’allez tout de même pas vous mettre à bouder… ?!
Moi (me levant de ma chaise) :
— Bon, l’heure de la visite a passé, je crois… voyez le gardien est déjà là… j’entends les clés dans la serrure… à une prochaine fois… peut-être… et bien le bonjour chez vous… !
Le gardien ouvre la porte et je le suis sans me retourner, et c’est beaucoup mieux ainsi… And the thrill is gone… Et le frisson est parti…
Deux jours plus tard.
Le gardien (à la porte de ma cellule) :
— Elle est là…
Moi (couché en travers de mon lit de fer) :
— Hein ? Qui ?
Le gardien :
— Vot’ copine, la journaliste ! elle est revenue et elle veut vous voir !
Moi (ne bougeant pas d’un poil) :
— Ben non, j’irai pas… ! Dis-le lui donc de ma part, le maton… je ne veux pas la voir ! Plus du tout envie de lui parler, à celle-ci !
Le gardien :
— Comme vous voudrez, mais je commence à bien la connaître, cette fille, elle ne partira pas tant qu’elle ne vous aura pas vu ! Ça, c’est du garanti sur facture !
Moi :
— Et que veut-elle encore de moi… ?! Je lui ai tout dit ! Elle n’a plus rien a apprendre, elle sait tout maintenant !
Le gardien :
— Vous êtes vraiment sûr de vous… ?
Moi :
— Oui ! Dites-lui de s’en retourner chez elle… je veux rester seul maintenant !
Le gardien (faux ami de première classe) :
— … C’est bête… elle avait un cadeau pour vous…
Moi (me relevant sur mes coudes) :
— Attendez… un cadeau… ?! Comment ça, un cadeau ? Qu’est-ce que c’est que cette affaire ? Et de quel droit m’apporte-t’elle un cadeau ici, celle-là ?! Quel manque évident de savoir vivre !
Le gardien :
— Bon… décide-toi maintenant, le scribouillard ! j’ai pas que ça à faire, moi ! Alors, on y va ou pas ?
Moi :
— Et il ressemble à quoi, ce cadeau ?
Le gardien :
— Mais, je n’en sais rien, moi… j’l’ai pas vu !
Moi (m’asseyant au bord du lit qui couine) :
— Comment ça ? vous avez bien du la fouiller à l’entrée, nom d’un chien ?! Ne me dites pas que vous ne fouiller plus les visiteurs maintenant ?! C’est marrant, mais j’ai l’impression que depuis quelques temps ça devient un peu le foutoir dans cette baraque !
Le gardien :
— Évidemment qu’on l’a fouillé, la petite ! Tu m’étonnes, John ! Une gamine aussi gironde… et même plutôt deux fois qu’une !
Moi (debout sur mes pattes maintenant) :
« OK… c’est bon, on y va ! mais, je vous jure qu’elle va m’entendre, cette garce… !
Le gardien :
— Tu viens pas de dire que t’avais plus rien à lui dire ?! Et voilà maintenant qu’elle va t’entendre ?! T’es pas très logique, mon pote !
Moi (mais il fallait bien que ça sorte un jour) :
— … Et toi, mon salaud de vicelard, tu crois peut-être que t’es logique lorsque tu me reluques le fondement en profondeur trois fois par jour ?! Bon, allez, hop ! assez discuté comme ça maintenant… allons-y vite !
Arrivé au parloir, elle est bien là…
Moi (tout de suite) :
— Vos yeux… ?! Mais… bon sang… qu’est-ce que vous avez fait à vos yeux… ?! Ils sont devenus verts !
Elle :
— J’ai mis des lentilles de contact ! Vous voyez, Ernest, vous n’êtes pas le seul à pouvoir vous permettre de travestir la réalité du matin au soir !
Moi :
— Des lentilles… ?! Vous n’aviez pas le droit ! Qui vous a donc autorisé à faire ça ?!
Elle :
— Vous continuerez toujours à m’étonner, Ernest ! Je ne pensai vraiment pas que la première chose qui attirerait votre attention aujourd’hui serait le changement de couleur de mes yeux !
Moi :
— Ah bon… ? Parce que vous croyez peut-être que je ne l’ai pas vu aussi, votre mini-jupe ! D’ailleurs, n’est-elle pas un peu courte tout de même pour des visites en prison… ?!
Elle :
— … Je ne pensai pas à ça non plus, voyez-vous ! Je pensai plutôt à ma coiffure !
Moi :
My God… ! Mais… mais qu’avez-vous fait, là aussi ?
Elle :
— Holà ! je peux vous assurer que votre sacré bon Dieu n’a rien à voir là-dedans, Ernest ! J’assume mes choix, moi ! Alors ceci n’est qu’une simple initiative personnelle !
Moi :
— Brune… ! Brune aux yeux verts ! C’est la meilleure de l’année, celle-là !
Elle :
— Oui, et alors… ? Où est le problème, mon vieux… ?! Je ne vous plaît peut-être pas comme ça ?
Moi :
— … Vous… vous… tiens… vous m’emmerdez vraiment, Isabelle… !
Elle :
— Ah… je le savais bien que cela vous ferait plaisir !
Moi :
— Non ! Certainement pas ! Vous m’avez trahi Isabelle !
Elle :
— Hé ben voilà… c’est dit ! Alors… quoi de neuf, depuis l’autre jour ?! Ça roule toujours pour vous ?! On s’est fait des nouveaux copains, peut-être ?!
Moi :
— Qu’est-ce que ça peut bien vous faire ?! Pourquoi êtes-vous revenue ? On s’était tout dit, il me semble bien !
Elle :
— Oh, je ne crois pas, non ! Et puis, j’ai un petit cadeau pour vous, et je suis certaine qu’il vous fera plaisir… tenez, ouvrez-donc… !
Elle me tend un petit paquet très bien emballé dans du papier kraft, avec un ruban rouge tout autour, et une jolie étiquette avec dessus, en lettres d’or, mon prénom, Ernest…
Moi (gros rancunier) :
— Merci, c’est gentil mais fallait pas ! le mérite sûrement pas !
Elle :
— Allez, ouvre-le plutôt, au lieu de nous faire ta chochotte !
Moi (de surprise en surprise) :
— Ah bon ? parce qu’on se tutoie maintenant… ? alors c’est nouveau, ça aussi ?! Et puis-je savoir en quel honneur on se tutoie tous les deux ?!
Elle :
— En l’honneur qu’on se connait peut-être un peu mieux maintenant ! Bon, alors, tu vas l’ouvrir ton paquet, dépêche-toi, sinon, je vais finir par le faire moi-même !
Moi :
— Vous êtes de plus en plus impertinente, Isabelle !
Elle (un doigt s’entortillant dans les cheveux) :
— Ouais… et de plus en plus belle !
Moi (comme une image figée dans le cortex) :
— Cette mini-jupe en cuir, c’est votre idée aussi… ?!
Elle :
— Bien sûr ! Tu n’aurais peut-être pas osé, toi… parfois, je te trouve tout de même un peu trop timoré de ce côté-là… tu les aimes, mes jambes… ?!
Moi (tout en déchirant le papier kraft) :
— Oui… évidemment… elles sont superbes ! Vous devez certainement faire beaucoup de sport pour avoir de telles guiboles, non ?!
Elle :
— Toujours sur la pointe des pieds lorsque je monte un escalier ! Et c’est bon pour le fessier aussi !
Moi :
— Et pour les cuisses… je suis certain que vous avez un truc aussi… ?!
Elle :
— Oui… La bicyclette ! je grimpe pas mal de cols à vélo ! le Mont Ventoux, tu connais… ?! je me le tape deux fois par semaine en ce moment ! Et toujours par Bédoin, c’est le côté le plus difficile ! des passages à dix-huit pour cent !
Moi (découvrant enfin l’objet emballé…) :
— Un livre…
Elle :
— Ouais… bonne pioche !
Moi :
— Mon livre… ! Merde… mais c’est mon bouquin… « Le coup du Dodo » ! Quelle surprise ! Alors comme ça, ils l’ont déjà imprimé… ?! C’est vachement rapide quand même ! Je n’aurai pas cru qu’ils mettraient si peu de temps ! Oh ben, merde alors ! C’est lui… c’est mon bouquin que je tiens entre mes mains… !
Elle :
— Alors, heureux, pépère… ?!
Moi (très ému) :
— … Je n’arrive pas encore très bien à réaliser… c’est tellement incroyable !
Elle :
— Tu vas pas chialer tout de même ?! Allons, ressaisies-toi vieille branche !
Moi (flottant sur un petit nuage tout en couleurs) :
— Tu ne peux pas comprendre, Isabelle… cela faisait tellement longtemps que je l’attendais, ce moment-là…
Elle (les pieds encore sur terre) :
— Et ils m’ont affirmé que ça allait sûrement faire un carton ! Tu sais, ils ont l’habitude, ils ne se trompent pas souvent, alors je crois qu’on va leur faire confiance !
Moi :
— Tu sais… cela fait bien longtemps que je ne fais plus confiance à personne !
Elle :
— C’est bien dommage…
Moi (feuilletant mon « Dodo ») :
— Bon… va falloir que je le relise tout de suite ! je dois vérifier s’ils n’ont pas fait d’erreur… c’est important… pas de coquille et chaque mot doit être bien à sa place !
Elle :
— Mais ce sont des pros tout de même… te fais donc pas de bile, Ils connaissent bien leur métier, ces gens-là ! Allez, on se décontracte maintenant… je te sens beaucoup trop tendu… Relax man !
Moi (reprenant mes esprits) :
— Bon… et cet article sur moi… t’en es où… ?
Elle :
— Bientôt terminé ! Il me manque juste deux ou trois petites choses… par exemple, tu ne m’as absolument rien dit sur ta scolarité, Ernest…
Moi :
— Parce qu’il n’y a rien dire !
Elle :
— Qu’est-ce que tu me chantes… comme tout le monde t’es forcément allé à l’école primaire, au collège, et peut-être même ensuite, au lycée… ?!
Moi :
— Oui, mais il n’y a vraiment rien d’intéressant à raconter sur cette période de ma vie… tu vas pouvoir faire l’impasse là-dessus dans ma bio, ma petite chérie… !
Elle :
— Mais, il n’en est pas question ! mes lecteurs voudront savoir !
Moi :
— Hé, bien, s’ils veulent vraiment savoir dis leur donc que je m’y suis emmerdé à l’école ! Voilà, dis-leur ça, après tout : Ernest Salgrenn s’est emmerdé comme un rat mort à l’école !
Elle :
— Mauvais élève… ?
Moi :
— De mauvais professeurs surtout !
Elle (réfléchissant deux secondes) :
— Bon… OK… je sais ce que je vais écrire dans mon papier… j’écrirai que tes professeurs n’ont pas su malheureusement déceler en toi cet extraordinaire potentiel sous-jacent qui ne demandait pourtant qu’à s’exprimer pleinement en une multitude éblouissante d’éclats d’un génie sans cesse renouvelé… ! Est-ce que cela te convient… ?!
Moi (un peu sonné) :
— Parfait !
Elle :
— Et ensuite… tu bossais dans quoi… ? c’était quoi ton boulot avant de te consacrer uniquement à l’écriture ?
Moi :
— Je ne sais pas moi, tu sais, j’ai essayé tellement de choses dans ma vie ! on a qu’à dire thanatopracteur, tiens… ! C’est pas mal, ça, non ? Thanatopracteur ! c’est cool et pas du tout banal comme job, je suis persuadé que ça va leur plaire du tonnerre !
Elle :
— Oh, Madonne ! Mais, c’est bon ça… ! c’est même très très bon ! voilà bien une chouette anecdote qui va faire kiffer mes lecteurs ! Ils raffolent du morbide, ces imbéciles !
Moi (dictionnaire ambulant) :
— Le macabre, tu veux dire… le morbide, c’est rapport à la maladie… le macabre est donc plus approprié dans le cas présent… toujours important d’employer les mots justes, Isabelle…
Elle :
— Macabre, funeste, ou morbide… ne t’inquiètes pas, ils ne feront pas la différence ! si les journalistes avaient l’habitude de faire dans la subtilité cela se saurait depuis le temps, non ?! le principal, vois-tu, est de marquer les esprits avec des mots chocs ! Morbide… mort… ça matche fort ! Et puis, tiens, je rajouterai également deux ou trois photos pleine page de magnifiques cadavres en décomposition ! Plus c’est dégueulasse et trash, et plus ça a des chances de plaire !
Moi :
— Et j’ai un titre tout trouvé… « Ernest Salgrenn, un écrivain fabuleux qui parle à l’oreille des morts » !
Elle :
— Ouais… c’est très bon, ça aussi… ! Vraiment… t’es trop génial, Ernesto !
Moi :
— Je ne te le fais pas dire !
Elle :
— À ce propos… en parlant de photos… je me suis faite accompagner par un photographe aujourd’hui, il attend derrière la porte…
Moi :
— Des photos ? des photos de moi ? Ici… ? Mais, le cadre n’est pas tellement approprié ! et puis je ne me suis pas rasé depuis plus d’une semaine !
Elle :
— Pas de soucis, bien au contraire ! Cela accentuera ton côté bad boy ! C’est nickel, ça aussi, pour ta popularité !
Moi :
— Si tu le dis… faisons-le entrer alors…
Elle se lève (je mate son cul), se dirige vers la porte, l’ouvre, un jeune type, avec un appareil photographique Nikon autour du cou, entre dans la pièce…
Moi (pas encore tout à fait folle la guêpe) :
— Vous… vous… mais je vous reconnais… !
Elle (très satisfaite de son petit manège) :
— Hé, oui… c’est bien lui… ton petit livreur de pizzas !
Moi :
— Salope !
Elle :
— Merci ! Tu ne croyais tout de même pas que tu allais pouvoir t’en tirer comme ça… !
Clic clac Kodak ! éclairs de flashs. Je ne vais pas tarder à tomber sous la mitraille…
Moi (un début de migraine ophtalmique) :
— C’est pas réglo du tout, cette façon de faire… tu n’avais pas le droit ! c’est illégal !
Elle :
— Illégal ?! Simple retour de manivelle, dirons-nous plutôt ! Il a une belle petite gueule, tu ne trouves pas… ?! Viens, approche d’un peu plus près, mon chou, et montre donc ta jolie frimousse à ce brave monsieur Salgrenn… !
Moi :
— Salope !
Elle :
— Déjà dit, je crois ! Va falloir que tu penses à te renouveler, mon cher… !
Moi :
— Tu as couché avec lui ? T’as couché avec lui, hein ? j’en suis sûr, je le sais… !
Elle :
— Pas encore… mais, ça ne saurait tarder !
Moi :
— Pourquoi joues-tu à ce jeu-là ? Ça t’amuse donc de me faire souffrir ? Mais qu’est-ce que j’ai donc fait pour mériter ça ?
Lui (le photographe de mes deux) :
— Je crois qu’elle vous aime… tout simplement…
Moi :
— Ta gueule, toi ! Il me semble ne pas t’avoir autorisé à m’adresser la parole ! D’ailleurs, depuis quand les macchabées ont-ils le droit de se mêler des affaires des vivants ?! Et vlan !
Elle (se lovant contre ce petit con) :
— Pour un macchabée, je le trouve drôlement sexy, moi !
Moi (détournant le regard) :
— Gardien ! Ohé, Gardien ! je veux sortir d’ici tout de suite… ! il est passé où encore ce gros lard ?!
Elle :
— Et voilà… monsieur se débine une fois de plus ! Un écrivain, ça ? Une sacrée lavette, oui… !
Moi (piqué au vif) :
— Non, je ne me débine pas ! Je ne veux pas voir ça, c’est tout ! Tu vas beaucoup trop loin, là ! Un personnage de roman se doit de garder une certaine mesure dans son attitude ! Même chez moi ! Je n’aurai jamais écris une scène pareille, vois-tu… jamais ! j’ai toujours eu le sens de la retenue pour mes personnages car il y a parfois des lignes à ne pas écrire, ma chère !
Elle (indiquant d’un geste au photographe, la sortie) :
— Bon, allez, ça va… faisons la paix… je m’excuse… tu entends, je m’excuse… reviens t’asseoir, s’il-te-plaît…
Moi (attendant que le jeune décédé sorte tout à fait) :
— … c’est vrai, ce qu’il a dit… ?
Elle (feignant de ne pas comprendre, mais fallait s’y attendre) :
— Quoi donc… ?
Moi :
— Ben, que tu m’aimes… ?
Elle :
— Ça se pourrait bien… ce n’est pas impossible… ! il n’est pas faux en tout cas de penser que je ne sois pas totalement insensible à ton charme… !
Moi :
— Une litote ! C’est merveilleux ! Voilà que mademoiselle se prends pour Chimène, maintenant ! J’aurais vraiment tout vu et tout entendu, aujourd’hui ! Je suis épuisé, tiens ! Trop, c’est trop !
Elle :
— Bon… on y va ?
Moi :
— Où ça… ?
Elle :
— Ben, chez nous, pardi ! Ne crois-tu pas que nous avons perdu assez de temps comme ça tous les deux ?! Un taxi nous attend, tu vois, j’ai tout prévu !
Moi :
— C’est fini, alors ? La vie réelle reprend déjà son cours monotone… je n’ai pas vu le temps passer, cette fois-ci…
Elle :
— Oui… mais après tout… rien, ni personne, ne t’empêche d’écrire la suite demain… allez, viens, rentrons maintenant, mon chéri…

Texte et photographie Ernest Salgrenn. Avril 2022. Tous droits réservés.

