FORME LIBRE.

Quoi de neuf, aujourd’hui ?
À la une du journal local, en titres gras, « Je m’inquiète pour ma santé mentale… »
Juste en dessous, en italiques : « mais aussi pour celles des autres… !« .
Et la photo en couleurs d’un type, poches sous les yeux, mal rasé… ce doit être moi, mais je ne me reconnais pas…
Bruits de fond de tronçonneuses. Pas loin, à deux cent mètres d’ici.
Pi, le chiffre Pi… trois quatorze cent seize… oui, c’est comment déjà la formule… ? Nul en maths, ça n’aide pas. Cinquante, le rayon, au carré, que multiplie ensuite Pi… soit sept mille huit cent et des brouettes… grosso modo, un petit hectare finalement… !
Voilà donc qu’on dégage autour de la nouvelle antenne téléphonique (GSM pour les belges et les initiés). On abat encore des arbres, mais sans sommation, cette fois. Et on prend de la marge, elle ne fait que quarante deux mètres de haut, ainsi si elle devait tomber, aucun risque d’abîmer quelque chose… Comment ? C’est surtout pour qu’elle ne soit pas détruite si la belle forêt tout autour prenait feu… ?! Je n’avais pas compris, veuillez m’en excuser… j’suis trop con, des fois ! Beaucoup trop con.
La nouvelle antenne à monsieur Bouygues et associés. Pas belle, la tétenne à Boui-boui-gues ?! L’ont peinte en vert, et puis avec les arbres : on verra pas du tout le bas qui z’ont dit. Les arbres ? Quels arbres ? Merde… raté ! Monsieur Bouygues nous a promis aussi qu’il n’installerait pas la 5G dans sa jolie antenne, juré, craché, que s’il mentait, il irait tout droit en enfer. On n’en voulait pas, nous, de son cancer du cerveau. On a déjà assez de problèmes comme ça.
Ouiiii… je vais pas bien ! Je me reconnais plus. J’ai plus envie de rien. Si, juste de casser la tête à certains…
Demain, je prend l’avion, direction Madrid. Je vais participer au Championnat du Monde du lancé d’avion en papier. Non, je rigole pas. C’est la vérité vraie. Et je vais le gagner ce championnat ! Ernest Salgrenn, champion du Monde du lancé d’avion en papier… ça va en jeter sur mon pedigree ! J’ai pris ma décision après avoir vu un reportage là-dessus, avant-hier, à la télé. Je suis comme ça, j’ai parfois de sérieux coups de tête. Et surtout en ce moment. Devant un tableau noir, des types, brillants, ingénieurs et tout bardés de diplômes, calculaient la meilleure portance possible pour un avion en papier. Fiers, les gars, ils sont réussi à faire planer leur zinzin à vingt-deux mètres cinquante quatre…
J’ai commencé par lire le règlement du concours. Le matériel ? Une feuille A4, 100gr/m, et rien d’autre. Et puis, « Forme libre », que c’est écrit à l’article 7… Faut pas me le dire deux fois… forme libre ? J’ai réussi 42 mètres (comme l’antenne ! le hasard…) avec mon prototype. Pas la peine de se faire des nœuds au cerveau pour calculer la portance, juste un peu de bon sens, les gars… j’ai fait une jolie boulette, un peu machouillée et aplatie pour une meilleure pénétration dans l’air, et… zou… ! Quarante-deux mètres… sans forcer ! Mais, je suis sûr que je peux améliorer encore, surtout avec un litre de Sangria dans le corps.
Dès mon retour, avec ma médaille autour du cou, la semaine prochaine, je fais Koh-Lenta (orthographe à vérifier par vous-mêmes, j’ai pas trop le temps, ce matin). En trois semaines, c’est baclé, cette affaire ! Et ils peuvent se la mettre où je pense l’épreuve des poteaux, pas la peine, là aussi j’ai ma solution. J’éclate un crâne à coups de noix de coco, chaque nuit, dès que tout le monde dort… Ernest Salgrenn, vainqueur, faute de combattants… et qu’on me fasse pas chier avec le règlement, si c’est pas marqué dedans, c’est qu’on a le droit.
… Vous voyez bien que je vais pas bien… quand je vous le dis, c’est pas pour faire l’intéressant, faut me croire.

Texte et photographie Ernest Salgrenn. Avril 2022. Tous droits réservés.

Comme une odeur de macramé.

« Pourvu qué ça douré ! » lançait la mère Lætitia, celle de l’empereur des français (rien à voir avec notre Jaunie national)…