Dossiers froids. Patrick Fouillard.

C’est la première fois que je ne lisais pas un roman de monsieur Patrick Fouillard. Il est vrai qu’il n’a pas écrit grand-chose jusqu’à présent. Il s’agit donc d’un polar (et non d’un épaulard, animal qui n’a rien à voir bien que vivant, lui aussi, dans des mers froides, je veux parler de cet auteur, bien sûr, mais rassurez vous, pour ceux qui ont le vertige, je suis simplement assis sur une chaise de bureau).
Patrick Fouillard doit être un pseudo. Cela ne fait aucun doute. Mon beau-frère se prénomme, lui aussi, Patrick. C’est donc un prénom d’un commun peu banal. Par contre, mon beau-frère n’a jamais écrit de roman noir, ce qui est plutôt une bonne chose pour la littérature, l’imbécile sachant à peine lire et écrire. Par contre, il tire très bien au boules (la pétanque, pour les non-initiés). Ce qui est un avantage non négligeable si on joue dans son équipe. Un bon tireur à la pétanque, c’est primordial.
« On n’a jamais aussi bien parlé de gendarmes à la retraite. Un vrai régal ! » déclare, enthousiaste, Bernard Pivot en quatrième de couve (Oui, pour une fois, j’ai tout de même fait l’effort de lire la quatrième de couve). Je subodore qu’il a encore ses douze points sur son permis de conduire et qu’il s’emballe peut-être un peu vite, Bébert, comme je l’ai souvent vu s’emballer pour pas grand-chose, enfin, quand je vous dis pas grand-chose, c’est pour tout au plus quelques milliers d’euros de cash. Personnellement, je ne mange pas de ce pain-là, je suis toujours sincère, je dis ce que je pense, j’ai une éthique ! Au risque de ne pas me faire que de bons amis dans le milieu de la culture. Mais, ce n’est pas grave car mes amis, les vrais, ceux sur lesquels je peux toujours compter si j’ai besoin d’un coup de main à l’improviste, sont à mille lieux de tout cela. La plupart lisent très peu d’ailleurs, et s’en tamponnent donc royalement le coquillard (qui rime avec Fouillard !) de ce que je peux penser d’un bouquin.
Sinon, en ce moment, je lis « Guerre et Paix ». C’est d’un certain Tolstoï. Je l’ai trouvé dans une cabane à livres (je sais, je vous ai menti, il y a bien une cabane à livres dans mon village !). Depuis une quinzaine, grosse affluence de livres russes dans ma cabane à livres. Les gens doivent faire le tri dans leurs bibliothèques et se débarrasser vite fait, de peur d’être considérés comme des collabos en puissance, mais, ils n’ont peut-être pas tort, ces trouillards (qui rime aussi avec Fouillard, tiens !), il est exact qu’on en a fusillé pour beaucoup moins que ça à la Libération ! C’est un très (très) gros bouquin de 1225 pages que celui-ci. Mais, j’aime bien les gros bouquins. Gamin, j’ai appris à lire dans l’annuaire du Finistère, cela explique peut-être cela. L’annuaire, c’est sympa, tout est bien rangé par ordre alphabétique, dommage qu’ils ne le font plus. Pour économiser le papier, soi-disant. C’est fou ce qu’on sacrifie de nos jours au nom de l’écologie. Qu’est-ce qu’on va en foutre alors de tous ces arbres qu’on plante un peu partout si on ne fait plus tourner à fond les usines à papier qui salopent nos rivières ?! Je me le demande bien. Enfin, je ne serai plus là pour voir ce massacre, et ce n’est pas plus mal, finalement.
Sinon, plus tard, vers dix-douze ans, il y avait le catalogue des 3 Suisses, que j’aimais bien. Plus illustré que l’annuaire, et d’une bien meilleure qualité de papier aussi. Et puis, surtout, des pages entières de mannequins girondes en porte-jarretelles noirs, en collants opaques, en strings ficelles, ou en petites culottes à frou-frou. Sympatoche, le catalogue des 3 Suisses ! C’est dommage, il ne le font plus, non plus, alors, nos gosses, vont tous sur internet maintenant pour découvrir tout ça (et bien plus encore).
Bon, je vous laisse, je crois que j’en ai assez dit sur ce roman, peut-être même un peu trop, ce qui pourrait vous donner (et ça serait trop bête !) envie de le lire…
Je vous donne le lien du blog de monsieur Patrick Fouillard (pour celles et ceux qui connaissent pas encore ce si talentueux écrivain) : https://jourdhumeur.wordpress.com/
La prochaine fois, je ne vous parlerai pas de « Guerre et Paix », forcément : je l’aurai lu ! Bonne journée à tous, et bonne lecture, les amis !

Le grand débat de la théorie quantique. Selleri.

Chose promise, chose due !
Oui, je sais, cela commence exactement comme la dernière fois, mais, nous y voilà bien, nous allons aujourd’hui parler de ce fameux livre sur la théorie quantique, que je n’ai toujours pas lu bien sûr, vous commencez à connaître le concept à force, et comme cela fonctionne plutôt bien (j’ai eu de très bons retours, 8 likes sur mon dernier post), continuons sur cette lancée.
Cette nuit, j’ai dormi une heure de moins et pourtant je me suis couché et levé aux mêmes heures que d’habitude. Cherchez l’erreur ! Et, je vous rassure, il n’est aucunement question de théorie quantique là-dedans, ni même de théorie de la relativité, sa cousine (Grosso modo pour la faire simple : plus tu vas vite, plus tu gagnes du temps !). Non, cela est tout simplement le fait d’un groupe de jobards tourmentés à petites lunettes (qui font sérieux, car c’est bien connu, les myopes sont plus intelligents que les autres), qui a décidé en 1976 de nous enquiquiner la vie. Un peu plus, rajouterai-je, en filigrane. Et en filigrane, le terme est bien choisi, car c’est aussi ce que l’on voit sur nos billets de banque, en transparence, le filigrane. L’idée, donc, était de nous faire faire des tas d’économies, suite à la flambée du prix du pétrole (Ah… ? Cela vous rappelle quelque chose d’actuel ?!). La crise pétrolière, même qu’on avait nommé ça, à l’époque. On n’avait pas de puits de pétrole chez nous alors on avait décidé à la place d’avoir des bonnes idées ! Certes, ce n’était pas con, mais ce qui m’étonne tout de même un peu, est que dans notre pays aujourd’hui, la plupart de notre production d’électricité est obtenue à partir de centrales nucléaires (70,6 %)… et non à partir de centrales à fioul (moins de 4 %) ! Aussi, cherchez l’erreur, une fois de plus ! Mais surtout, messieurs les binoclards, laissez-moi dormir tranquille tout le temps que je veux ! Chiotte, quoi ! Surtout que lorsque je me couche, j’éteins toutes les lumières chez moi (c’est beaucoup mieux pour trouver le sommeil, je vous le conseille), donc je ne consomme rien ou presque rien (des fois, je me relève pour aller pisser, mais c’est rare), donc je n’aggrave pas la situation énergétique de mon pays, bien au contraire. Voici d’ailleurs une idée qui aurait été bonne : obliger tous les gens à dormir une heure de plus, tous les jours de l’année. Sûr qu’on y aurait certainement gagné beaucoup plus en économie d’énergie…
L’infiniment petit, cela doit être vachement passionnant, je ne vous le fais pas dire. Surtout si l’on dispose d’un bon microscope. Quoique de nos jours le miscrocope (oui, je suis dyslexique) soit un peu dépassé comme instrument d’observation. On utilise plutôt maintenant un accélérateur de particules, et le nôtre, de grand collisionneur d’atomes, se trouve dans un tunnel situé à 100 mètres sous la terre, de part et d’autre de la frontière franco-suisse, près de Genève. Là, dans un gigantesque tuyau circulaire, on y propulse à de très grandes vitesses des atomes les uns contre les autres pour voir comment ça fait, comme dans un super bowling en quelque sorte. On fait mumuse avec la matière. Strike sur strike, Micke ! (ouais, c’est pas facile à prononcer, mais j’ai fait exprès !).
Albert Einstein, dont on n’a jamais su les toutes dernières paroles avant de mourir, sa conne d’infirmière ne parlant pas un traître mot d’allemand, c’est bête, mais franchement on aurait pu y penser avant, histoire de ne pas rater (peut-être) une dernière et nouvelle théorie étonnante qui chamboulerait à nouveau le monde, enfin, bref, on ne saura donc jamais du coup à cause d’elle, ne croyait pas à la physique quantique. « Arhhhh, c’est que du pipeau, tout ça ! Des atomes crochus ? Et pourquoi pas aussi des graines de sésame sur les brötchen aux saucisses ! » disait-il (libre traduction de moi qui a fait Allemand seconde langue), en vous tirant la langue, bien sûr. Parce qu’Einstein, le fortiche en maths, était en réalité un sacré rigolo. Pourtant, il parait qu’il était assez nul à l’école (ce qui nous fait deux points communs (avec rigolo, pas les maths), comme quoi…). Ses profs lui disaient sans arrêt qu’il ne ferait jamais rien de bien dans sa vie. À cause de ça, si vous saviez ce qu’il a galéré, le pauvre, il a même du s’expatrier en Suisse au début de sa carrière pour trouver du boulot, c’est pour vous dire… !
Bon, je vais y aller, moi, je crois que je vais me taper une petite sieste, histoire de rattraper cette heure de sommeil perdue cette nuit. Alors : Gute nacht, les amis !

PS : la prochaine fois, je vous parlerai d’un autre bouquin, dans un genre tout à fait différent, plutôt polar noir : « Dossiers froids » de Patrick Fouillard, et croyez-moi déjà sur parole, il y aura encore beaucoup à raconter.

Les Russkoffs. François Cavanna.

Chose promise, chose due. Enfin, presque…
Je vous avais promis de vous parler dans mon prochain post consacré à la critique littéraire d’un bouquin de Physique quantique (et je devine bien que vous attendiez ce moment avec grande impatience), seulement voilà… en farfouillant dans mes piles de bouquins non lus encore, je tombe sur celui-ci : « les Russkoffs » de monsieur François Cavanna. Et là, je me dis (toujours en aparté, et réveillant cette grosse bête curieuse qui sommeille en moi) : « C’est de çui-ci qu’il faut que je leur cause aujourd’hui ! N’est-il pas meilleur titre qui colle à l’actualité du moment ? N’est-il pas ? Oui, n’est-il pas ? N’est-il pas ?! » (Oui, il m’arrive de bégayer un peu lorsque je me parle à moi-même). Donc, en avant Guingamp, et c’est parti pour les Ruskoffs… !
Lorsque j’étais petit garçon, en classe de quatrième, collège de l’Empéri, je me trouvais assis le plus souvent à côté d’un camarade dont le patronyme était : « Ouais » ! Bien entendu, et c’est tout à fait normal, ne l’avait-il pas un peu cherché ? tout le monde se foutait de sa gueule dans la cour de récréation ! Moi, le premier (Très tôt, j’ai eu ce sens inné de la dérision désopilante et de l’humour acerbe qui met souvent mal à l’aise mes interlocuteurs et trices). Mais, l’étrange ne s’arrête pas là, ce type était le seul de tout notre bahut à avoir choisi « Russe » en deuxième langue vivante ! Re-foutage de gueule, bien sûr ! Sauf, moi. Je m’interrogeais plutôt. Je cherchais à comprendre… pourquoi le russe ? Pourquoi ? Mais, je n’ai jamais eu vraiment la réponse.
Bien souvent, lorsque Sylvain (Tesson) passe me voir, il me bassine avec la Russie et les Russes. C’est un pays que je ne connais pas, mais que lui connait très bien. Si ce n’est pas toujours un avantage de bien connaître quelque chose, ou quelqu’un, pour bien en parler, lui en parle très bien, c’est vrai. Il évoque l’âme slave comme personne d’autre. D’après lui, elle est très belle, très noble, et très bien comme il faut. « Il faudrait que tu vois toutes ces chaudasses qu’il y a là-bas ! » me tente-t-il souvent, tandis que j’observe, rêveur, le petit brin d’herbe aux bisons flottant dans notre bouteille de Żubrówka.
Żubrówka provient du mot russe, polonais, biélorusse et ukrainien : żubr, pour le bison, qui est un grand consommateur de Hierochloe odorata, appelée plus communément « herbe aux bisons », et dont un brin se trouve dans chaque bouteille. En Auvergne, il font la même chose avec une vipère aspic et appelle cela l’alcool de serpent. Boire cet alcool, aiderait à combattre le mal de dos, les problèmes de digestion, ou bien encore ceux de la fertilité (et même la lèpre selon certains mieux renseignés). La vodka, elle, me donne surtout mal à la tête, le lendemain matin. Mais, retenons plutôt de tout ceci que Bison se dit donc de la même façon dans ces quatre langues exotiques… ce qui pourrait (peut-être) être un avantage lors de futures négociations de paix, isnt’it… ?

37°2, le matin. Philippe Djian.

Ce jour, j’inaugure !
Voici donc une nouvelle rubrique dans mon blog : la critique littéraire.
Depuis plusieurs mois, force est de constater que quelques-uns se font des veaux bien gras (élevés chez la mère) en la matière (plus de 300 abonnés, n’est-ce pas Monsieur Jourdhu ?!), aussi, un peu jaloux de ces succès faciles (oui, j’ai quelques défauts, dont la jalousie ), je me suis dis en aparté (plaisir de la schizophrénie) : « Porc qué té vas ? » (Pourquoi pas moi ?)…
Bien entendu, et vous commencez un peu à me connaître sur les bords, je ne vais pas me contenter de faire comme tout le monde. Cela serait trop facile, et ne jamais donner dans la simplicité a toujours été un principe de base, chez bibi Salgrenn !

Explication : j’ai très peu de temps libre pour lire des tonnes de bouquins, comme (suivez mon regard vers l’ouest et le village de Petitbonhom sur mer) certains qui n’ont apparemment rien d’autre à fiche de la journée, ceux-là n’ayant ni deux stères de bois de chauffe à couper quotidiennement (à la hache), ni, ne serait-ce qu’un infime soupçon de vie mondaine, ainsi m’a-t-il fallu trouver une combine pour réaliser malgré tout cette nouvelle chronique, qui se veut sinon quotidienne, tout au moins hebdomadaire. Eh bien, ce n’est pas si compliqué que cela en réalité : je vous donnerai mon avis critique (et tout à fait éclairé) sur des livres que je n’ai pas lu ! J’y gagne en temps, mais aussi, et ce n’est pas négligeable, en pognon, n’ayant pas de boite à livres mise à ma disposition gracieusement, ici, dans ce coin perdu de la France rurale, où la moitié de la populace est analphabète (Encore bravo, l’Éducation Nationale !), et l’autre moitié, pour laquelle l’unique lecture un peu sérieuse de l’année consiste à décortiquer en ânonnant mot après mot, le mode d’emploi d’une tronçonneuse yougoslave ! Et pourtant, mes amis, malgré cela, je suis presque sûr que vous ne verrez pas trop la différence… !
Parlons donc aujourd’hui, si vous le voulez bien, de ce roman de Monsieur Philippe Djian, « 37°2, le matin ». ֤Évidemment, pour être tout à fait raccord, j’aurai pu choisir d’attendre fin juin, début juillet, pour vous en causer, époque des canicules dans notre pays. Mais, d’un autre côté, cela va réchauffer sensiblement l’atmosphère ambiante (un peu moins que si j’avais choisi « Farenheit 451 », c’est vrai, c’est une très bonne remarque, monsieur P. !) qui en a tant besoin en ce moment.

L’exemplaire à ma disposition est une édition en livre de poche, au format réduit donc, permettant de le trimballer partout où on va, au sein d’une de ces grandes poches sans fond de manteau matelassé (À noter, par expérience, que dans un jean’s slim cela ne marche pas, ou alors il faut prendre plusieurs tailles au-dessus, et du coup : on ne parle plus alors de jean’s slim mais plutôt d’un sac à patates mal taillé ! Mais, après tout, c’est vous qui voyez si cela ne vous gêne pas d’être fagoté comme un as de pic !
La couverture est assez jolie. Enfin, surtout si on aime le bleu clair. Il s’agit tout bêtement de l’affiche du film (Jean-Jacques Beineix.1986). Affiche réalisée par Christian Blondel d’après une photographie de Rémi Loca, et récompensée par un César de la meilleure affiche en 1987 (Je ne suis pas le seul, donc, à avoir du goût, cela me rassure quelque part).
Béatrice (Dalle, née Cabarrou, en 1964, à Brest même), je l’ai rencontrée, un jour. Une rencontre assez brève, au demeurant. Et, on peut d’ailleurs ici, évoquer plutôt un choc frontal, qu’une véritable rencontre ! Cela se passait en 1989, dans le hall de la gare SNCF de Bordeaux-Saint-Jean…
Elle courait… (en retard, peut-être, pour attraper son train, direction Périgueux, où avait lieu le tournage du film « Les bois noirs » de Jacques Deray ? Je ne sais…), vêtue d’une salopette bleue foncée (« Bleu » est aussi un titre de monsieur Djian, pour ceux qui n’avait pas remarqué la coïncidence). Et, j’étais sur sa trajectoire… et boum… ! ce qui devait arriver, arriva, elle me percuta de plein fouet ! Mais, pas un mot d’excuse, rien ! L’une de ses bretelles de salopette tombée, elle repartit aussi vite, et dans la même direction, une fois celle-ci replacée sur son épaule. L’image qui me reste en mémoire, aujourd’hui, après toutes ces années, est celle de son fessier rebondi s’éloignant vers une destinée cinématographique qu’on connait bien. C’est tout… et c’est vrai que c’est assez peu de chose.
Cela n’a aucun rapport avec le roman dont il est question aujourd’hui (mais, je doute que vous m’en teniez rigueur), mais il m’est arrivé quasiment la même (més- ?) aventure avec Hélène Ségara, la chanteuse à voix. De son vrai nom : Hélène Rizzo. Tôt, un matin, je me trouvais dans le hall de mon centre commercial (Carrefour) préféré et… (suspens… !) elle aussi m’a foncé dessus ! Vêtue d’un sweat à capuche noir, la dite capuche enfoncée sur la tête, madame la chanteuse avançait vite et sans vraiment apercevoir ce qui se trouvait devant elle. Ce qui, étant moi, le choc, cette fois encore, fut violent, et elle failli en laisser tomber le paquet qu’elle tenait à la main ! Nous échangeâmes alors un regard bref, mais intense. Elle a des yeux magnifiques, ceci dit en passant (même vite)…
La prochaine fois, je vous parlerai d’un bouquin de physique quantique et de comment l’ancien maire de Lyon (Michel Noir) m’a marché sur le pied, un dimanche soir, sur les quais de Saône. Bon dimanche à vous, et bonne lecture.

Tic-tac.

Pièce en 5 actes. L’ensemble de la pièce est disponible ici : https://lemondeselonernestsalgrenn.wordpress.com/2022/03/12/tic-tac/

ACTE 2

Bunker, toujours. Une paire de jambes sort de dessous la console (L’un des panneaux latéraux est soulevé). On reconnait le pantalon d’uniforme du militaire avec son galonnage doré tout le long de la couture…

— Quelle saloperie, ce machin ! Chiotte de chiotte !

Des voix se rapprochent. La petite porte sur le côté s’ouvre d’un coup et apparaissent (dans cet ordre) : la blonde, la femme de ménage, et le nabot, tous trois chargés d’un carton (sur celui de la blonde on peut y lire en grosses lettres : « CACHOU DE LUXE »).

La blonde, gouailleuse à souhait :
— Hé, ho ! Maréchal ! Nous revoilou !
Puis, déposant son carton sur une petite table pliante en formica :
— Ben, voilà, fallait pas s’en faire ! Y’a tout c’qui faut ici !
La femme de ménage :
— Moi, en tout cas, je n’ai jamais manqué de rien en dix-sept ans !
Le nabot, lâchant sans aucune précaution son carton, presque aussi grand que lui, dans un coin de la pièce :
— Alors, Spoutnik ? Vous vous en sortez, ou pas… ?
Le militaire (Maréchal Spoutnik Délitfaciev) :
— Négatif… y’a un sacré boxon là-dedans ! faut le voir pour le croire, tout ce tas de fils à la con ! j’en perds mon latin… des bleus, des rouges, des noirs, des jaunes et vert… et celui-là… rose bonbon… !

Il doit tirer dessus car la loupiote du plafond se met à monter et descendre…

La femme de ménage :
— Non ? Il s’appelle vraiment Spoutnik, cet abruti… ? Comment peut-on se décider à appeler son gosse Spoutnik ? Faut-y être crétin tout de même… Spoutnik… !
Le Spoutnik :
— Hé, ho, je vous entends, vous savez ! Et pour votre information, mon père était cosmonaute… il a tourné plus de deux cent fois autour de la terre ! Alors ? ça vous en bouche un coin, je parie ?!
La femme de ménage :
— Ouais… peut-être… mais n’empêche que… !
Le nabot, se laissant tomber sur le canapé :
— Et vous, c’est quoi votre nom ?
La femme de ménage :
— Germaine… Germaine Mirotvoretski !
La blonde :
— Ma manucure aussi s’appelle Germaine…

Elle se regarde les ongles un instant, puis commence à ouvrir son carton délicatement.

Germaine :
— Vous en avez bien de la chance de pouvoir vous payer une manucure… et puis n’importe comment, moi, je me ronge les ongles, alors ça ne servirait pas à grand-chose !
Le nabot :
— Sans compter qu’avec votre métier… les mains dans l’eau de javel toute la journée et à récurer la crasse… ce n’est pas l’idéal, non plus, n’est-ce pas ?!
Germaine :
— Ouais, mais j’ai pas vraiment le choix ! Tout le monde peut pas rester à se la couler douce du matin au soir comme une grosse feignasse, mon vieux ! Je sais pas si vous êtes au courant, mais, dans ce pays, il y en a qui ont encore besoin de bosser pour gagner leur croûte ! Faut pas croire que ça vous tombe tout cru du ciel, les pépètes, alors faut bien bosser pour faire tourner sa marmite !
Le spoutnik, toujours couché sous sa console :
— Tout cuit ! Pas tout cru… !
Germaine :
— Hein… ? Qu’est-ce qui raconte, le cosmonaute ?
La blonde, gobant une pastille à la réglisse :
— Kékun ki veut un kachou… ?
Le spoutnik, émergeant de sous sa console, en sueur :
— Oui, c’est pas de refus !

La blonde s’approche de lui (toujours assis par terre), il lui tend sa main à plat, elle rate son coup, la pastille roule au sol, elle se baisse pour la ramasser, on aperçoit le haut de ses bas de nylon, bien placé, il en profite, elle prend tout son temps, se relève enfin et lui fourre la petite réglisse directement dans la bouche…

Le nabot, qui n’a rien vu de la scène :
— Finalement, moi aussi, j’en veux bien une, ma chérie !
Germaine, qui, elle, n’a rien raté du petit manège :
— Moi aussi, mais… je me la mettrai moi même dans le bec, si vous n’y voyez pas d’inconvénient !

Une sirène d’alarme retentit, les néons se mettent à clignoter…

Le nabot, se relevant d’un coup sec :
— Qu’est-ce qui se passe, là ?
Germaine :
— Rien ! Faut pas vous affolez ! C’est mes lasagnes !
Le nabot :
— Comment ça, vos lasagnes ?!
Germaine :
— Ouais, ça c’est rien que pour prévenir que mon plat de lasagnes, que j’ai mis dans le four tout à l’heure, est tout à fait cuit ! J’ai un peu bidouillé le système d’origine pour pouvoir être avertie partout où je me trouve… vous comprenez, c’est tellement grand ici, et puis avec l’épaisseur des murs !
Le Spoutnik, qui ouvre de grands yeux :
— Attendez un peu… comment ça, vous avez BIDOUILLÉ le système ?! C’est quoi encore, cette histoire… ?

Germaine sort un gros boitier noir de sa poche ventrale de tablier, déplie une longue antenne, appuie sur un bouton, la sirène s’arrête instantanément et les néons ne clignotent plus.

Germaine :
— Voilà… c’est fini !

Le Spoutnik se relève, enlève sa veste, la jette sur la console à côté de sa casquette, se retrousse les manches de chemise (en prenant tout son temps), et s’approche ensuite de Germaine d’un pas décidé.

— Montrez-moi ça ! C’est quoi, cette télécommande ? Ce n’est certainement pas du matériel réglementaire… d’où vous sortez, ça ?
Elle se recule, et le menace en pointant l’antenne vers lui.
— Approchez pas… ou je vous troue le bide !
Le Spoutnik :
— Donnez-moi ça, je vous dis !
Germaine :
— Non ! C’est à moi !
Le nabot, qui se rassoit sur le canapé :
— Bon… ça suffit maintenant tous les deux ! Vous êtes pénibles à la fin… Madame Mirotvorestki… allons, soyez raisonnable… passez-lui cette télécommande, qu’il voit ce machin de près, et puis qu’on en finisse !
Germaine :
— Non ! Et non, c’est non ! Il n’en est pas question !
La blonde, qui se rapproche un peu, et d’une voix qui se veut apaisante :
— Germaine… écoutez-moi, ma petite Germaine… Vous savez qui sont ces deux-là, hein ? Vous n’ignorez pas tout de même que vous êtes en présence du Président de la république, LE PRÉSIDENT, Germaine, NOTRE PRÉSIDENT à tous… et du Maréchal Délitfaciev, son chef d’état-major, c’est à dire le plus haut gradé de toute notre grande armée populaire… ce n’est pas rien tout de même… !
Germaine :
— Rien à fiche ! Ici, c’est chez moi, alors je fais un peu ce que je veux ! Et puis d’abord, ça pourrait être dangereux de lui passer cet appareil… faut surtout pas appuyer sur les boutons n’importe comment : il pourrait y avoir de graves conséquences ! parce que faut savoir que je peux tout commander avec ce truc… même votre satané machin-chose, là… (elle montre, avec l’antenne, le gros bouton rouge)
Le Spoutnik :
— Oh… nom d’une pipe ! Je le crois pas… !
Germaine :
— Ben, si ! Voulez que j’vous montre… ?!

Sans attendre de réponse, elle appuie sur l’un des boutons de sa télécommande, tout en tirant la langue… Le nabot, saisi de frayeur, replie ses jambes sous lui et s’enfouit la tête dedans, le Spoutnik se colle les mains sur les oreilles, et la blonde, tétanisée sur place, ne fait rien…

Germaine :
— Mais, regardez-moi donc un peu, cette bande de trouillards !

Une petite musique douce (Mozart) se fait entendre progressivement. Dans le même temps, l’intensité des néons s’atténue, tandis que des posters (de chats) se déroulent sur les murs, puis, une porte coulisse, et apparait une grande table (sur roulettes), qui vient se positionner en plein milieu de la pièce !

— Alors ? C’est drôlement chouette, non ?!

Rideau.

NDLA : La suite dans quelques jours !

Une semaine bien ordinaire.

Ce matin, un chasseur a tué un lapin blanc sorti d’un chapeau de roue. Cela s’est passé pas très loin de chez moi, sur l’autoroute A7, au kilomètre 126, dans le sens Marseille-Paris. La chasse, faisant* partie de ces hobbies (dur de ne pas faire la liaison, mais abstenez-vous toutefois, conseil d’ami…) qui vous permettent de vous dégoter un bon nombre d’amis à vie, n’est plus du tout ce jeu de massacre auquel on pouvait assister tristement par le passé. En effet, depuis que la pratique est interdite en campagne et autorisée seulement sur nos autoroutes, les choses ont beaucoup évolué. Les tableaux de chasse sont, depuis, très nettement en baisse. Ceux des tirailleurs sur tout ce qui bouge en tout cas. Un peu moins ceux des chauffeurs lituaniens de trente-huit tonnes…
Avant-hier soir, juste avant la tombée de la nuit, une éolienne de cent mètres de haut s’est emballée, comme ça, sans prévenir. Puis, une autre. Et encore une autre ! Et pour finir la totalité du parc qui se trouve à côté de chez moi. Les pales géantes ont fini par se détacher dans un fracas épouvantable, propulsées pour certaines à plusieurs kilomètres, dont une qui s’est figée, toute droite, verge monstrueuse de résine-carbone, dans mon jardin, au beau milieu de mes plants de salades frisées (que je venais de repiquer, c’est vraiment pas de bol !) ! La douzaine d’experts, accourus sur place dans la matinée, reste dubitative. Que s’est-il donc passé ? On peut se poser la question. Ils se la posent. Et je me la pose aussi.
La semaine dernière, mon charcutier-traiteur, Biloute Van la Meesch, a réalisé sa première appendicectomie. Avec succès. Devant la disparition de nos médecins de campagnes, « le Désert médical, ça fait mal ! », il faut bien qu’on s’organise. Son épouse, Germaine, s’occupe de l’anesthésie. Elle a appris grâce à des tutos sur le Net. Ses andouillettes, à Biloute, sont une vraie tuerie. Les gens viennent de très loin rien que pour ces andouillettes-là. Et des célébrités, et pas des moindres : Michel Drucker en personne vient se servir chez lui, profitant à chaque fois de l’occasion pour réaliser un check-up complet (Ou, comment joindre l’utile à l’agréable !). Son paté de ragondin à l’Armagnac n’est pas mal non plus.
Demain, je fais ramoner. C’est obligatoire pour les assurances. C’est écrit en tout petit sur mon contrat, mais c’est écrit. Je dois faire contrôler ma fosse septique aussi. Et mes deux bagnoles. Il y en a qui disent que c’est du racket organisé. Moi, je dis que non ! La sécurité n’a pas de prix. Pas de prix. Et une fosse septique qui ne fonctionne pas au poil, cela peut être tellement dangereux… des chiottes bouchés sur un bateau, c’est la mutinerie assurée !
Ce soir, il y a une chouette émission à la téloche : « La France a un incroyable talent ». J’aime bien. On y voit des choses assez surprenantes qu’on ne voit pas ailleurs. À moins d’être un directeur de cirque, bien entendu (ou infirmier en psychiatrie éventuellement). À ce propos, il parait que les cirques ne pourront plus présenter d’animaux sauvages. Bientôt, qu’ils ont dit. Je trouve que ce n’est pas plus mal (Eh oui, parfois, je n’ai pas peur de prendre un peu position !). La mesure devrait également s’appliquer à ces chasseurs (encore eux !) qui attachent leurs pauvres chiens durant neuf mois de l’année au bout d’une chaine d’un mètre cinquante. On aurait peut-être même dû commencer par ça. No ?
Bon, je dois vous laisser, j’ai rendez-vous chez mon nouveau proctologue. J’en profiterai pour lui acheter des clopes. J’en ai pu !

  • faisant, faisan : petit clin d’œil cynégétique !

Texte et photographie Ernest Salgrenn. Mars 2022. Tous droits réservés.

Yop la boum !