Mais non ! Bien au contraire, faut qu’on en finisse maintenant ! clamé-je aujourd’hui, haut et fort ! Coup de gueule, c’est gratos, ne me remerciez pas…
Comment ? Pas de politique, avions-nous dit la dernière fois… ? Ah bon… ?! Désolé, le ferais plus !
Et vous, alors ? Ça baigne ?
« Bonjour, bonjour les hirondelles !  » : le printemps est là ce matin, après plusieurs jours de pluie (… en-fin ! pour les deux phénomènes).
Les zoizeaux gazouillent donc à qui mieux mieux, se cherchent, se trouvent, et construisent ensemble, ailes dessus-dessous, des nids bien chauds et douillets aux creux des arbres tout gorgés de sève nouvelle. Que c’est beau, la Nature ! Ce qu’il en reste, en tout cas…
J’aime les oiseaux. Pour moi, ils expriment, avec beaucoup d’insolence, la quintessence d’un équilibre toujours très incertain face aux nombreux aléas d’une vie sauvage. Toujours un peu sur le fil du rasoir, nos piafs. Mais, finalement, ne sommes-nous pas tous un peu dans cette position délicate ? Petits oiseaux, nous aussi.
J’aime donc les oiseaux car ils sont si fragiles. Un rien, une bourrasque un peu plus appuyée, une giboulée de mars un peu plus glaçante que les autres, ou parfois, ce n’est pas de chance, un simple grêlon perdu, et voilà, c’est le drame… ! une famille de mésanges bleues ou de chardonnerets élégants en deuil ! Oh… ! Cruel destin quand tu nous tiens !
François Villon, (peut-être) le plus grand poète de tous les temps, détestait les oiseaux. Et notamment les corbeaux, les « freux » des gibets, si florissants à son époque. Il l’a souvent écrit. Avec tout le respect que je lui dois, je pense qu’il avait tort. Même les corbacs ont le droit d’être aimés, car, après tout, ils ne font que leur boulot, et toujours avec une grande application, et de la plus belle des façons qui soit, programmés à merveille qu’ils sont pour crever et bouffer les yeux des pendus, si pendus qui se balancent il y a, bien entendu…
Et alors ? Ne faut-il pas de tout pour défaire un monde… ?
« Quinze euros, le mètre ? Mince, c’est pas donné, le chanvre… ! Mettez-en moi deux mètres (soit une toise) tout de même… je pense que ça devrait le faire… ! »

Y a d’la joie
Bonjour bonjour les hirondelles
Y a d’la joie
Dans le ciel par dessus le toit
Y a d’la joie
Et du soleil dans les ruelles
Y a d’la joie
Partout y a d’la joie
Tout le jour, mon cœur bat, chavire et chancelle
C’est l’amour qui vient avec je ne sais quoi
C’est l’amour bonjour, bonjour les demoiselles
Y a d’la joie
Partout y a d’la joie…

Des paroles, celles-çi, de Michel Emer et Charles Trenet… Mais, ce n’est pas vrai, ils se trompent : de la joie, y’en a pas partout dans ce monde à la con… mon chat, ce salaud, a tué une mésange, ce matin…

Texte et photographie Ernest Salgrenn. Avril 2022. Tous droits réservés.

Wolf. Jim Harrison.

Si, en ce qui concerne la Littérature, il en va comme de tout le reste, il est toujours préférable de débuter par le commencement, il n’est toutefois pas interdit, une fois lu (l’ennuyeux) « L’illiade et l’Odyssée », de brûler des étapes, et de passer directement aux « 100 Histoires extraordinaires » de Pierre Bellemare. C’est ce que j’ai fait.
Pierre Bellemare, je l’ai rencontré une après-midi ensoleillée d’Août. Cela se passait en Corse, sur le port animé de Saint-Florent. Il débarquait à peine de son voilier (un superbe quinze mètres) accompagné de sa femme, Maryse. Vêtu d’un bermuda à fleurs et d’un simple tee-shirt jaune vif, l’homme m’apparut d’emblée comme fort sympathique, et d’ailleurs, nous sympathisâmes très rapidement. J’avais, moi aussi, tant d’histoires plus extraordinaires les unes que les autres à lui raconter… Oui… quoi… ? Je vous demande de m’excuser un petit instant… ma femme me parle… comment ça, je confonds encore ? Ce n’était pas Pierre Bellemare mais plutôt Philippe Gildas ?! Un mètre cinquante, de très grandes oreilles… ? Oui, bon, tout le monde peut se tromper, non ?
Enfin, bref… hier soir, je suis allé voir un film (mi-documentaire en vérité) intéressant sur Jim Harrison, cet immense écrivain américain. Film co-réalisé par François Busnel (celui de la Grande Librairie). François devait être parmi nous, public sous le charme, pour débattre à l’issue de la projection, mais c’était sans compter sur la Covid (oui, 140 000 cas encore pour la journée d’hier ! mais… chut ! ) qui l’obligeait à rester chez lui. Nous eûmes donc droit à un Zoom en direct de son appartement parisien. Pour ceux qui ne connaissent pas Zoom, c’est comme Whatsapp ou Skype. Et pour ceux qui ne connaissent aucun des trois, allez vite vous… renseigner ! Comme on pouvait s’y attendre, de nombreuses questions à son adresse fusèrent rapidement. L’élite de la communauté locale de lecteurs (et trices) semblait s’être donné rendez-vous, tant toutes les questions étaient pointues (« Ne trouvez-vous pas qu’il y a tout de même quelque chose de Jean Giono chez Jim Harrison ? » Et vas-y que je te cite ensuite de longs passages du « Chant du monde »… !). Bien calé dans mon fauteuil rouge, je laissai faire, admiratif de tant de savoir étalé sans retenue. Pour tout vous dire, Jean Giono, je connais un pio, je sais qu’il était de par ici (Manosque, je crois), mais il est vrai qu’en ce qui concerne ce Jim, l’américain, il y a encore deux jours de cela, je n’avais jamais entendu parler de lui ! Comme je vous l’ai appris plus haut, j’ai brulé des étapes !
Puis, François, toussotant de concert avec une bonne moitié de la salle, en vînt à nous causer du roman « Wolf : mémoires fictives ». Il raconte comment Jim Harrison fût contraint, par les producteurs, de remanier (Ô, combien !) le scénario du film qui en définitif n’avait au final plus rien à voir avec son roman initial. Si, ce n’est certes pas un cas isolé, on sait bien que bon nombre d’adaptations cinématographiques hollywoodiennes prennent de grandes libertés avec les histoires originales, cette fois, on dépassa les bornes…
« Wolf » raconte les aventures d’un jeune homme, Swanson, vagabond littéraire, qui abandonne tout pour se consacrer à la recherche d’un loup, s’enfonçant dans une nature de plus en plus sauvage, pour finalement, au terme des quatre cents pages du roman, ne pas en apercevoir la queue d’un… ! Les producteurs (on peut les comprendre, un sou est un sou, ma bonne dame !) voulaient autre chose, de plus commercial, de moins ennuyeux. Aussi, d’un loqueteux, Jim fit un riche éditeur New-yorkais, des grands espaces à l’infini du Montana, recentra l’action dans Central Park, et du loup invisible, un loup-garou ! C’est là, à cet exposé, que je compris que j’avais peut-être ma carte à jouer pour épater à mon tour, la galerie…
Je levais la main droite, on me fit passer le microphone (contaminé ou pas ?)…
« Bonsoir, François… Ernest Salgrenn, écrivain… ma question est la suivante… je dois vous dire que j’ai rencontré ce loup… celui qui tient le rôle principal dans le film ! d’ailleurs, si je peux apporter une petite précision à ce sujet, il ne s’agissait pas d’un loup, mais d’une louve… (des « Oh ! » et des « Ah ! » dans la salle… ) la rencontre s’est déroulée du côté de Palmer city, dans un coin reculé de l’Alaska, chez son dresseur… mais vous-même, François, lors de vos séjours répétés chez ce Jim Harrison, avez-vous aperçu quelques serpents à sornettes ?!…