« En cas d’explosion nucléaire, s’éloigner des fenêtres« . Lol… !
Je referme ce bouquin reçu hier matin par la poste, « La guerre nucléaire pour les nuls« , m’enfile un cachet d’iodure de potassium avec un verre d’eau chlorée (en préventif), une vieille paire de pompes, et sors dans le jardin. Il fait beau. Juste une petite brise venu de l’est. Du nord-est plus précisément.
Depuis quelques temps, mon jardin ressemble à un cimetière. Tout ça à cause de l’O.L.D, la fameuse directive préfectorale sur le débroussaillement obligatoire en prévention des feux de forêt. Ce n’est pas génial génial, comme idée, d’abattre des arbres sains avant qu’ils ne brûlent (re-lol !), mais je n’avais pas le choix, vous savez bien ce que c’est : mise en demeure, amendes, tribunal correctionnel, casier judiciaire, opprobe générale… alors ma résistance a capitulé rapidement. Béée… ! fait le mouton. Amen… ! le contribuable…
J’ai choisi de ne pas tronçonner mes arbres à ras, j’ai coupé à environ un mètre du sol. Reste donc une partie du tronc. L’idée m’est venu en me souvenant d’un paysage observé, il y a quelques années de cela, en Alaska. Sur des dizaines de kilomètres carrés, le souffle de l’explosion d’un volcan avait provoqué un cataclysme effroyable. Tous les arbres étaient coupés en deux. La partie supérieure emportée par une coulée de boue, restaient seuls les troncs plantés lugubrement dans les cailloux basaltiques. Peut-on exiger des gens instruits d’être également doué d’un minimum de bon sens ? Je n’ai pas l’impression que cela soit à l’ordre du jour chez nous…
Je sais qu’il y a des amateurs de cimetières. Certains passent une grande partie de leur temps libre à les visiter. Cela porte même un nom : la taphophilie. De taphos, tombe, et philie, amour. C’est reposant, un cimetière. D’ailleurs, c’est un peu l’objectif au départ : y trouver le repos éternel ! Peut-être aurais-je, moi aussi, des visites de passionnés d’ici peu ? À suivre…
Tout à l’heure, j’ai entendu aux infos de la radio, que monsieur Poutine avait mis toute sa famille en sécurité en Suisse. D’une, je ne savais pas que ce type avait une famille (Mais, après tout, même les monstres ont droit au bonheur !), et de deux, pourquoi donc la Suisse ? Parce qu’ils possèdent les meilleurs abris anti-atomiques du monde ? Parce que l’or en barres arrête les radiations ? Parce que c’est très chouette comme pays pour mourir dans d’atroces souffrances (il parait qu’on vomit beaucoup de sang avant de clamser pour de bon) ? Où tout simplement parce que tout son pognon volé est planqué là-bas, bien au chaud ? Mais, je me pose peut-être trop de questions, non ? Je ramasse une pigne de pin. C’est beau, une pigne de pin. Et drôlement bien foutu si on l’observe d’un peu plus prés. Les petites graines (pignons) sont très bien cachées dans les alvéoles protectrices. Je crois qu’il est nécessaire de toujours prendre le temps d’observer les choses de plus près lorsqu’on peut le faire. Et, j’ai un peu de temps, ce matin. Un oiseau me survole en rase-mottes. Bientôt, le printemps, alors peut-être cherche-t-il un coin tranquille pour y faire son nid ? N’a pas encore réalisé, ce con, que les choses ont bien changé ici depuis l’année dernière ? C’est assez bête, finalement, un oiseau, vous ne trouvez pas… ?

Texte et photographie Ernest Salgrenn. Mars 2022. Tous droits réservés.

Jamais plus ne dors.

Et vient le temps des croisées d’ogives
Nu-clé-aires…
D’un rempart si précaire
Contre cette abominable guerre…
D’une machine implacable qui s’emballe
S’emballe…
La vision de toutes ces pierres tombales.
Possible conflit Mondial
Brassées de Fusées
Trans-con-ti-nen-tales.
Tout s’emballe,
Tout s’emballe…
Toujours le bien luttant contre le mal
Le bien contre le mal…
Toujours ce même combat…
Mais le cœur des hommes qui bat
à cent, à plus de mille à l’heure…
Devant l’imminence d’un malheur
Les larmes de ces pauvres gosses…
Pleurs, cris, de vilaines bosses…
Méchante fée carabosse
Avec ton accent russe
On dirait que ça t’amuse ?
Et tout s’emballe, tout s’emballe…
Tout s’emballe, tout s’emballe…
Perdu la tête, j’ai perdu le nord
Perdu le nord
Alors, alors, alors,
Jamais plus ne dors
Jamais plus ne dors
Jamais plus ne dors…

Texte et photographie Ernest Salgrenn. Mars 2022. Tous droits réservés.

PAGE 385.

« Tiens… c’est de la daube ! »
Je me retourne et le regarde jeter sans aucun ménagement un pavé de 500 pages sur mon comptoir déjà fort encombré.
— Quoi… qu’est-ce donc ?!
— Ce bouquin, que tu m’as vendu il y a quinze jours… ben, je l’ai lu ! Et c’est une grosse daube ! Style, trame, psychologie des personnages : Le néant complet ! Même l’illustration de la première de couve est flippante de médiocrité ! Un gamin de cinq ans dyslexique aurait pu écrire ça ! Et pour en rajouter une louche : il y a une faute d’orthographe page 385…
— …page 385… ?
— Oui, parfaitement… à nénufar ! Nénufar écrit avec « ph »… !
— Mais… Ernest… tu sais bien… la grande réforme de l’orthographe menée par l’Académie Française ? Ils ont décidé de changer… initialement écrit avec « ph » et maintenant avec un « f » !
— Ah ouais ?! Sauf qu’à la base, mon pote, c’était déjà écrit avec un « f » !
— Oui… c’est pour cela que les deux orthographes sont désormais acceptées !
— Enfin bref, c’est le bordel, quoi !
Il est chiant, des fois, un chipoteur de première. Non… un vrai casse-couilles !
— Qu’est-ce que tu fiches là ? C’est quoi tous ces cartons ? Voilà que tu te décides enfin à faire du rangement dans cette boutique ? Pas trop tôt !
— Tu ne regardes donc pas la télé ?
— Non ! Pour quoi faire ? Pour m’abrutir comme tous ces cons ?!
— Et la radio… tu n’allumes pas ta radio de temps en temps ? France culture… ?!
— Des cons aussi ! Un ramassis de bobos gauchistes ! D’ailleurs, je n’ai plus de piles à foutre dedans… !
— Et Internet… ? Facebook ?
— Qui… ?
Je n’en reviens pas. Il ne sait rien, cet idiot. Pas l’once d’une inquiétude dans ses yeux…
— Ernest…
— Oui… ? Quoi… ?
— Ils sont à nos portes…
— Oh, merde… ! T’as le fisc au cul ?! Ah, les enfoirés ! Te faire ça, à toi… ils ne vont pas t’obliger à fermer tout de même ? Bon… combien tu leur dois ? J’peux t’aider, tu sais… j’ai du pognon… et je ne sais pas vraiment quoi en faire de tout ce fric ! Oui, alors, combien il te faut ? Combien… ?
Il est comme ça, Ernest. Un brave type.
— Je te remercie, mais non, il ne s’agit pas de ça… c’est bien plus grave…
— Plus grave que le fisc ? Ta femme te quitte ? Ah, la salope, tiens ! Je m’en doutais… !
— Mais comment ça, tu t’en doutais ? Monique n’a pas du tout l’intention de me quitter ! Nous sommes très bien ensemble… !
— Que tu crois… ! Regarde la mienne… elle s’est barrée comme ça, sans prévenir, du jour au lendemain !
— Mais, tu la trompais, Ernest… ! Tu sautais tout ce qui bouge ! Tu as même essayer de te taper ma Monique ! Elle me l’a dit… tu lui faisais du rentre-dedans à chaque fois que tu venais ici lorsqu’elle était seule dans la boutique !
Il ouvre de grands yeux, et fait semblant de ne pas comprendre.
— Ouais, bon… n’empêche que… ! Ce sont toutes des salopes, tu peux me croire là-dessus !
— Les Russes… Ernest… les Russes… !
— Magnifiques ! Pouchkine, Dostoïevski, Tourgueniev, Nabokov, Boulgakov… et puis Gogol, bien sûr… ah, et voilà que j’allais oublier Tolstoï ! Comment peut-on oublier Tolstoï… ?! « La beauté ne fait pas l’amour, c’est l’amour qui fait la beauté… » ! Magnifique, non ?
— Oui… tu as raison, mais, cette fois, il s’agit plutôt de… Poutine ! Wladimir Poutine…
— Connais pas ! Qu’est-ce qu’il a écrit, celui-là ?
— Une jolie déclaration de guerre…
— Ah… ? Original, mais tu sais bien que les romans historiques ne m’intéressent pas ! Tu n’as pas autre chose à me proposer ? Un Bukowski ? Oui, tu n’aurais pas par hasard une vieille édition de « The days run away like wild horses over the hills » ? Quatre-vingt dix poèmes… des petits bonbons fourrés au fiel !
— Si… là, regarde sur ta droite, troisième étagère… tu as de la chance, je n’ai pas encore emballé ce rayon… et je t’en fais cadeau…
— Super ! T’es vraiment un ami !
Il trouve le recueil rapidement, le feuillette, et puis sort de la boutique tout en récitant à haute voix quelques vers de Charles. Il m’a déjà oublié. Car il est comme ça, Ernest…
Ne reste que ce livre, déposé sur le comptoir tout à l’heure, et dont je ne peux détourner maintenant mon regard… « Malevil » de Robert Merle… si tu avais su, Ernest…

Bruits de bottes au pas cadencé
Des larmes et du sang
Que pourrait-il rester de la vie, si ce n’est l’amour ?
Entends le canon qui gronde, ma blonde…
Pourtant, elle est si douce la langue russe !

Texte et photographie Ernest Salgrenn. Mars 2022. Tous droits réservés (même en Russie !).

Ya tebia lyublyu* !

 » Mais, qu’est-ce tu fous là ? Je te cherche partout… !
— … Rien… je rangeais un peu…
— Tu ranges ?!
— Oui, parfaitement, je range ! Notre cave est un véritable bordel… comment peut-on vivre avec une cave aussi mal rangée… ?!
Elle me regarde du haut des escaliers. Une toile d’araignée pend juste au dessus de sa tête. La loupiote du plafonnier se met à grésiller. Elle est belle, ma femme, en robe de chambre.
— Pendant que tu y es, tu devrais peut-être aussi jeter un coup d’œil à l’électricité… ! Et puis, tiens… on vient d’apporter ça, pour toi…
Elle me tend un petit paquet. Je remonte les quelques marches qui nous séparent.
— C’est quoi, ce truc ?! De l’iodure de… de…
— de potassium !
— Oui, c’est ça ! De potassium… ! Mais que comptes-tu donc faire avec tous ces comprimés ?
— … C’est pour nos bonzaïs… ! Ça devrait leur filer un coup de fouet ! Je l’ai lu dans le télé Z de la semaine dernière… tu sais, à la fin, dans la rubrique « Jardinage »… !
Je lui prends délicatement le paquet des mains. Tout à coup, la porte derrière elle claque, sûrement à cause du courant d’air. Et puis, la lumière s’éteint. Dans l’obscurité, je remonte encore d’une marche et passe un bras autour de sa taille.
— Je t’aime, tu sais…
— Oui, je sais… moi aussi, mon chéri…
Le sol, alors, sous nous, vibre…

  • Ya tebya lyublyu : Je t’aime (russe).

Texte et photographie Ernest Salgrenn. Février 2022. Tous droits réservés.

Coup de pouce.

Souvenez-vous… il y a quelques mois de cela, je vous invitais à découvrir le blog d’un jeune et talentueux auteur : un certain Monsieur Jourd’humeur. Depuis, il a fait son petit bonhomme de chemin sur la voie du succès et de la reconnaissance numérique. Et j’en suis fort aise pour lui.

Aujourd’hui, je désirerai vous faire part d’une autre jolie découverte, due au hasard de mes clics désordonnés sur la toile. L’auteur de ce blog se qualifie lui-même de « Vieux singe ». S’il est vrai que l’on n’apprend pas aux vieux singes à faire des grimaces, cet auteur (car je considère qu’il est un auteur à part entière) nous expose (enfin, m’expose, plutôt, car je suis pour le moment son seul et unique abonné !) sa vision de l’actualité au jour le jour. Et, bon sang, comme c’est bien vu… ! Ses analyses sont toujours très pertinentes. Si sa prose sans fioritures (comme l’habillage de son blog !) peut surprendre au début, monologue un peu triste, désabusement notoire, je lui trouve après plusieurs lectures un charme évident et de belles qualités. Mais, saurez-vous être aussi réceptifs que je le fus, je ne sais pas !

L’animal (vieux singe) ne recherche pas la notoriété. Il semblerait même la fuir (paradoxe du blogueur ?). Toutefois, je vous donne le lien :

Le vieux singe qui solliloque (du soliloque au multiloque sans se déloquer).

LE VIEUX SINGE QUI SOLILOQUE

Merci, mes ami(e)s virtuel(le)s.

PS : La photographie (Ernest Salgrenn. Tous droits réservés) est un petit clin d’œil à Mr. Akimismo…

À la Saint-Glinglin.

Hasard de notre calendrier romain, demain, c’est la veille de la saint-Glinglin ! Et comme le dit « sifortapropo » le dicton populaire : « À la saint-Glinglin, n’espère rien, tu l’auras » ! Et cela tombe assez bien car personnellement je n’espère plus rien ! De qui que ce soit d’ailleurs, et surtout pas de cette bande de minables crapoteux, tous ces hommes (et ces quelques femmes) politiques, campagne présidentielle française en cours oblige, ceux-là même qui nous gonflent le mou à longueur de journée et depuis des semaines maintenant, monopolisant sans vergogne et tambours battants, nos ondes radiophoniques et télévisuelles. Mais arrêtez donc de me prendre pour un con ! Arrêtez, je vous en supplie ! Arrêtez ! Je n’en peux plus… !
J’en ai plein le dos (et je reste poli !) de vos sempiternelles promesses à deux balles, de vos surenchères toutes plus alléchantes les unes que les autres, de vos petites gueules de premiers(res) de la classe qui me font vomir, de vos magouilles merdouilleuses qui vous rapportent toujours un peu plus gros, de vos airs prétentieux lorsque vous nous déclarez, la main sur le cœur, savoir tout sur tout, et tentez, dans la foulée, de nous persuader que vous êtes les seuls(es) à pouvoir faire quelque chose pour sauver de la catastrophe notre cher (!) pays, alors que vous vous en tapez comme de votre première affiche électorale, de votre suffisance d’élite grassement payée, de votre méchanceté, plus ou moins déguisée, parfois, et de votre bêtise souvent, car oui, on peut très bien être complètement idiot et avoir fait de grandes études ! Et pour finir, je le sais aujourd’hui, de tout ce que vous pouvez représentez de plus vil et de plus bas dans l’espèce humaine…
Bande de nazes, que vous êtes ! Pensez-vous donc que je sois encore dupe ? Non, certainement pas ! Et cela fait, de plus, belle lurette que j’ai bien compris toutes vos manigances. Oh, oui, bien longtemps ! Alors, voilà, c’est terminé : je ne tomberai plus jamais dans votre panneau ! Basta, les faux-culs de la politique !
L’essence à deux euros et des poussières ? Oui, c’est cher, madame ! Oui, ça fait mal au porte-feuille ! Mais, c’est à cause des taxes ! Et du prix du baril de pétrole qui augmente ! Et de la reprise de l’économie mondiale qui augmente du coup (comme c’est balot, non ?!) la demande en pétrole ! Le cercle vicieux par excellence, finalement ! Alors, comment s’en sortir de tout cela ? Les Spécialistes (Et, mon Dieu, comme je les adore, eux aussi !) vous diront qu’il n’y a pas vraiment de solution (Et c’est un peu pour ça, que je les adore !) ! Sinon à baisser les taxes, la TVA, et tout le saint-frusquin, qui, lui, n’est pas dans le calendrier ! Ou alors le prix du baril… ? Ou bien que l’économie mondiale se stabilise un peu (en attendant une reprise plus franche et puis qu’ensuite… rebelote !)… ?
Alors, on nous file des bons d’essence de cent euros, par-ci, par là…
Nous faire l’aumône, voilà donc l’ultime solution trouvée par nos grosses têtes au pouvoir… ! De vulgaires bons à cent balles que tout le monde (le contribuable) paiera finalement au bout du compte d’une façon ou d’une autre ! Cool ! Ouais, trop cool, l’arnaque ! Ernest, lui, il appelle ça : la temporisation pré-électorale (ou bien encore : le vaselinage des urnes ! C’est selon son humeur fluctuante)… ! D’autres, des poètes (mais il en faut, aussi), diront peut-être plus joliment : « Ou comment mettre un emplâtre sur une jambe de bois » ! Et si ça, messieurs, dames, ce n’est pas se foutre ouvertement de la gueule des braves gens… c’est que je ne m’y connais plus, moi, le grand spécialiste (!) de ce genre d’exercice !
Et pourtant. Et pourtant, bien entendu, qu’il existe des solutions. Des solutions simples et efficaces. Oui, mais voilà, ces solutions simples et efficaces ne plairont pas à tout le monde. Et surtout pas à ceux qui s’en foutent plein les poches (ou plein les paradis fiscaux) depuis des décennies, profitant de notre crédulité, de notre apathie de moutons, qu’on manipulent et qu’on tond encore plus tous les jours, et puis aussi de notre ignorance du système, un peu quand même, il faut bien l’avouer !
Parfois, (pour reprendre l’expression d’un ami blogueur du Finistère Nord, région qui n’a pas l’attrait merveilleux, à mes yeux, du Finistère Sud) je me demande… oui, je me demande si cela a vraiment un sens de se poser toutes ces questions… à mon âge, de surcroît… ?! Qu’est-ce que j’en ai à fiche, en fin de compte ?! Je ne vais pas tarder à crever, allez, il me reste quoi… ? Dix, quinze, vingt ans peut-être au grand maximum… ? Est-ce bien réellement la peine d’enquiquiner ce si peu d’existence, toute larvée d’angoisse mortifère crescendo, qu’il me reste à vivre, en me prenant ainsi la tête avec toutes ces conneries ?! L’essence qui augmente ? Mais merde, finalement, j’en ai rien à battre, si je réfléchis un peu ! Ce n’est pas mon problème, car les meilleures années, celles où je dois traverser la France pour me rendre à un enterrement (ou disons, peut-être deux), je ne fais même pas cinq mille bornes ! Et encore… je suis certain que je pourrais en faire beaucoup moins s’il le fallait vraiment. En commençant déjà par zapper les enterrements, tiens ! J’enverrai juste une carte avec mes condoléances sincères, affranchie avec un simple timbre éco, il n’y a jamais d’urgence pour des condoléances, surtout que cela ne sert à rien en définitif, les condoléances… Les gens restent toujours dans leur malheur, quoi qu’on dise, quoi qu’on fasse… et je resterai chez moi… Après tout, ne suis-je pas bien à la maison, dans mon canap’, devant ma télé ?! Du moment qu’il y a du foot de temps en temps, et puis des bières fraîches dans le frigo, je ne demande pas plus, en vérité. Non, pas plus…

Texte et photographie Ernest Salgrenn. Février 2022. Tous droits réservés.

Fuiiit… Fuiiit !

« Allo… ?
C’est Richard. Le Richard de la direction éditoriale. Ce type du troisième étage qui fait la pluie et le beau temps chez Albin Michel.
— Richard… ?
Je regarde l’heure au plafond (affichage lumineux). Trois heures seize…
— Putain, Richard, est-ce que tu sais l’heure qu’il est ?!
Il répond que oui, mais qu’il s’en fout pas mal de l’heure. J’ai l’impression qu’il chiale, ce con.
— Tu pleures… qu’est-ce qui se passe… c’est grave, Richard… ?
J’imagine le pire. Pour lui, en tout cas. Un accident de bagnole sur le périph, une envie de suicide en pleine nuit, un bad trip… ? Ce type se drogue, j’en suis persuadé… je crois que je l’ai toujours su… ce branquignole de Richard est un junk… il s’en fout plein les narines comme tous les autres… ça me dégoute, tiens… le voilà qui rit aux éclats maintenant…
— De joie… ? Comment ça, tu pleures de joie… ?!
Comme un coup de fouet sur le cul rebondi d’une vieille mulâtre soumise… comme un vide effrayant qui aspirerait tous mes neurones un à un… comme une chute sans fin dans un étrange néant sidéral… j’étouffe… j’attrape ma Ventoline sur la table de nuit… Fuiiit… Fuiiit !
— Le Nobel ? Quoi ?! Comment ça, le Nobel ? Tu crois peut-être que ça me fait rire, du con ?! Il est trois heures passées et je… je t’emmerde ! Je t’emmerde, t’entends ?!
Un smoking. Il te faut un smoking, qu’il dit. Et que je passe chez le coiffeur aussi, c’est important. Fuiiit… Fuiiit… !
— Oui… je prépare un discours… bien sûr, tu as raison, Richard… un beau discours… comme celui de Le Clézio… mais bien sûr, que je vais m’appliquer… oui, mais bien évidemment que cela me fait plaisir… non, je ne m’y attendais pas, pas une seconde, tu penses bien… le Nobel… oui, c’est énorme… énorme… tu es content pour moi ? Oui, moi aussi ! Oui, c’est ça, à demain, Richard… je passe vous voir… oui, c’est sympa, une petite fête, et tout le monde sera là… c’est gentil à vous… !
— Mais… qu’est-ce que tu fous… ? T’as vu l’heure ?!
— Rien… rien du tout ! Il n’y a rien… rendors-toi, chérie… !
Fuiiit… fuiiit…

Texte et photographie Ernest Salgrenn. Janvier 2022. Tous droits réservés.

CLONERIE.

On sonne. J’ouvre. Mince alors… c’est moi !
Lui :
« Coucou ! Me voilou… !
Je n’imaginais pas qu’on me le livrerait aussi vite et je suis un peu pris au dépourvu…
Moi :
— Entrez, mais entrez donc, je vous en prie…
— Ah… on se tutoie pas, alors ?
— Hein… ? Mais si, si, bien sûr, vous avez raison… tutoyons-nous !
À première vue, il semble assez réussi. Enfin, je veux dire ressemblant.
— Wouaah… ! C’est drôlement grand chez toi !
— Oui, mais, chez moi… c’est un peu aussi chez toi maintenant, non ?!
— C’est vrai… toi, moi, moi, toi, c’est comme qui dirait du pareil au même !
Mon téléphone sonne dans ma poche intérieur de veston. Je réponds. C’est l’Entreprise…
Eux :
— Monsieur Salgrenn ? Bonjour ! Alors ? Vous êtes satisfait ?
Moi :
— Hé bien, je ne sais pas trop encore, il arrive à peine ! Une petite seconde s’il-vous-plaît… dis, toi, tu pourrais tout de même t’essuyer les pieds… ça ne se voit peut-être pas mais j’ai fait le ménage à fond ce matin !
— Bon, ne vous inquiétez pas… vous aurez certainement quelques petits réglages à faire, mais ensuite, vous verrez… il sera parfait… tout comme vous !
— Comme moi ?
— Oui ! Tout pareil !
— Juste une chose, si je peux me permettre, je trouve qu’il a un peu une tête… comment vous dire… oui, voilà… un peu une tête à claques, quand même, non ?! N’auriez-vous pas, par hasard, un peu trop forcé le trait ?!
— Nous avons pris les mesures exactes ! Aussi tout est parfaitement à l’identique, je vous assure… mais, ne vous en faites pas, monsieur Salgrenn, cela est tout à fait normal : au début, cela fait souvent ça !
— Très bien… si vous le dites ! Espérons que je m’habitue, à la longue…
— Bien, je vous laisse, mais surtout n’hésitez pas à nous joindre si vous avez le moindre souci avec notre… « Vous » ! L’assistance en ligne se fera un grand plaisir de vous aider, et n’oubliez pas non plus que la garantie sur ce produit court sur trente ans à compter d’aujourd’hui…
Pendant ce temps, Moi s’est assis sur le canapé et détaille avec acuité tout ce qui l’entoure.
Lui :
— Félicitations ! Tu as du goût pour la déco ! J’aime bien ! Oui, vraiment, j’aime bien !
— Tant mieux ! Toutefois l’inverse m’aurait surpris… Vous, enfin… tu, tu bois quelque chose ?
— Oui, la même chose que toi !
— Un Porto Tawny, alors ?
— Tu n’as pas plutôt du whisky ? Le Porto, c’est un truc de gonzesse, non ?!
Du whisky ? Comme cela est curieux, je n’aime pas le whisky ! Je ne bois jamais de whisky ! Le whisky, je considère même qu’il n’y a rien de plus dégueulasse au monde ! J’attrape la bouteille de Porto.
— J’en ai plus !
— Faudra en acheter…
Cinq minutes à peine qu’il est arrivé et j’ai déjà envie de me le faire…
Lui :
— Alors, comme ça… on écrit ?!…
— On… ? Comment ça : on… ?!
— Oui, toi, toi et moi, on écrit des bouquins, non ? Enfin, c’est ce que j’ai cru comprendre… ?
— Oui, c’est exact, j’écris des romans… et avec un certain succès d’ailleurs…
— Cool ! Ouais, trop cool ! J’aurais pu tomber plus mal ! Mais écrivain, c’est très bien comme boulot ! Nickel !
— Un glaçon ?
— Non, surtout pas !
— Hé bien, moi, j’en mets toujours deux…
— C’est une photo de ta femme, là, dans le cadre ?
— Oui… c’est elle…
— Ben, mon salaud ! Plutôt gironde, la rouquine ! Et c’est peu de t’dire comme je kiffe les rousses ! T’inquiète, les blondes et les brunes aussi, y a pas de problème !
— Me voilà rassurer… peut-être ont-ils bien fait leur travail finalement…
— Et elle n’est pas là, aujourd’hui, ta meuf ?
— Non… elle n’est pas là, aujourd’hui…
— Dommage ! Oui, c’est bien dommage ! Nous aurions pu faire connaissance !
— Je crois qu’il est souhaitable d’attendre un petit peu pour ça… Elle n’est pas encore au courant pour… toi… c’est une surprise que je veux lui faire…
Je lui jette, sans précaution, deux glaçons dans son verre. Juste pour observer sa réaction. Mais, il ne bronche pas d’un poil…
Moi :
— Et tu as fait des études ?
— Bien sûr ! Quelle question idiote ! Forcément les mêmes que toi, mon pote !
— Mon pote ? Non, désolé, mais je ne pense pas que je sois ton pote, mon vieux ! Je suis moi, et toi, tu es moi… ! Mais, en aucune façon je ne pourrais devenir un jour, ton pote !
— Et moi, je ne suis pas ton vieux, non plus ! Je te rappelle que nous avons le même âge tous les deux ! Très exactement le même âge…
Je remarque quelques rides sur son front que je ne me connaissais pas. Et il me semblait avoir tout de même un peu plus de cheveux sur le caillou. Il saisi son verre de Porto. Sa main tremble un peu…
Lui :
— Alors, c’est quoi le programme de la soirée ?
— Le programme ? Mais, quel programme ?
— Ben, le programme des réjouissances, quoi ! On va tout de même pas rester là, tous les deux comme deux pauvres schnoques, à se regarder dans le blanc des yeux pendant toute la soirée ! Non, ça, c’est sûr : faut à tout prix qu’on bouge d’ici, mec !
— Qu’on bouge ? Mec… ? Mais, je suis très bien chez moi ! Il n’est pas question une seule minute de sortir où que ce soit, ce soir ! D’ailleurs, je suis éreinté, alors je compte bien me coucher tôt !
— Ho la, ça promet, tiens… !
Me le voilà qui boude maintenant, l’imbécile. Incroyable ! Il est incroyable ! D’agacement, il fait tinter bruyamment ses glaçons dans son verre, le regard perdu dans le vague. Je me lève pour mettre un CD dans la chaîne hifi. Du Mozart, tiens. On va voir s’il aime Mozart, ce crétin. Mais, qui n’aime pas Mozart ?! Mozart, allons, voyons, tout le monde aime Mozart…
Moi :
— Je suppose que tu apprécies, comme moi, la grande musique classique… Mozart par exemple… tu adores Mozart, n’est-ce pas ?
— Qui ça donc ?
— Moz… mais… et Bach ?!
— Hein… ?
— Et Chopin… ? Chopin et sa sonate pour piano numéro 2… ? Et puis Bramhs… ?
— Connais pas ces gars-là ! Moi, c’est plutôt le rap, mon deal ! Lacrim, Mister You, Kaaris, Rim’K, Black M , Booba, la Fouine…
— … La Fouine… ?!
— Ouais, la Fouine ! Ça, c’est de la zique qui déménage ! Et avec du texte qui veut dire quelque chose au moins… Il se met à éructer en tambourinant comme un sauvage sur ma table basse… T’as fait quoi pour nos gueules ? On a grandi tout seul, allez, nique ta mère ! Tu vas nous mettre à l’amende quand tu vas nous revoir, allez, nique ta mère ! On génère des millions, on est durs et mignons, allez, nique ta mère ! Allez, nique ta mère, gros… !*
— Nique ta mère, gros… ?!
— Ouais… parfaitement… Nique ta mère, gros !
Je me ressers un porto. Ras le bord. Je commence sérieusement à me poser des questions… c’est quoi, ce boxon, avec ce… Moi ?!
Lui :
— Des chips ? T’as pas des chips ?
— Non !
— Et des cacahuètes ? T’as pas des cacahuètes ?
—… Non… pas de cacahuètes, non plus… toutes ces cochonneries font grossir !
— Mais… frère… on n’est pas gros !
— C’est vrai… mais je préfère tout de même ne pas prendre de risques !
— Et tu fais du sport ? Tu soulèves de la fonte ? Des squats sautés ? Je parie que tu boxes aussi ?
— Non… rien de tout ça… désolé !
— Va falloir s’y mettre…
Il chope un magazine dans la pile posée sur la table.
Lui :
— Merde ! Mais… c’est nous, là, en couverture ! Ernest Salgrenn… L’auteur de l’année… ? Deux millions d’exemplaires vendus ? Ouaah… on doit se faire un paquet de tunes, alors ?!
— Tu ne portes pas de lunettes pour lire ?
— Des lunettes ? Non… pourquoi faire ?!
— Parce que je suis presbyte…
— Z’ont du m’arranger ça à l’usine !
— Oui… sûrement… ça doit être ça…
— On est blindés, alors ?
— On n’est pas à plaindre…
— On roule en Porsche Cayenne ? Go fast ?!
— Non, une Smart, pour la ville…
Il éclate de rire.
— Une Smart ? Arrête tes conneries ! C’est une caisse de ped’zouille, ça !
— C’est surtout ma femme qui s’en sert… moi, j’ai une DB6 cabrio pour le week-end !
— Une Aston ?! P*, une Aston ! Mais, c’est le kif grave, man ! On pourra faire un tour demain ? Tu me laisseras conduire, dis ? Tu me laisseras conduire, hein ?!
— On verra…
Il aime les belles voitures, c’est déjà ça. Faut peut-être lui laisser une chance pour Mozart. Il retrousse ses manches…
Moi :
— Mais… c’est quoi, ça… ?
— Quoi donc ?
— Tu as des tatouages plein les bras ?
— Ben, ouais ! Ça te plaît ?
— C’est à dire que moi : je n’ai aucun de ces tatouages, ni sur les bras, ni ailleurs sur le corps…
— C’est peut-être un bonus ! Va savoir ?
— Un bonus ? Comment ça, un bonus ?! Je n’ai jamais demandé de bonus ! Et puis c’est très moche, ces tatouages ! Oui, très moche… je n’aime pas du tout… je trouve ça vulgaire pour tout te dire ! Extrêmement vulgaire !
— Je pourrai peut-être les faire enlever, si ça te gêne ?
— Oui… enfin, on verra aussi pour ça…
— Et t’as un gun, ici ?
— Comment ça, un gun… ?
— Ouais, un soufflant, un colt, un pétard ! De quoi faire face au cas où on nous chercherait des noises… !
— Jusqu’à présent, je n’ai jamais eu à faire face… on me cherche rarement des noises à vrai dire, et puis je pense que c’est plutôt le travail de la police de protéger les honnêtes gens…
— La police ? Tu te fous de ma gueule, là ?
— Non…
— Bon… et on mange quoi, ce soir ?!
— Tu as déjà faim ?
— Oui ! Grave la dalle ! Si tu veux, je pourrais nous faire des pâtes ? Un gratin de pâtes au gruyère ! Des pâtes, du beurre, du gruyère… tu as du gruyère rapé, frèrot ?
— Certainement, oui, je pense que je dois avoir ça…
— Alors… elle est où, notre cuisine ?
— Par là… tout au bout du couloir…
Un gratin de pâtes… ? Pourquoi pas… cela fait une éternité… et pourtant, j’adorais tellement ça, avant… je me souviens très bien… c’est maman qui nous faisait souvent de bons gratins de pâtes… oui, maman… ma petite maman chérie… Voilà mon téléphone qui sonne à nouveau dans ma poche…
— Monsieur Salgrenn ? C’est encore nous… l’Entreprise…
— Oui… quoi ?
— Je vous rappelle car… enfin, cela n’arrive jamais, je vous l’assure, oh, oui, croyez bien que c’est la première fois que cela nous arrive…
— Quoi ?
— Il y a eu une erreur… une petite erreur dans la programmation…
— Comment ça, une erreur ? Une erreur à quel niveau ?
— Votre « Vous »…
— Oui, hé bien, quoi, mon « Vous »… ?
— Ce n’est pas le vôtre… !
— Pardon ?
— C’est celui de quelqu’un d’autre… ! Une personne vraiment peu recommandable d’ailleurs… une regrettable erreur… nous sommes vraiment navrés… tellement navrés…
— Et… ?
— On va vous le reprendre, bien entendu… on va vous le remplacer dès demain matin… sa production est déjà lancée, et cette fois : il n’y aura pas de problème, je vous le garantis !
— Non… !
— Comment ça, non ?
— Je le garde !
— Vous le gardez ? Mais comment ça, vous le gardez ?
— Oui, c’est ça, laissez tomber, je le garde ! Finalement, il me convient parfaitement, celui-là ! Et puis, tiens… Nique ta mère, gros !