Des loups, par chez moi, il en traînent pas mal. Mais, des loqueteux aussi. Et de plus en plus…
La prochaine fois, je vous parlerai à nouveau d’un autre roman de Jim Harrison que je n’ai pas lu.
Oui, je le sais, je choisi trop souvent la facilité !
Salut les copains (et pines), et bien entendu : de bonnes Pâques à vous !

D’élections molles en urnes bourrées.

C’est vrai ! Bien vrai, que je ne vous parle jamais (ou quasiment prou) de politique dans mes posts, billets, petites histoires à deux balles, nouvelles farfelues et pittoresques, appelez-bien ça comme vous voulez. Mais, une fois n’étant pas coutume…
Alors donc, nous y voilà, à deux jours seulement du premier tour de ce scrutin présidentiel ! Pour la plupart des prétendants au titre suprême (grand vizir de Gaule en déclin), les carottes sont cuites, et bien cuites, et leurs derniers petits coups d’esbroufes télévisuelles n’y feront rien, c’est mort ! Reste, comme à chaque fois, deux, éventuellement trois (le fameux trio magique du grand Guignol à papa : le mari, l’épouse et son amant caché dans un placard !) encore en lice pour le deuxième tour. Ce n’est pas moi qui le dit, ce sont les sondages. Les fameux sondages d’intention de vote (Sondeur d’opinion… serait-ce un métier d’avenir pour nos enfants ?). Autrement dit, on prend les mêmes et on recommence ! Enfin, presque les mêmes, car il y a cinq années de cela, souvenez-vous, on avait eu droit au petit nouveau de la bande (Rothschild family and consorts) sorti d’un chapeau claque au dernier moment ! Avec le résultat que vous savez…
Douze lignes. Douze lignes à peine… et déjà cela m’ennuie de vous parler de politique ! et vous avec, très certainement ! Alors, si l’on causait d’autre chose ? OK, ça marche !
En ce moment, je suis entrain de (re)lire « Les ritals » de monsieur François Cavanna. Cavanna est un grand écrivain et ce ne sont pas les sondages d’opinion qui l’affirment, c’est moi ! Dans mon Panthéon des écrivains, il est devant, au premier rang. Juste à côté de Romain et Boris. D’ailleurs, je suis persuadé qu’ils se tiennent la main, ces trois-là, ou plutôt, se tapent dans le dos, tout là-haut, au paradis des grands auteurs. Et qu’ils s’en racontent des fameuses, aussi, pour passer le temps, et j’ai dans l’idée que le temps ne doit pas passer très vite, là-haut…
« L’éternité, cé long commé la morta ! » dirait ma concierge. Petite précision, ma concierge n’est pas portugaise. Aujourd’hui, toutes les concierges (une espèce en voie de disparition, ceci dit) ne sont pas forcément portugaises. Dans le lot, quelques-unes sont d’Espagne. Olé ! Pourquoi ai-je dis « Olé » ? Je ne sais pas… cela m’est venu tout naturellement ! Enfin bref, passons.
« Mousié Salgriné… vous avé rézou ouné couli dé la posté ! » m’apostrophe-t-elle, madame Gomez y Sanchez y Peillon y Rueca dé la Pampa, ma concierge, justement…
Je ne lui ai jamais avoué à cette petite dame à la fine moustache, et qui postillonne plus que la normale, mais ma mère fut concierge, elle aussi. Dans un bel immeuble parisien, très cossu, juste en face du bois de Boulogne. C’est là que je vécu mes premières années. Dans une loge de concierge. Excusez du peu !
S’il me reste quelques souvenirs de cette époque, cela est très étrange, mais ils sont tous en noir et blanc ! Pas une seule note de couleur dans ces souvenirs-ci. Du noir et du blanc, uniquement. Les couleurs, elles n’arrivent que bien plus tard dans mes souvenirs d’enfance. Et principalement du bleu et du vert, couleurs de la mer, en Bretagne.