Texte et photographie Ernest Salgrenn. Janvier 2022. Tous droits réservés.

  • Lacrim. Paroles : Karim Zenoud / Sofienne Manessour
    Allez nique ta mère © Sony/ATV Music Publishing LLC

Coussin péteur.

Cette nuit, vers trois-quatre heures, j’ai inventé le moteur à air comprimé.

Oui, cela m’arrive souvent d’inventer des choses comme ça, la nuit pendant mon sommeil. Et, non, je n’ai encore rien fait breveter !

Pour le moteur à air comprimé, j’ai vérifié tout de suite, dès ce matin, sur Wikipédia. Pour voir. Et j’ai appris que cela a déjà été inventé par quelqu’un d’autre, un certain Guy Nègre qui vivrait au Luxembourg ! Un peu déçu donc d’avoir été devancé, une fois de plus, sur ce projet écologique, mais tout de même rassuré sur ma capacité à imaginer des trucs sympathiques (Je n’invente que des trucs fun, c’est un choix personnel que j’assume totalement !).
Rappelez-vous (pour ceux qui me suivent depuis le début) mon idée de transformer à moindre frais de simples aspirateurs domestiques en respirateurs médicaux lorsque nous étions en pénurie, idée reprise, là aussi, seulement quelques semaines plus tard par d’autres petits futés.
Ce n’est donc pas la première fois que je me fais doubler ainsi. Tenez, avant cela, c’était sur un projet de véhicule amphibie pour observer le fond des mers. J’ai découvert, avec un peu d’amertume, lors d’un reportage à la télévision, qu’un type (dont j’ai oublié le nom, pardon pour lui) avait inventé quasi le même véhicule (l’important étant surtout le système « ingénieux » de ballasts permettant d’observer en toute sécurité les petits poissons). Ma femme a éclaté de rire en voyant ma tête devant la télé. Elle a l’habitude maintenant. Cela se termine le plus souvent comme ça. Mais, elle a raison : il vaut mieux en rire qu’en pleurer. N’importe comment, je n’ai pas le sens des affaires. Et puis pas mal de flemme aussi, je l’avoue. J’invente à tout va, certes, mais passe très vite à autre chose.
Pour en terminer, ma plus belle invention, à mon avis, reste peut-être celle d’un système de production d’énergie par coussin péteur (c’est moi qui l’appelle comme ça, pour rigoler !). C’est finalement assez simple comme système, et cela devrait fonctionner aux petits oignons, mais, curieusement (j’ai vérifié !) personne n’a encore eu cette idée géniale. Alors, j’attends. J’attends d’en entendre parler à la téloche…

Photographie et texte Ernest Salgrenn. Janvier 2022. Tous droits réservés.

EMPLOI*.

De mes amis, la cohorte
Parfois m’insupporte,
Souvent m’insupporte…

Ernest Salgrenn.

Emploi.

Je découvris l’ordonnance numéro : 5374/SO/22, un vendredi matin. Il y a de cela trois semaines maintenant. Par la connivence de quatre punaises, d’une typographie sans faille aux lettrines latines et bordures d’acanthes, le tout en format A3, elle affichait aux regards de tous, son arrogance administrative sur le mur jauni du hall d’entrée, à proximité de nos boites aux lettres.
« Avis aux locataires de l’immeuble, sis au 27, rue Destouches.
Dorénavant, et impérativement à compter du 1er du mois prochain, devront être remplacées toutes les portes palières par de simples rideaux de velours rouge.
Les travaux se feront bien entendu aux seuls frais de la copropriété.
Signé : Le Grand Fifrelin Général, Auguste Lapoignedefer. « 

La nouvelle se répandit dans l’immeuble telle l’une de ces fulgurantes épidémies de choléra, qui flambent souvent les mois de décembre -soit en pleine saison des pluies- au sein d’une favela sud-américaine. Je compris tout de suite que j’avais mon rôle à jouer. Celui qui me sied (et m’amuse !) le plus en société : « Empêcheur de tourner en rond qui retombe toujours sur ses pattes » !
Dupont-Dupont, le con du second (étage), se mit immédiatement en tête d’organiser et de diriger la résistance face à cette nouvelle attaque, de ce qu’il nommait en grimaçant : la « B.C.O », pour Barbarie Communautaire Orchestrée ! Et c’est ainsi, sous cette impulsion très naïve et bien illusoire à vrai dire, que nous nous réunîmes dès le lendemain, un peu à l’étroit dans la loge de madame Fougne, la concierge.
« On va pas se laisser faire tout de même ! Des rideaux de velours rouge ? Et pourquoi pas nous demander d’installer des portes vitrées aussi, pendant qu’on y est ?!
— Vous avez parfaitement raison, Dupont, on ne va pas se laisser faire ! » d’une voix presque unanime…
Madame Fougne avait préparé des macarons aux épinards, qui allaient très bien avec le Saint-Amour apporté par monsieur Verschuren (du 5ème gauche). Verschuren est alcoolique. Certains affirment qu’il se drogue aussi, mais cela reste à vérifier.
« Et si on débutait une grêve de la faim ? »
Jacqueline Pignon est anorexique. Et daltonienne. Certains affirment qu’elle se drogue aussi, mais cela reste à vérifier.
Cette idée fût immédiatement rejetée. Trente voix contre vingt-neuf.
C’est à ce moment précis des débats que j’intervîns pour la première fois…
« Allons… ne nous affolons donc pas comme ça ! Calme gardons ! Après tout, n’est-ce pas charmant au final que cette idée de jolis rideaux en velours rouge ? Voyez, l’été par exemple : l’air passera beaucoup mieux !
— Ainsi que les bruits et les odeurs ! Réplique aussi sec Dupont-Dupont, remonté comme un coucou suisse expulsé manu militari de son squat. Certains affirment que ce Dupont-Dupont est un gros con, et cela se vérifiait tous les jours.
— Je crois que vous exagérez un peu, Dupont… attachons-nous plutôt à regarder le côté extrêmement convivial de la chose… !
— Moi, ce qui me gêne le plus : c’est quand même la couleur ! Madame Guignolette (la vieille lesbienne du dernier étage). Madame Guignolette vit seule avec son chien. Certains affirment qu’il est empaillé, mais cela reste à vérifier.
— Vous avez raison : il est certain que vert aurait été plus convenable… le vert est bien plus discret…
— Et le vert… c’est aussi la couleur de l’espoir, non ? Georges Dupinsec (le retraité de la SNCF du 5ème droite, l’appartement en face de celui de Verschuren, donc). Certains affirment que Dupinsec est un vieux psychopathe triste et pédophile, mais tout ceci reste à vérifier.
— Vous reprendrez bien des macarons ? Reste déjà plus de pinard ? Z’avez appris pour la fille de madame Hachille ? Elle se serait fait refaire le pif… elle est méconnaissable maintenant ! J’peux me servir de vos toilettes, madame Fougne (Jacqueline Pignon)… ?!
Et à vau-l’eau…
Le contrôleur fifrelinesque débarqua à l’improviste, un samedi. En grande tenue d’apparat, les médailles apparentes, et pile trois semaines après l’affichage dans notre hall de cette fameuse ordonnance numéro : 5374/SO/22. C’était hier matin. Hasard, ce fût aussi le jour que je choisis pour commencer à faire semblant de démonter ma porte d’entrée…
Bien sûr, Dupont (Verified con) le reçut comme un chien dans un jeu de quille en bois tourné des Vosges.
« Wouaf, wouaf ! Commencez à nous faire chier maintenant avec vos ordonnances ! Z’en n’avez pas marre d’enquiquiner le monde comme ça ?! Grrrr… ! »
— C’est pas moi, cela vient de plus haut ! J’applique seulement… J’applique…
— Ah ! Il est beau, tiens, vot’ métier ! Et quand je pense que c’est nous qu’on vous paye avec nos impôts !
— Attention… ! Un seul mot de plus, et je vous fais interner dans la foulée… z’avez envie de passer Noël au cachot ?!
Certains affirment (et Dupont, en premier) que les contrôleurs fifrelinesques sont tous des homosexuels refoulés, mais cela reste encore à vérifier.
— Dernier délai demain quinze heures… ensuite… on défonce !
— Fait chier, tiens…
— What ?
— Non, rien…
Plus haut.
« Mais… ce n’est pas rouge, ça, dites donc ?! Notre tapette en service commandé.
— Ah, bon ? Pas rouge ?! lui répond du tac-au- tac Jacqueline Pignon, sac d’os dyschromatopsique avéré (donc).
— Non, pas vraiment, ça tire plutôt sur le violet ! Bon, cela pourra passer pour cette fois-ci… mais faudra voir tout de même à me changer ça dès que possible ! Rouge, c’est rouge !
Après s’être tapé (la tapette à casquette) les sept premiers étages par l’escalier –notre ascenseur Westinghouse ne fonctionnant plus depuis belle lurette (c’est à dire, à la louche, une bonne petite quinzaine d’années), les services techniques compétents n’ayant pas reçu, à l’époque, d’ordres assez clairs du bailleur pour venir le réparer– le voilà maintenant qui débarque sur mon palier.
Lui (en sueur) :
« Bonjour monsieur, contrôle inopiné, mais… mais je vois que vous commencez à peine les travaux ?
Moi (innocent aux mains pleines) :
— Oui, j’ai mon beau-frère, qui bosse au Ministère des Bonnes Pratiques et Maniéres, et qui m’a assuré que…
Lui (s’épongeant le front bas) :
— Ah… comme ça, vous avez un beau-frère qui travaille dans un ministère… ?
Moi (sourire en coin) :
— Oui, pourquoi… ?
Lui (regard en coin) :
— Bon… le rideau, vous l’avez ?
Moi (Roi de la combine) :
— Oui…
Lui (Queen of the stairs) :
— Et la tringle ? La tringle, vous l’avez aussi… ?
Moi (Fier comme un militaire…)
— Oui, bien entendu ! Voyez… elle est là…
Lui (Zieutant la tringle chromée) :
— Alors, installez simplement votre rideau devant votre porte mais sans la démonter, et le tour sera joué ! Ni vu, ni connu, cela restera évidemment entre-nous… !
Moi :
— Évidemment… !

  • Emploi : Théatre : Un emploi au théâtre est « l’ensemble des rôles d’une même catégorie requérant, du point de vue de l’apparence physique, de la voix, du tempérament, de la sensibilité, des caractéristiques analogues et donc susceptibles d’être joués par un même acteur (selon Wikipédia).
  • Exemple : Troisième rôle (les troisièmes rôles forment un emploi masculin difficile, qui réclame beaucoup d’habileté de la part du comédien, qui doit sauver le côté odieux du personnage).

Texte et photographie Ernest Salgrenn. Janvier 2022. Tous droits réservés.

C’est Quant ?

Peu de temps pour répondre à ce défi. J’ai fait ce que j’ai pu, l’important était surtout de participer ! Joyeux Noël à toutes et tous !

Veille de Noël. La scène se passe en banlieue dans un immeuble de la cité de l’Espoir, et la neige tombe dru, bien sûr.

 » Coucou! C’est moi, chéri ! Ta p’tite femme qui rentre des courses ! Et j’t’ai rapporté des oranges, mon Tintin ! Ça t’fait plaisir au moins ?!
— Aurais préféré une boite de caviar… !
— Alors, et toi ? k’est-ce t’as foutu pendant tout c’temps ?
— Que dalle ! Tintin’a bullé !
— Feignasse !
— Toi même !
— OK, on se calme, un partout, la balle au centre ! Et la bûche ? T’as pensé à la bûbûche ?
— Mince, non ! J’savais bien qu’j’oubliais quelque chose… !
— Et les baguettes magiques qu’on allume et qui font des étincelles ?
— Oui, ça j’ai pas oublié ! Et puis j’ai pris introït aussi…
— Une tro-ite ?
— Oui, de la tro-ite… fumée !
Ma Jeannine, elle a une paire de seins à damner un saint, mais à côté de ça c’est sûr qu’elle n’a pas inventé le fil à couper le foie gras : entre elle et Einstein, y a un écart qui est incommensurable…
— Tiens, j’te le donne en mille qui que j’ai croisé au rayon des surgelés ?!
— J’sais pas, et j’m’en fous un peu…
— Ben, j’vais te le dire quand même ! J’suis tombé sur le fils ainé des Meune, ceux du cinquième !
— Ah, bon… il est sorti de zonzon ?
— Ouais, y l’on laissé sortir pour Noël ! J’te dis pas comme il est jeûne le Moyeu !
— Tu voulais plutôt dire joyeux le Meune, non ?!
— U…iiii !
Des fois, même moi qui ai l’habitude, j’ai du mal à la suivre, ma Jeannine… Heureusement : elle a d’autres qualités…
— Dis, mon sucre d’orge, t’enfilerais pas une minijupe maintenant, rien que pour me faire plaisir, et puis qu’ensuite tu monterais sur le tabouret pour nous installer l’étoile tout en haut de not’ conifére… ?

Ndla : Jeannine est le nouveau nom du premier renne du père Noël après son aïdoïopoïèse (pas facile à placer celui-là non plus !)

Décembre 2021. Ernest Salgrenn.

Uppercut.


La chanteuse populaire, ce soir
Éteint ses lumières, et blottie dans le noir
Implorant le silence autour d’elle, une dernière fois
S’en remet à sa foi
Croire, espérer, espérer encore
Croire, espérer, espérer encore
Rode ainsi la mort dans l’azur des Açores,
Rode ainsi la mort dans l’azur des Açores
Amour, amore
Dans la constellation des Milords
Voir son étoile filante qui chute
En hélice, en volute
Une chanteuse populaire, ce soir
Petit bout de femme
Par sa fenêtre, jettera tout l’or
Amour, amore
De son cœur, de son âme
Le voile noir, la descente en flamme
De son cœur, de son âme
Mais voilà, la messe est dite… la messe est dite, Edith…

Voir son étoile filante qui chute
Uppercut, uppercut, uppercut…
Voir une étoile filante qui chute
Uppercut, uppercut, uppercut…

La chanteuse populaire, ce soir
En pleine lumière, jette son désespoir
Centre de la scène, au monde entier sa douleur
Ses tonnes de malheur
Prier, aimer, aimer encore,
Comme un corps à corps sur un dernier accord
Comme un corps à corps sur un dernier accord
Amour, amore
Tombe le décor au théatre Mogador
Voir cette comète dorée qui s’éteint
Ennivrée sans fin
La chanteuse populaire, ce soir
Petit bout de Panam
Derrière le lourd rideau, rêvera encore
Amour, amore
De son bonheur, de son homme
Descente aux enfers, cure de Valium
De son bonheur, de son homme
Mais, voilà, la messe est dite… la messe est dite, Edith…

Voir son étoile filante qui chute
Uppercut, uppercut, uppercut…
Voir une étoile filante qui chute
Uppercut, uppercut, uppercut…

La chanteuse populaire, ce soir
Survolera cette mer, geste bien illusoire
d’un bleu d’Atlantique en brumes scélérates
mais d’un vol de frégates
espérer, croire, croire toujours…
Que les amants maudits se retrouvent aussi un jour
Que les amants maudits se retrouvent aussi un jour
Amore, amour
De ce soleil qui la brûlait, le retour
Voir son astre l’éclairer à nouveau
à travers ce hublot
La chanteuse populaire, un soir
Petit bout d’âme
Derrière ses yeux clos, rêvera encore
Amour, amore,
Rêvera encore… rêvera encore…
Amour, amore,
Rêvera encore… rêvera encore…

Tous droits réservés. Ernest Salgrenn. Novembre 2021.

Photographie, « Griffes », illustrant ce texte de l’auteur.





Prête-moi ta plume.