Elle me tend le paquet (madame G.S.P.R.P). Je sais de quoi il s’agit, pas la peine de l’ouvrir. Encore un retour de mon éditeur. En ce moment, je n’ai pas beaucoup de succès, je m’applique pourtant, mais personne ne veut de ma prose. Il y a des périodes comme ça. Je ne m’en fais pas trop pourtant, cela va reprendre d’ici peu, j’en suis sûr, j’y crois.
Dans notre bel immeuble du XVIème arrondissement, parmi les locataires, il y avait un jeune garçon qui vivait là, avec ses parents. Ce gamin jouait de tout un tas d’instruments de musique dont l’accordéon, et bien souvent on entendait les mélodies de ce dernier résonner dans tout l’immeuble. J’ai toujours apprécié cet instrument, l’accordéon. Le « piano à bretelles », comme on le nommait alors dans les milieux populaires ! Un peu ringard sur les bords, très certainement (mais, ne le suis-je pas moi-même ?!) malgré tout, j’aime bien !
Tandis que ma mère balayait très consciencieusement l’escalier de notre immeuble deux fois par jour, mon père, pendant ce temps-là, conduisait la grande échelle des pompiers. Pompier de Paris, était-il, lui. Un très bel homme, tout en muscles, que mon père. Et avec toutes ses dents… Pourquoi vous préciser ça, vous étonnerez-vous ? Eh bien, car je le sais ! Oui, il avait toutes ses quenottes, mon papa, ne lui en manquait pas une ! Pas une, vous dis-je ! ne nous l’a-t-il pas répété si souvent ensuite, plus tard, alors qu’il nous contait ses formidables exploits de pompier, de courageux et brave petit gars qui sauvait des gens comme nous tous les jours (Vaincre ou périr, telle était sa terrible devise, alors, voyez bien que je ne vous mens pas !)… « Tu sais (mon fiston), s’il te manquait une dent, ou même une seule d’un peu abîmée, et même une qu’est tout au fond de ta bouche et qu’on ne voit pas forcément, eh, bien, tu étais recalé à l’examen médical d’entrée ! Recalé ! Et au suivant ! ».
Mais tout ça, cette sévérité à l’engagement, c’était à cause de cette foutue guerre d’Algérie, que pas un seul des jeunes gars de l’époque ne voulait aller la faire cette saloperie de guerre, c’est pourquoi tout le monde tentait de rentrer dans le corps des pompiers de Paris… la planque, quoi ! Véridique, l’histoire ! Enfin, c’est mon pater qui me l’a dit.
On n’avait pas de salle d’eau pour faire notre toilette. On se lavait dans la cuisine, devant l’évier. Sauf moi, qui prenais mon bain dans une petite cuvette en zinc posée dans ce même évier. Par contre, allez savoir pourquoi, nous avons eu assez vite un poste de télévision ! De ça aussi, je m’en souviens très bien. Et, dans cette télé (énorme, comme un coffre-fort de bijoutier, mais avec pourtant un écran ridiculement petit !), le feuilleton « Belphégor ». En noir et blanc, bien sûr. Bon sang, qu’est-ce que j’ai pu en faire des cauchemars avec ce Belphégor ! Je crois bien que même maintenant, soit plus ou moins soixante ans après, elle me file encore un peu la frousse rétrospectivement, cette Belphégor-là… Saleté, tiens !
Le jeune, celui de tout à l’heure, de l’accordéon, du troisième étage de notre immeuble cossu, il s’appelait Michel, et puis Mick (pour faire tout à fait dans le vent), il parait qu’il est devenu l’un des musiciens attitrés des Chaussettes Noires (le groupe yé-yé avec Eddy Mitchell, alias Claude Moine, ou Schmoll, c’est le même, cherchez pas).
Les Chaussettes Noires… ! vous voyez bien, une fois de plus, que décidément tout était blanc et noir à cette époque ! Ce n’est pas moi qui l’invente… j’en serai bien incapable d’ailleurs de vous inventer tout ça…
Bon, je vous laisse, finirai par vous raconter ma vie, à ce train-là ! Allez, salut les copains ! Et surtout… n’oubliez pas d’aller voter !

Texte et photographie Ernest Salgrenn. Avril 2022; Tous droits réservés.

Entretiens à bâtons rompus avec l’auteur, Ernest Salgrenn (où, finalement, on en apprend guère plus sur lui).