La porte automatique du garage se referme doucement. Six heures à peine. Matin frisquet et brumeux d’une fin d’octobre. L’Aston ronronne, lente montée en température de ses dix litres d’huile. Mais, qu’est-ce que je fous là ?! Je me le demande…
Je tapote de l’index l’adresse de destination dans le GPS : « Impasse de la plage, numéro neuf »… tiens… il en existerait donc autant en France des impasses de la plage ? Il est vrai que cela parait tout à fait logique et cohérent comme nom de rue en bord de mer (ou seulement la première chose qui vous vient à l’esprit lorsqu’on en manque ?!). St Jean-de-Luz ? Port-Leucate ? Non, moi, c’est là que je désire me rendre, au fin fond de la Bretagne… chez les bouzeux, à plus de mille bornes d’ici !
J’embraye. Et voilà, c’est parti !
J’adore cette bagnole. D’ailleurs, j’ai adoré toutes mes bagnoles. Pourtant, celle-ci, on pourra dire que je l’aurai particulièrement aimée. Et puis il y a de très fortes chances aussi pour que ce soit ma dernière. Et finir sa vie avec une Aston-Martin, ça a tout de même de la gueule, non ?!
Au début, c’est que de l’autoroute. Direction Aix-en-Provence, puis je rejoindrai l’autoroute du Soleil et remonterai jusqu’à Chalon-sur-Saone. Ensuite, plein ouest, et la galère commencera…
En vérité, je sais assez peu de chose de lui. Une seule évidence toutefois : son immense talent, et cela m’a suffit pour prendre cette décision un peu folle : le rencontrer, chez lui, enfin, chez sa mère, lui parler, ou plutôt le faire parler, et bien l’observer, sous toutes ses coutures, et comprendre peut-être alors, je dis bien peut-être, d’où lui vient une telle facilité, une telle aisance, et surtout pourquoi lui… pourquoi lui et pas moi !
En ces temps de pandémie, voilà que je m’interroge naïvement… le talent serait-il lui aussi contagieux ?! Ce serait alors ma chance, moi qui n’ai rien écrit d’intéressant depuis si longtemps…
Aire de Portes-les Valence. Arrêt pipi, et le plein du bolide, s’iou-plaît ! P…. ! Deux zéro cinq le litre de super ! Avec mes deux réservoirs de quatre-vingt litres, cela fait tout de même mal au cul ! American Express (Platinium) en deux fois : ces abrutis ayant fixé un seuil de paiement à cent cinquante balles ! J’achète du nougat en barres aussi. Mes dernières dents d’origine apprécieront le geste à sa valeur.
J’avoue que j’ai farfouillé un peu sur le net, histoire d’en savoir plus sur mon bonhomme, et le moins qu’on puisse dire ; c’est qu’il est plutôt discret ! Contrairement à moi qui m’affiche partout… La faute à mon attachée de presse, cette petite conne, qui ne pense qu’à buzzer tout azimut pour me faire mousser. Cet été, on m’a même vu en couverture de « Voilà » en slip de bain moulant sur une plage du Lavandou, une mannequin russe, épaisse comme un chichi, et louée pour l’occasion, m’enduisant le dos de crème solaire en souriant d’extase. Lamentable. Je suis lamentable.
Lyon, ancienne capitale des Gaules. Tunnel de Fourvière. Et ça coince comme d’habitude ! J’ai habité trois ans ici. Dans les vieux quartiers, au bord de la Saône. Je passais tout mon temps libre chez les bouquinistes de la rue Saint Jean. Sont tous devenus des potes à force… Et puis j’allais courir à la Tête d’or aussi. Oui, je courais à l’époque. Et j’ai même fait de la compète, si vous voulez tout savoir, madame !
RCEA. Ah, nous y voici… ! La route la plus dangereuse de l’hexagone. Enfin là, on se traîne à soixante-dix depuis une bonne demi-heure sur une portion encore en travaux. Je suis en seconde, à quatre mille tours… si ce n’est pas malheureux, ça ! Las, je double un (pauvre) con en Dacia Sandero. Flash… ! M’en fous pas mal, j’ai une plaque monégasque et la voiture ne m’appartient pas. Enfin si, mais c’est plus compliqué que ça sur le papier car elle appartient officiellement à une société (bidon) d’import-export de cochonneries chinoises dont le centre social est à Limassol (Chypre). Quand on a du pognon, il y a toujours moyen de s’en sortir beaucoup mieux que les autres, pas vrai ?
Lui, il pointe à pôle emploi, mon drôle. Par choix personnel, affirme-t-il. C’est bien. Enfin, non. Non, ce n’est pas bien de ne pas trouver de job, ce n’est pas du tout ce que je voulais dire, ce que je voulais dire : c’est que cela est remarquable de pouvoir faire ainsi de tels choix personnels dans sa vie… et surtout cela lui laisse du temps pour écrire… beaucoup de temps…
Midi vingt et une. L’auberge des trois canards boiteux. Un relais pour routiers. Je me gare en épi sur le terre-plein empoussiéré entre deux trente six tonnes lituaniens. Il y a beaucoup d’Espinguoins aussi. Et des Polaks. Menu du jour pour seulement quinze euros cinquante, pichet de rouge compris. Je vais faire des économies pour une fois. La patronne, que tout le monde appelle ici par son petit nom, Yvette, me place en bout d’une table de dix. Des malabars tatoués qui se serrent les coudes sur une toile cirée à gros tournesols. Moi aussi, j’ai un tatouage. Si, sur l’omoplate gauche. Une panthère noire…
Deux heures plus tard, je connais toutes les combines pour trafiquer avec un trombone n’importe quel chronotachygraphe d’un bahut ! Je sors l’AMEX et règle l’addition pour toute ma tablée des Dieux du Bitûme. « Da, da fstrétchi, les gars ! ». Ouais, ouais, c’est ça, à la prochaine… !
Le rouge du pays m’a troué grave le duodénum, mais je repars de plus belle. Il reste encore pas mal d’asphalte à se coltiner avant d’apercevoir la mer d’Iroise et ses golfes clairs. J’ai découvert qu’il y avait un casino, là-bas. Mais non, que vous êtes bêtes, pas une épicerie, un casino, un vrai, un Partouche, où on peut jouer à la roulette et au black-jack ! Finalement, ce bled ne doit pas être si paumé que ça…
Nevers. J’en ai plein les bottes et le cuir Conolly du siège me colle aux fesses. Mon Dieu… ! Comme le ciel est bas ici ! Même le vert anglais, si discret pourtant, de ma caisse dénote dans la grisaille ambiante. Comme une burne, je m’engage très imprudemment dans les petites rues du centre ancien… je tourne en rond au beau milieu des ruines et des échafaudages branlants et les autochtones me roulent les « r » : « Quoi ? Un hôtel ? Ah, oui, peut-être… attendez donc que je réfléchisse cinq minutes… essayez voir la première à droite, avec un peu de chance celui-là doit être encore ouvert en cette saison ! »
Coup de bol : c’est ouvert…
« Attention ! C’est cinq euros de plus pour le parking dans le garage ou sinon, c’est dehors dans la rue ! ». Mais, cette grosse dame (effet loupe du plexiglass anti-covid ?) à la réception, un lévrier sur les genoux, me le déconseille vivement. Elle me raconte en caressant de façon assez équivoque la queue redressée en fouet de son whippet tout maigrichon, qu’un pauvre type s’est fait égorger à deux cent mètres d’ici et pas plus tard qu’il y a quinze jours ! Et puis on crève souvent les pneus aussi (peut-être les mêmes d’ailleurs, et avec les mêmes coutelas… ?!). J’imagine sans peine mais avec grand effroi ce que ces ignobles sauvages dégénérés seraient capables de faire subir à une caisse de luxe comme la mienne. Salopards !
Lendemain matin. Qui déchante. Je n’ai pas fermé l’oeil. Enfin, presque pas. Le chauffage ne marchait pas et je me suis gelé toute la nuit, et, cerise sur le gâteau, en sortant du lit (beaucoup trop mou) j’ai foutu les deux pieds dans une flaque d’eau glacée sorti tout droit du mini-bar pendant la nuit. Heureusement, je ne me suis pas électrocuté. Les croissants sont rassis, le jus d’orange pique un peu, et la triple menton au clébard cachectique sur les genoux tousse gras derrière son masque trop étroit. Trois ? Trois étoiles… ? Hein ?! Qui donc, dans ce maudit pays, accorde ainsi, trois étoiles à un hôtel aussi minable ? Oui, qui ? Pour le moment je ne le sais pas, mais je me promets de le retrouver et de lui faire passer un sale quart d’heure dès que j’en aurai terminé avec ce qui m’occupe bien plus en ce moment. Promis, foi d’Ernest.
Avant de quitter cette bourgade en pleine décrépitude, rue Nationale j’achète une boite de « Négus ». Une spécialité de caramels enrobés de chocolat qui vous collent bien aux dents du fond (mais, la boite en métal repoussé est plutôt jolie). Juste histoire de ne pas arriver les mains vides…
Tours. Je passe vite ; voulant être là-bas avant la nuit. À midi, mange sur le pouce un de ces sandwichs triangulaires au thon albacore acheté vite fait dans un Carrefour-Market. Parait qu’il ne faut plus consommer de thon parce la pêche aux filets dérivants ne fait pas le tri et décime les populations de dauphins communs. Font chier, tiens ! Si on les écoutait : on ne pourrait plus rien bouffer du tout !
Seize heures. Landivisiau (très moche aussi). Capitale du chou-fleur. Ou de la carotte ? Enfin, peu importe : en purée, mis à part la couleur, c’est kif-kif ! Je touche presque au but, me reste plus qu’une petite vingtaine de bornes à faire. Cette fois, je commence vraiment à baliser sévère… surtout que je viens de me souvenir que mon idole souffre de diabète (type deux dans le code de l’O.M.S)… Quel con ! Vais pas avoir l’air fin sur le pas de sa porte avec ma boite de caramels mous…
Le goudron s’arrête d’un coup. Quelques mètres plus loin, une esplanade en terre invite au demi-tour. Il serait encore temps peut-être… mais, finalement, je stoppe ma machine. La mer est bien là. Timide, elle se retire en dansant juste derrière les dunes. Dans le ciel, des mouettes l’imitent. En tournant la tête, j’aperçois les arbres fruitiers dans son jardin. Ses arbres dont il nous parle si souvent et qu’il chérit tant. Et puis, la vieille Picasso bleue de sa mère (Sa « Génitrice »…) aussi. Tout est comme il le raconte. Si bien… On cogne à ma vitre… merde… ! C’est lui ! Lunettes rondes, veste en laine moutarde, foulard plissé de soie noire autour du cou… élégance du détail…
« Faut pas rester là, monsieur ! Ça gêne… comprenez… si jamais je dois sortir en urgence ! »
J’ai joué toute la nuit au casino, gagé ma montre en or rose Patek Philipp, et y ai perdu de quoi nourrir deux mille familles Sahéliennes durant plus d’une décennie. Et puis, sur le long chemin du retour, j’ai sucé tous les caramels.
Je crois qu’il n’a pas eu le temps d’apercevoir son bouquin posé sur le siège passager… heureusement…

Braves gens.

Il était une fois. Une fois de trop.
Ta jupe relevée, collant lacéré, les voisins, depuis le palier, matent sur tes cuisses, la jolie collection d’ecchymoses.
La Police alertée, sirènes, flashs de lumière bleutée, agitation bien illusoire et terriblement obscène dans cette nuit sourde, constate les dégâts en bons professionnels avertis. On enveloppe, on tire les rideaux, on note en silence tous ces détails qui ont une importance capitale, et on conclut au différend conjugal. Banale, si banale, cette histoire…
Petite princesse du faubourg, te voilà donc encore toute cabossée, esquintée, amochée, tuméfiée. Toute déchirée. En morceaux. Déjà séché, ton sang colle à tes boucles, et le Rimmel, en rivière éperdue de larmes noires, s’étale, bien gras, sur tes joues, sur tes lèvres fendues. Mâchoire brisée, la grimace est de si mauvais goût. Vache de triste, mon bijou. Vache de triste…
Mais, je vais te débarbouiller, ma Cendrillon, c’est promis, fini le conte de fée truqué, fini l’amour qui tue, fini les « Mais, tu sais bien que je t’aime pourtant, Bébé ! », fini tous ces coups qui blessent, ces humiliations, ces cris, ces pleurs, cette peine, cette vie toujours à demi étouffée…
Oh, comme on s’en veut maintenant. Braves gens. Ah, si seulement on avait su… si seulement on avait vu ce qui se passait… ah, si seulement… ! Mais, il est trop tard, bande de cons, bande de pauvres lâches, bande d’ignobles complices anonymes. Alors, oubliez tout cela, et retournez bien vite dormir, l’esprit tranquille. Oui, car cette fois, c’est terminé. Bien terminé. Cette fois de trop…
Gisèle, mon enfant, ma petite, dans cette mare de sang, n’avait pas encore trente ans.

Rose des sables (5).

— Vous reprendrez bien encore un peu de câpres en gelée, mon colonel… ?
— Non, merci, madame Georgino, cela serait vraiment abuser… !
— Du fromage… y resterait pas un peu de from’gi ? Tonton Monique, boulim’ mic-mac…
Je ne vous ai pas encore parlé de Simone, je crois. Simone, c’est notre chèvre. Et c’est une belle histoire, notre petite Simone…
Le père Jojo a débarqué un jour avec, au bout d’une corde en polyester tressé. Nous n’avons jamais trop su pourquoi, mais il désirait absolument se débarrasser de cet animal (Capra aegagrus hircus). Papa-Nazillon, sautant à pieds joints sur l’occasion (Pour mémoire, le père Jojo, lui, c’est sur une mine anti-personnel et en Afghanistan) a proposé de faire un troc avec sa collection inestimable de prépuces d’hommes célèbres, bien conservée dans de jolis petits bocaux en verre dépoli remplis de formaldéhyde aqueux.
— Celui-là, tu vois, mon Jojo, c’est Albert Einstein…
— Ouah… ! Une jolie pièce !
— Ouais… Et tiens, mate donc un peu çui-ci, c’est Amanda Lear… impressionnant, non ?!
Et c’est comme ça que notre père Jojo est reparti chez lui, clopin-clopant, une brouette rempli ras la gueule de petits morceaux de peau tout ratatinés. Simone, elle donne presque deux litres de lait par jour, et c’est grâce à ce lait plein de vitamines (A, B1, B2, B3, B5, B8, B9, B12, etc…) que maman nous fait de bons fromages. Simone, elle est toute blanche, des oreilles à la queue. Comme un berger suisse.
— Alors… Colonel… beurk… ! si vous nous causiez un peu maintenant de cette guerre… ? Papa-Nazillon, éructant aussi discrètement que possible.
— Escalade des provocations… ultimatum… le douze à minuit… et puis… bam, quoi… début des hostilités, mon vieux… !
— Hum… je vois… je vois… mais… c’est tout de même étrange… ils n’en ont pas du tout parlé aux informations… ?
— Quoi donc… ?
— La population… n’ont pas averti, la population…
— La population… ?
Le colonel jette un regard circulaire autour de lui, s’attarde sur Tonton Monique, la bouche pleine de crottin frais, observe ensuite attentivement Maman, Spontex-woumane (Rocher de Sisyphe, le ménage est un éternel recommencement…), me fixe quelques secondes, pour terminer par Bruno, qui lui tend timidement un crayon de couleur ainsi qu’une feuille froissée de papier A4…
— Dis… tu me dessines un avion… ?
La grande prière du début d’après-midi fut écourtée. Papa-Nazillon, un peu remué par tout ça, n’avait pas le cœur à l’homélie. Alors, pour compenser, on a joué aux dominos. Le Colonel, Papa, Tonton Monique, Bruno et moi, tandis que Maman, de son côté, dépeçait l’antilope dans la cuisine. C’est le Colonel van Dyck qui a gagné presque toutes les parties. En trichant. Je l’ai vu faire, ce salaud…
C’est pas beau de tricher. Non, ce n’est pas beau. Pas beau du tout. Surtout pour un officier d’active.
— Pourrais-tu pas me tailler de jolis escarpins dans la peau de cette bête, mon Nazillon… ?
— Quoi… qu’est-ce… ?
— Des escarpins en antilope… comme dans ce vieux film avec Bourvil…
— Bourvil… ?
— Bah… maintenant elle va marcher beaucoup moins bien… ! Tonton Monique, imitant (très mal) le célèbre acteur normand.
— Tiens, justement, c’est pas dans ce vieux nanard qu’une famille de pauvres ploucs recueille et sauve un parachutiste anglais… ?! Entre parenthèses, une sacrément belle ordure, celui-là… ! Moi, l’œil sombre et bien décidé à faire passer un message, au péril de ma vie, s’il le faut…

Croire.

Une vie a passé…

Loin, si loin aujourd’hui, nos amours adolescentes, nos belles aventures sans lendemain, nos étreintes maladroites sur un lit de fougères, et puis nos peines aussi, étouffées mais jamais vraiment oubliées. Loin, si loin encore, nos projets fous, nos châteaux en Espagne, nos parties de poker menteur sur avenir radieux, des as plein les manches, destins de rois ou bien de valets au cœur transi imaginant alors que le ciel serait éternellement bleu aux amoureux comme nous. Et surtout, qu’un timide « je t’aime, mon amour » durera toute une vie…

Naïf, j’étais. Si naïfs, nous étions…

Aux déceptions amères, traversées du désert, coups profonds qui blessent, tristes retours de noces, faire face et être si forts qu’à la fin se relever toujours.

Oui, croire, obstinés et courageux que nous sommes, qu’à la toute fin une dernière fois encore, on se relèvera…

Ernest Salgrenn. Mai 2021. Tous droits réservés ®.

Rose des sables (4).

— Côme ? Côme comme Côme, la ville d’Italie ? Papa-nazillon, se versant un grand verre de vinaigre tiède.
— Oui, c’est ça, mais sans l’accent… Le parachutiste, s’époussetant énergiquement le sable collé à sa tenue camouflage.
— Italien ? Papa-nazillon, buvant d’un trait son breuvage amère (grimace).
— Non, sur le « o »… ! Le parachutiste, s’épongeant le front humide d’un revers de manche galonnée.
— Dites voir un peu, le troufion, ça ne vous ennuierait pas d’aller plutôt vous secouer les miches dehors… ?! Ça ne se voit peut-être pas, mais je viens de me taper trois heures de ménage, moi ! Maman Georgino, une balayette, main droite, une pelle, main gauche.
Il a une sacrément drôle d’allure, ce para Come, que Papa-Nazillon nous a ramené à la maison tout à l’heure (avec une gazelle à goitre (Gazella subgutturosa) prise dans la nuit à l’un des nombreux pièges à mâchoires qu’il a disséminé un peu partout dans les dunes dans un rayon de trois kilomètres autour de chez nous). Cinq barrettes dorées sur le poitrail. «Ben, mon colon ! C’est un colonel !» s’est exclamé Bruno, si tôt qu’elle l’a aperçu. Et depuis, elle lui tourne autour telle une vilaine mouche bleue (calliphora vomitoria) au-dessus d’un estron encore frais.
— Et votre nom ? C’est quoi donc vot’nom ?! Papa-Nazillon, accompagnant le visiteur tombé du ciel (virgule) à l’extérieur.
— Par hasard ! Come… par hasard ! Tonton Monique, hilare et remontant ses bas de laine bien remplis.
— Doux Bézu ! Mais quelle est conne, celle-là ! Maman Georgino, pliée en deux (dans le sens de la hauteur).
Et on s’installe tous dehors, sur la terrasse surchauffée à cette heure zénithale. La gazelle, pendue au mur de chaux par les pattes arrières, nous fixant d’un œil flasque remplis de mouches domestiques (musca domestica). Comme dans une nature morte de…
— Van dyck… c’est van Dyck, mon nom ! Colonel van Dyck, pilote émérite et breveté, 3 ème escadrille de chasse de sa gracieuse majesté !
— Sa gracieuse majesté… ? Quelle gracieuse majesté… ? Papa-Nazillon, interloqué.
— Ben, la reine des Flandres Orientales ! Raoul, la deuxième du nom…
— Une reine… ? En Flandres Orientales… ? Et qui s’appelle Raoul… ? Raoul deux… ?! Papa-Nazillon, perplexe.
— Tout juste !
Et il raconte, le colon…
— Boum ! Explosion ! Moteur en feu… ! Altimètre qui s’affole… ! Vibrations terribles… ! L’badin bloqué… ! Odeur de cramé… ! Fumée noire… ! Mayday… mayday… ! Van dyck pour la base… je répète… ici Van dyck pour la base… mais… fait chier… radio H.S ! Vraiment pas de bol ! Éjection… ! Territoire ennemi… (Chez nous !) ! Prisonnier de guerre… comment ça… ? Oui, nous sommes en guerre ! Si, si, depuis hier…
Petite pause dans le récit. Distribution gratuite de vinaigre pour tout le monde (grimaces).
— On pourrait p’tête se faire de chouettes rideaux dans ce joli parachute… c’est de la soie, non ?! Maman Georgino, perdant pas le nord.
— Affirmatif… cinquante pour cent, soie, cinquante pour cent, Kevlar… ! Colonel Van dyck (Prise de guerre en puissance).
— Et si on mangeait maintenant ?! Tonton Monique (Estomac sur pattes).
— Vous aimez le lombric en sauce, mon colonel… ? Maman, très à l’aise dans son nouveau rôle d’hôtesse de stalag.
— Du lombric… ? Mais, bien sûr ! J’adore ça ! Colon, se léchant d’avance les babines.
— Z’aviez la post-combustion sur vot’ zinc ?! Et le stator-turbine ? Un Pratt et Whitney, vot’ stator-turbine… ? Bruno, les yeux plein de mirages IV.
— Mais, laisse donc môsieur Come tranquille ! Va plutôt aider ta mère à mettre le couvert ! Papa-Nazillon, Obergruppenfurher d’opérette.
Parait que tout ce qui tombe du ciel est béni. Pas sûr… non, pas sûr du tout…

Rose des sables (3).

Les effluves acrimonieuses de Propylène-Cétyl me sortent du lit de bonne heure. Au rez-de-chaussée, Maman astique. Frénétiquement. Et tout, tout du sol au plafond, sifflotant son air préféré d’opéra mécanique :
« … L’amour est enfant de problème… ! »
Il y a peu, comme tous les matins, à l’instant même où le soleil apparaît derrière les dunes, le vent furibond nocturne a soudainement cessé de souffler sa rage, laissant place à un silence étrange et peut-être plus angoissant encore. Sur le pas de la porte d’entrée, grande ouverte sur l’horizon morne, Tonton Monique balaie scrupuleusement le sable accumulé au long de la nuit…
— Ah… te voilà enfin, ma fille !
— Bonjour Maman… mais… j’suis un garçon, et sans contre-façon… !
—… Ton petit-déjeuner t’attend sur la terrasse… tu as bien mis ta crème, n’est-ce pas… ?
— Oui, mummy… oui… ( Maman a toujours raison… )
La crème antimélanomique, de fabrication artisanale, à base d’essence de cactus (néobuxbaumia polylopha) est très efficace pour se protéger des effets redoutables du soleil. De surcroît, son odeur pestilentielle, (Ô, combien !) éloigne les nombreux parasites dermatophytes qui pullulent ici par milliards.
— Et n’oublie pas de mettre ta casquette à rabats !
Maman Georgino faut pas trop l’enquiquiner lorsqu’elle fait le ménage. Je le sais, et ne me formalise donc pas plus que cela. Tout à l’heure, vers midi, elle sera bien plus aimable, une fois posés ses éponges et ses torchons imbibés d’alcool formique. À moins, bien entendu, que Papa-nazillon ne rentre bredouille…
Ce qui se produit assez souvent, notre père n’étant pas très doué pour la chasse. Avant, il était chef-comptable. Dans une grande entreprise internationale de sous-traitance informatique des données. La « Smith and Johnson United Corporation ». Qui a fait faillite. En deux jours à peine, Papa-nazillon s’est retrouvé à la rue. Et nous, avec.
«Tout cela, c’est à cause de la Bourse de New-York qui n’a pas suivi… !» répétait-il à longueur de journée. Puis, le reste du temps il le passait à chialer, la tête enfouie entre ses mains fines de bureaucrate naïf. Histoire de nous rassurer peut-être, maman nous a annoncé qu’il faisait sûrement une grosse dépression nerveuse post-réactionnelle. « C’est normal, fallait s’y attendre, votre père est un esprit si faible… ». Ensuite, c’est elle qui a eu l’idée de venir s’installer ici. Dans le Sud.
J’avale mon bol de soupe froide aux orties en deux temps trois mouvements. C’est vraiment dégueulasse ! Oh, oui, c’est tout de même dégueulasse de pouvoir virer ainsi les gens, non… ? Si seulement la Bourse avait suivi… si seulement… si…
Un bruit effroyable me saisit sur place… il s’agit d’un avion de chasse, oiseau métallique de mauvais augure, qui passe en rase-motte juste au-dessus de notre maison. J’ai comme le sentiment qu’ils sont de plus en plus nombreux depuis quelque temps…
Quand je pense que Bruno, cette idiote, rêve de devenir plus tard pilote de chasse ! Voilà bien une idée totalement saugrenue ! Moi, je rêve de tout autre chose… d’un métier bien plus passionnant que celui-là… je rêve de devenir thanatopracteur ! Et surtout d’être un grand maître de cérémonies. Et peut-être même le plus grand de tous. Celui qui organisera les plus belles, les plus somptueuses, les plus émouvantes, les plus tristes, les plus poignantes cérémonies funéraires qui n’aient jamais été réglées sur Terre. Avec de vrais macchabées, bien sûr. Pas comme celles que j’improvise jusqu’à présent, toujours pour de faux, avec Bruno. D’ailleurs, ma sœur ne sait pas faire le mort ! Elle est tout à fait nulle pour ça ! Alors, à chaque fois, cela foire ! Cette cruche ne peut s’empêcher de bouger, ou même, pire, de rigoler à un moment ou un autre. Ah, croyez-moi bien que si j’avais quelqu’un d’autre sous la main, je l’utiliserai volontiers…
Tonton Monique s’approche de moi. Son balai de paille en bandoulière.
— Dis-donc, toi… j’avais pas vu… t’as du poil qui pousse au menton, on dirait bien… ?!
C’est en levant la tête vers elle que je l’ai vu, lui. Là. Tout là-haut dans le ciel tout bleu azur. Un parachutiste…

Le Pommard m’a tuer !

Ouais, et alors ? J’aime pas le pinard bio ! Il n’a pas de goût ! Je préfère le gros rouge qui tache. Et qui râpe un peu aussi, avec ses vingt-cinq grammes de sulfite au litre. J’suis un dur. Un vrai, un tatoué, un qu’à pas peur d’avoir des trous commac dans l’estomaque… ! Ouais, le pinard bio, j’vous le dis, et bien en face : c’est d’la daube en bouteille !
Moi, j’ai des bras comme vos cuisses, une tête de rhinocéros, et des mains qui broient. Gaffe, les gars ! J’suis pas un tendre pour deux ronds ! J’écrase tout sur mon passage, je pousse fort, je piétine grave si ça remue encore un peu. Alors, j’vous le dis : faut pas me faire chier… moi !
Pas été longtemps à l’école. Juste assez pour comprendre que ça servait à que dalle ! Et puis, faut pas trop m’enfermer entre quat’murs, moi. J’ai besoin de respirer à plein poumons, de m’extérioriser, d’avoir de l’espace, de pouvoir bouger comme j’ai envie. Sinon, je peux vite devenir méchant…
J’suis déménageur de profession. Chez Balthazard et fils. Et c’est un boulot qui me plaît. Surtout quand faut monter des trucs vachement lourds au dernier étage. J’adore quand c’est lourd et que ça doit aller tout en haut. Et l’ascenseur, c’est pas pour moi. Encore un truc de pèdezouilles, les ascenseurs ! L’autre jour, j’me suis farci un piano à queue. Tout seul, comme un grand, et jusqu’au cinquième. Les copains ont dit que j’y arriverai pas. C’est des cons. Ils ne se doutent pas de quoi je suis capable, moi ! Même que la cliente, celle du piano, elle nous a joué un morceau après qu’on ait déballé l’instrument en question au milieu de son salon. C’est du classique, qu’elle nous a dit. Et putain, c’est chiant, le classique ! Ça vous donnerait presque envie de chialer, cette connerie ! Enfin, je dis ça, mais moi j’ai encore jamais versé une larme de ma vie… même si j’ai beaucoup de peine, ça ne vient pas, jamais… je préfère plutôt cogner sur quelque chose ou bien… sur quelqu’un… mais, ça soulage aussi !
Tiens, en causant de ça, l’autre soir, en rentrant du turf, y’a un type en bagnole qui m’a refusé une priorité. Merde ! Les stops, c’est quand même pas fait pour les chiens, non ?! Alors, j’lui ai fait réviser son code de la route à ma manière, à cet abruti, en lui défonçant bien sa gueule à grands coups de tatanes. J’chausse du quarante-sept fillette, ça aide pour les révisions ! «Maman, au secours, maman !» qui geignait, le guignol ! Moi, ma mère, je l’ai pas connu. J’suis un enfant de la Dasse…
À la Dasse, j’me suis pas fait que des copains. Et puis l’ambiance, c’était pas trop ça, non plus. On se faisait vite chier sa race au bout d’un moment ! Alors, je fuguais. J’allais voir les filles dehors. Enfin, ces dames, plutôt. Et elles m’avaient à la bonne, celles-là. Faut dire que j’leur faisais comme une petite distraction dans leur dure journée de tapin. C’est un peu longuet dix heures par jour sur le trottoir. Surtout quand il fait froid. Et du côté de Givet, dans les Ardennes, c’est pas la peine de vous tartiner la tronche de crème le matin pour éviter les coups d’soleil, non, vaut mieux investir dans un pébroc de bonne qualité ! Elles étaient bien sympas, mes putes…
En maison de correction, j’me suis pas fait que des copains, non plus. Et puis les matons y tapaient fort. De vrais brutes. Encore plus qu’à la Dasse. Là-bas, c’est style « Marche ou crève », si vous voyez ce que j’veux dire ! Bon, des mandales, c’est vrai que j’en ai distribué quelques-unes aussi. Faut savoir qu’à quinze ans, j’étais déjà presque bâti comme aujourd’hui. Tout en muscles. Alors, fallait pas trop me chercher des poux dans le chignon ! Des fois, ils se mettaient à cinq ou six pour me maintenir par terre. Sûr qu’ils en ont drôlement bavé avec moi… !
À l’Armée, j’me suis pas fait que des potes, là, non plus. C’est vrai. Je l’avoue bien volontiers. J’en ai cassé du kaki ! Même un capitaine, qui avait pourtant fait l’Indochine en cinquante-quatre. Faut voir comme j’lui ai fait bouffer ses décorations, à çui-ci ! «Maman, au secours, maman»… ! enfin, bref, vous connaissez mieux la chanson maintenant… Finalement, n’ont pas voulu de moi dans les paras, j’aurais bien voulu, moi, mais j’étais trop balèze d’après eux. J’savais pas, mais dans les parachutistes vaut mieux être nain, sûrement parce que ça prend moins de place dans les avions. Alors, m’ont incorporé dans les commandos-marine. Les Fusses-cos, qu’on dit. C’est bien aussi. Enfin, pour ceux qui comme moi aiment la castagne… ! M’ont appris le close-combat pendant les classes. Et puis comment égorger proprement une sentinelle ennemie en arrivant en loucedé par derrière. Et encore plein d’autres trucs qui peuvent toujours vous servir un jour, plus tard, quoi, on ne sait jamais… Bon, après, j’ai surtout fait du trou. Ces cons de militaires, ils ont tendance à vous envoyer au cabanon pour un oui, pour un non. Ils ont leur putain de règlement à respecter. Et la hiérarchie, aussi. Moi, la hiérarchie, elle m’a toujours fait chier. Ça m’file des boutons ! Mais, j’ai l’impression que vous vous en doutiez déjà un peu, non… ?
Après l’armée, comme fallait bien bouffer, j’ai trouvé ce boulot chez Balthazard et fils. J’avais tout à fait le physique de l’emploi, qu’ils ont dit en me voyant arriver. Je reconnais qu’ils avaient pas tort, porter des paquets lourdingues, c’est vraiment l’idéal pour moi. J’suis comme dans mon élément. Et puis, c’est grâce à ce boulot que j’ai rencontré ma moitié…
Suzanne, qu’elle s’appelle. Elle déménageait. On a tout de suite matchés tous les deux. Elle est chouette, ma Suzanne… et douce avec ça. Comme une grosse pelote de laine vierge. Du coup, c’est moi qu’ait vite déménagé ensuite. J’ai quitté mon gourbi minable de la Sonaco pour venir m’installer chez elle. Bon, c’est pas très grand chez nous, mais on n’a pas beaucoup d’affaires, non plus. Alors, du coup, ça compense. Là, elle est enceinte, ma Suzanne. Un garçon, qu’a dit le toubib. Il paraît que ça se voyait bien sur la dernière radio qu’on lui a fait, à Suzanne. Un garçon, c’est bien, non ? Enfin, une fille, ça m’aurait plu aussi, faut pas dire. J’aurais pas fait le difficile pour une fois…
Là, je descend chez le marocain, pour acheter une bouteille. On a décidé de fêter ça, avec Suzanne.
— Comment ça, t’as que du Bio, Rachid ? Tu te fous de ma gueule, ou quoi ?
Après, j’sais plus…

Texte d’Ernest Salgrenn. Avril 2021. Tous droits réservés (texte et photographie).

Concevoir un site comme celui-ci avec WordPress.com
Commencer