Il s’agit d’une retranscription inédite et fidèle d’une série d’entretiens accordés à une jeune journaliste, qui eurent lieu seulement quelques semaines après l’envoi de mon manuscrit à un éditeur parisien.
Pour la petite histoire : initialement, ces entretiens devaient se dérouler dans l’une des suites du Ritz, célèbre palace parisien de renommée internationale (et idéalement bien situé) mais les tarifs affichés plus qu’exorbitants de cet établissement luxueux m’imposèrent une retraite mieux adaptée à mes moyens, en l’occurrence le parloir de la prison de Fleury-Mérogis (département de l’Essonne), où je purge une peine de trois mois de prison (dont deux avec sursis) pour meurtre. Un meurtre prémédité et particulièrement odieux d’un livreur de pizzas « Uber eats« …


Elle (la journaliste) :
« Bonjour… !
Moi (l’écrivain) :
— Bonjour, mademoiselle… !
Elle :
— Merci de me recevoir et d’avoir bien voulu m’accorder quelques instants de votre temps que je sais pourtant si précieux afin de répondre à toutes ces questions qu’avec tant d’impatience je brûle depuis si longtemps de vous poser… !
Moi :
— … N’en faites pas trop quand même ! Bon… si nous allions droit au but… ? que voulez-vous savoir exactement ?
Elle :
— … Très bien, alors commençons par le commencement… votre nom… Ernest Salgrenn… Salgrenn… est-ce votre véritable nom ?
Moi :
— A votre avis… ?!
Elle :
— Mais, je ne sais pas ! Peut-être ! Si je vous pose cette question c’est tout simplement parce que tout le monde le sait, bon nombre d’écrivains utilisent, ou ont utilisés, un pseudo pour écrire… Alors… Salgrenn… nom de plume, ou pas ?!
Moi (déjà agacé, alors ça commence bien !) :
— Bon… j’ai comme l’impression que cet interview démarre plutôt mal… ! Il me semble bien, ma chère mademoiselle, que vous débarquez, comme ça, là, dans mon parloir, sans avoir pris le soin au préalable de vous renseignez un minimum sur ma personne ! Laissez-moi donc vous dire que ceci n’est pas du tout professionnel, ma petite ! Aussi, je crois bien que l’on va s’arrêter là pour aujourd’hui… désolé, mais vous reviendrez me voir quand vous serez un peu plus au point ! Au revoir, mademoiselle !
Je me lève de ma chaise et sonne le gardien qu’il me ramène fissa en cellule… Bien entendu, j’ai droit à la fouille au corps réglementaire, dès fois que j’en aurai profité pour planquer quelque chose au sein de l’un de mes orifices intimes…
Une semaine plus tard, même heure, même endroit, Moi, écrivain, toujours emprisonné, et Elle, journaliste, si libre :
« Alors… vous revoilà déjà ?!
Elle :
— …
Moi :
— Tiens… Vous n’avez donc rien à me demander aujourd’hui… ?! Je pense qu’on ne va pas beaucoup avancer tous les deux si vous rester ainsi, muette comme une carpe ! Allez ! Lancez-vous donc, nom d’une pipe !
Elle (un peu hésitante, puis) :
— … Ainsi, votre véritable nom serait donc, Ernest de Salgrennic de Ty An-Ker…
Moi :
— Hé, ben, voilà ! Cette fois au moins, on voit que vous avez un peu mieux bossé votre sujet ! Je vous félicite ! C’est très bien ça ! Oui, tout à fait exact, mais j’ai simplifié en Salgrenn ! C’est plus court et ça sonne bien ! Et puis Salgrenn… comme « Sale graine »… ! Trouvais aussi que cela tombait plutôt bien me concernant, non ?! Et vous alors, c’est quoi votre petit nom… ?!
Elle :
— Modestine…
Moi (esclaffé) :
— Modestine… ?! Mais c’est terriblement affreux comme prénom, ça ! Non… on va plutôt vous appeler Isabelle ! Voilà, c’est beaucoup mieux, Isabelle ! C’est tout de même mille fois plus chouette que ce Modestine… ne trouvez-vous pas… ?!
Elle :
— Peu m’importe ! Et puis, ai-je vraiment le choix… ?!
Moi :
— Mais non ! Évidemment que non ! Néanmoins, vous pouvez toutefois me donner votre avis, je pourrai alors éventuellement en tenir compte, car n’allez surtout pas vous imaginer, ma chère Isabelle, que je sois aussi rigide et inflexible que je le laisse paraître… avant d’être un écrivain, je suis avant tout aussi un homme comme les autres !
Elle :
— Oh… de ça, je n’en suis pas vraiment certaine… !
Moi :
— Ah bon ?! Et qu’est-ce qui vous laisserait donc penser ça ?!
Elle :
— Parce que cela se voit tout de suite, tiens ! Vous apercevant pour la première fois, Ernest Salgrenn, on devine immédiatement que vous n’avez jamais été un homme comme tout le monde ! Vous, cela ne fait aucun doute, êtes assurément un être à part, d’une espèce toute particulière, et cela depuis le début de votre existence…
Moi (sourire au lèvres) :
— Méfiez-vous, ma petite… je pourrai le prendre pour un compliment !
Elle :
— A vous de voir…
Moi :
— Bon… très bien… et maintenant… toutes ces questions que vous vous posez à mon propos ?! Alors, si nous attaquions pour de bon maintenant que les présentations sont faites ?!
Elle :
— Pourquoi ai-je les yeux bleus… ?!
Moi (un peu surpris par cette question à laquelle je ne m’attendais pas) :
— … Mais… quelle question ! je ne sais pas moi, parce que… parce que… parce que tout bêtement j’aime les jolies filles aux yeux bleus ! Voilà, cela vous convient-il comme réponse ?!
Elle (rictus) :
— Vous vous amusez bien, hein… ?! Ainsi, vous passez donc tout votre temps à transformer l’intégralité de ce qui vous entoure à votre façon ?! Tout doit être bien comme il plaît à monsieur, n’est-ce pas… ?! C’est bien ça, hein ? Donc, si j’ai ces yeux bleus, c’est uniquement parce que cela vous plaisait mieux que des yeux verts… ?! Et si, après tout, j’avais eu envie d’avoir les yeux verts, moi… ?! Vous êtes-vous au moins posé la question un seul instant avant de m’imposer de force cette affreuse paire d’yeux bleus ciel ?!
Moi (agacé de nouveau) :
— Oh ! Oh, mais comme je vous trouve bien injuste, Isabelle ! Vos yeux bleus sont absolument magnifiques ! Et puis ils ne sont pas vraiment bleus en vérité… prenez votre temps, regardez-les donc un peu mieux… ils sont plutôt gris que bleu en réalité… ce qui est beaucoup plus rare, et bien plus attachant, ne trouvez-vous pas… ?!
Elle (ne faisant pas cas de ma réponse) :
— Et pourquoi êtes-vous en prison… ?!
Moi (très agacé, in fine) :
— J’ai tué un jeune homme ! Un de ces petits livreurs de pizzas à domicile !
Elle (écarquillant ses magnifiques yeux gris en amande) :
— … En voilà bien une idée saugrenue ! Et que vous avait-il donc fait ce pauvre bougre… ?
Moi :
— Mais rien, voyons ! Absolument rien ! C’était juste pour le fun ! M’ennuyais à mourir chez moi, une petite faim, envie de pizzas, alors j’ai pris mon téléphone, commandé une Margharita, sans sauce piquante bien entendu car je n’aime pas ça, et dix minutes plus tard, il a sonné, j’ai ouvert, il a posé délicatement la boite rectangulaire avec la pizza encore chaude à l’intérieur sur la table de cuisine, et puis j’ai tiré… ! Pan ! À bout portant, en pleine poitrine, direct au cœur… il est mort sur le coup !
Elle (scandalisée) :
— Quoi…?! Mais, c’est terrible ce que vous me racontez là ! Quelle horreur ! Ainsi, vous auriez donc abattu ce pauvre homme, comme ça, sans aucune véritable raison… ?!
Moi :
— Exactement ! Où est donc le problème avec ça ? Je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’avoir une bonne raison pour assassiner quelqu’un ! Ce n’est pas très sérieux comme raisonnement ! Eh bien, non, Isabelle ! Apprenez qu’on peut aussi tuer par ennui… et uniquement par ennui ! Et même si ce n’est peut-être pas une raison valable pour vous, sachez que pour moi cela peut très bien être une explication rationnelle qui tient parfaitement la route !
Elle (semblant se calmer un peu) :
— Avec un révolver, donc… ?
Moi :
— Oui ! Mais quelle importance après tout ?! Je l’ai tué… ! Et n’est-ce pas ce qui compte, en définitif ?! On s’en contrefiche bien que ce soit avec un flingue ou à grands coups de hache ! Je l’ai tué, il est mort, point barre, n’en parlons plus !
Elle :
— Non ! C’est faux ! Cela aussi a son importance ! Cela m’aide à mieux visualiser la scène… un seul coup, donc… ?
Moi :
— Vous êtes vraiment sérieuse, là… ?! Pourquoi donc vous intéressez-vous tant à ce crime ?! Quel intérêt ?! N’aurions-nous pas tant d’autres sujets à développer ensemble et qui seraient tellement plus intéressants pour vos lecteurs ?! Tiens, vous ne m’avez même pas encore demander mon âge ! Vous ne voulez donc pas savoir quel âge j’ai ?! C’est tout de même une chose importante que de connaître l’âge d’un écrivain !
Elle :
— Tout le monde s’en contrefiche de votre âge, Ernest ! Allez… vous avez quoi… disons, à la louche, grosso modo, à peu près dans les soixante balais ! C’est bien ça, hein ?! Par contre, voyez-vous, ce crime odieux, gratuit, tellement insensé, et dépourvu de toute morale même la plus élémentaire, voilà bien au contraire un sujet qui va intéresser au plus haut point mes lectrices et mes lecteurs ! Les gens sont toujours friands de faits divers aussi tragiques que celui-ci ! Bien plus, je peux vous l’assurer, que de savoir si vous avez soixante, soixante-quinze ou même peut-être quatre-vingt dix sept ans !
Moi (ne me départissant pas) :
— Je viens à peine de fêter mes soixante berges, en avril de cette année !
Elle :
— On s’en fiche pas mal, je viens de vous dire ! Et donc, si j’ai bien compris… vous avez écopé de seulement trois mois de prison pour ce crime aussi gratuit qu’atroce… ?! N’est-ce pas tout de même un peu léger comme peine ?! Généralement, il me semble que pour un crime de cette nature, cela tournerait plutôt autour de perpète, non… ?!
Moi (rentrant dans son jeu) :
— Je me suis assuré les services d’un très bon avocat ! Le meilleur de la place ! Il a plaidé la légitime défense… et puis… j’ai bénéficié aussi de circonstances atténuantes ! Bon sang, je n’allais tout de même pas passer le restant de ma vie en tôle pour le meurtre d’un simple petit livreur de pizzas ?!
Elle :
— Mais comme vous êtes ridicule, mon pauvre… ! Vous n’assumez même pas vos actes ! Vous auriez pu au contraire vous infliger la peine maximale, cela aurait été si facile pour vous… mais non, vous n’avez même pas eu le flan de le faire ! Quel manque de courage… vous êtes lamentable !
Moi (vraiment agacé pour de bon, cette fois) :
— Mais, Dieu de Dieu ! Qu’est-ce que ça peut bien vous foutre aprés tout ?! Bon d’accord, je n’ai pris que trois mois, et alors… ?! Cela m’arrangeait ! Et puis ce n’est déjà pas mal trois mois pour un crime que l’on n’a pas réellement commis ! Merde ! On voit bien que ce n’est pas vous qui êtes enfermé ici ! Tenez… la fouille au corps par exemple… est-ce que cela vous dit quelque chose, la fouille au corps… ?! Vous croyez peut-être que c’est du gâteau que de se faire… oui… bon… passons maintenant à autre chose, voulez-vous bien ?!
Elle (teigneuse) :
— Mais comment diable avez-vous pu bénéficier de circonstances atténuantes… ?! Je n’arrive pas à le croire ! Des circonstances atténuantes ! Mais en quel honneur ?! Tout ceci est vraiment du n’importe quoi !
Moi (sortant de mes gonds) :
—Hé, ho, doucement, là, ma petite… cela va mal finir ! Allons, reprenez-vous immédiatement, Isabelle ! N’oubliez pas que vous êtes là pour m’interviewer et certainement pas pour refaire mon procès d’assise ! Alors, finissons-en… que voulez-vous donc encore savoir sur moi… ?
Elle :
— … Rien ! Je me demande même maintenant ce que je suis venu faire ici ! je me rends compte finalement que vous ne m’intéressez pas, Ernest ! D’ailleurs, je crois bien que vous n’intéressez véritablement personne ! Ni moi, ni qui que ce soit d’autre !
Moi (stupéfait…) :
— Mais… il y a mon bouquin tout de même ! Mince, alors… mon bouquin, Isabelle… ?! Vous l’avez bien lu, mon bouquin, non ?!
Elle :
— Non… pas lu une seule ligne !
Moi (sur le cul) :
— Quoi… ? Je ne comprends pas… je vous avais pourtant fais parvenir un exemplaire de mon manuscrit la semaine dernière… ?
Elle :
— Pas ouvert, votre manuscrit ! Pas eu le temps ! Pas mal d’autres choses à faire en ce moment, débordée Isabelle, voyez-vous !
Moi (après quelques secondes de réflexion) :
— Ce n’est pas possible ! Vous me faites marcher, là… ?! Non… ce n’est pas vrai ! je ne vous crois pas un instant ! je sais pertinnement que vous l’avez lu ! Vous l’avez lu, ce roman, Isabelle, et je devine aussi que cela vous a plu ! N’est-ce pas ? Allons, dites-moi la vérité !
Elle :
— La vérité… ?! Vous voulez que je vous dise la vérité ?! C’est bien vous, Ernest Salgrenn, qui me demandez ça… ?! La vérité ! Ah ça, vraiment, je trouve que vous ne manquez pas de culot, tiens !
Moi (consentant à redescendre d’un ton) :
— Bon… OK… vous avez raison… j’ai un peu menti pour ce livreur de pizzas… je ne l’ai pas tué par simple ennui, ce pauvre type ! Je l’ai flingué parce que cela me faisait plaisir ! Oui… c’est vrai… j’avais prémédité mon coup ! Ce jour-là, il fallait absolument que je me défoule sur quelqu’un… et… pas de bol, ce fût lui !
Elle :
— Par plaisir… ?! Vous l’avez dégommé parce que cela vous donnait du plaisir ?! Mais vous êtes encore plus dingo que je ne le croyais ! Vous êtes un très grand malade, mon pauvre vieux ! Va vraiment falloir vous faire soigner… et rapidement même !
Moi (à mi-voix) :
— Mais, c’est exactement ce que je fais, Isabelle… je me soigne… oui, je me soigne, voyez-vous… c’est bien la principale raison pour laquelle j’écris des livres ! Tous les jours… un paragraphe ou deux… parfois même un peu plus, tout dépend de mon humeur…
Elle (passant du coq à l’âne) :
— Et pourquoi m’avez-vous choisi blonde aussi… ?! Vous avez peut-être imaginé que cela serait beaucoup plus facile de m’embobiner avec toutes vos histoires ?! C’est navrant d’être lâche à ce point ! Et vous n’en avez pas marre aussi des clichés à deux balles ?! Blonde ! Tiens… vous savez ce qu’elles vous disent les blondes, mon cher… eh bien… elles vous…
Moi (et le courroux qui me gagne) :
— Stop ! Oui, stop ! Cela suffit maintenant, Isabelle ! On arrête tout ! Et on va reprendre calmement tous les deux parce que je crois que ça dérape un peu trop, là ! Certes, vous êtes blonde, et vous avez les yeux bleus, et puis vous êtes aussi particulièrement bien foutue, très bien, alors oui, tout cela est uniquement parce qu’il me convient de vous voir de cette façon ! Aussi ne cherchons pas plus loin, s’il vous plaît ! Et puis après tout, je crois que vous n’avez absolument aucune raison valable de vous plaindre, vous pourriez très bien être l’un de ces malheureux laiderons abjectes et sans aucun caractère qui traînaillent dans la plupart des romans à l’eau de rose !
Elle :
— Ah… ainsi, voilà donc l’opinion que vous vous faites vraiment des femmes en général ?! Elle se résumerait à de simples détails d’ordre esthétique, ou peut-être même purement cosmétique ?! Soit belle et tais-toi, en somme ! Ah ! Elle est charmante, votre vision du Monde !
Moi :
— Mais non ! Justement, vous n’avez rien compris, je ne veux surtout pas que vous vous taisiez, ma petite ! Bien au contraire, parlez-moi, parlez-moi donc ! Et posez-moi des questions, des tonnes de questions ! Je n’attends plus que cela de vous maintenant !
Elle (changeant subitement de ton) :
— Alors… comme ça… vous trouvez que je suis bien foutue… ?! Mais, est-ce que ça au moins, c’est bien vrai… ?!
Moi (profitant de l’aubaine qui se présente) :
— Mais bien sûr que c’est vrai ! Pourquoi vous mentirai-je ?! Vous êtes même une sacrément belle fille, Isabelle ! je vous l’assure, vous êtes magnifique !
Elle (ouvrant (enfin) son petit carnet de notes) :
— Bien… et votre enfance, alors… ? Si nous parlions un peu maintenant de votre enfance, Ernest ! J’ai cru deviner que cela n’avait pas été très folichon folichon ! Vous n’avez pas été un enfant facile à élever à ce qu’il parait… ?
Moi (tombant des nues) :
— Comment ? Mais… qui donc a bien pu vous raconter ça… ?! Ah, mais si, je vois… je vois très bien même… c’est ma mère… ?! C’est bien elle, hein… ?! Je suppose qu’il n’y a pu y avoir qu’elle pour vous raconter toutes ces sornettes sur moi !
Elle :
— Absolument pas ! Je n’ai jamais parlé de ma vie à votre mère ! Il s’agit seulement d’une évidence qui saute aux yeux en parcourant votre manuscrit… vous n’avez certainement pas eu une enfance heureuse, il suffit de savoir vous lire entre les lignes pour l’imaginer sans peine…
Moi :
— Ah… voilà ! je le savais… vous l’avez lu !
Elle :
— Mais évidemment, que je l’ai lu votre satané livre ! Ne pas le faire aurait été une faute professionnelle impardonnable de ma part il me semble, non ?!
Moi :
— Je le savais ! Oui, je le savais ! Et cela vous a plu… ?!
Elle :
— La question n’est pas là pour l’instant ! Que cela m’est plu ou pas n’a vraiment aucune importance, Ernest ! Si je suis là aujourd’hui, c’est uniquement pour vous interviewer et rien de plus ! Alors… cette enfance malheureuse, qu’en est-il exactement… racontez… !
Moi :
— Mais si… allons, dites moi ! Je vous en prie… comment avez vous trouvé… ?
Moi :
— Non ! que je vous dis ! Cela n’a vraiment aucun intérêt ! Je suis là pour travailler, pour informer mes lecteurs qui désirent vous connaitre un peu mieux, et certainement pas pour vous passer de la pommade durant une heure !
Moi :
— Ah… j’en étais sûr ! Si vous dites cela, c’est donc que mon livre vous a plu ! Vous venez de vous trahir, ma chère ! Alors, dites-moi… qu’est-ce qui vous le plus surpris dans cet ouvrage : le style, l’histoire, la manière dont se déroule l’intrigue… ou bien, mes personnages, peut-être… ? Oui je suis certain que ce sont surtout mes personnages qui vous ont intéressés… ne sont-ils pas attachants pour la plupart… ?! Tenez, cette Madeleine, par exemple… n’est-elle pas drôlement sympathique, ma petite Madeleine… ?!
Elle :
— Bon… revenons plutôt à cette enfance… pour votre mère, très bien… j’ai compris, n’en parlons plus ! Mais, votre père… ? Parlez-moi donc maintenant de votre père… quels étaient vos rapports avec votre père ? Extrêmement conflictuels, je suppose… n’est-ce pas, Ernest… ?
Moi :
— Ce n’est pas bien du tout ce que vous faites là, Isabelle… ! Non, pas bien du tout ! Je ne vous demandais pas grand-chose finalement… juste de me dire si cela vous avait plu…
Elle (impatiente) :
— Bon… j’attends… votre père… ?
Moi (écœuré) :
— … Oui, quoi ? Quoi, mon père ?! Qu’est-ce que vous voulez que je vous raconte sur mon père ?! Mais évidemment que c’était extrêmement conflictuel avec lui !
Elle :
— Ah, ben voilà… j’en étais persuadée !
Moi :
— Alors pourquoi me le demander si vous le saviez déjà ?! Pourquoi poser une question dont on connait déjà la réponse ?! Vous m’ennuyez…
Elle :
— Je voulais simplement l’entendre de votre propre bouche !
Moi :
— Laissez-moi vous dire que vous êtes vraiment une drôle de journaliste, ma chère ! Tiens, au fait, c’est quoi déjà ce canard pour lequel vous bossez ?
Elle :
— … France-Brocante…
Moi (interloqué) :
— France-Brocante… ?! Mais vous vous foutez de moi ou quoi… ?! Vous m’apprenez ainsi que vous venez m’interviewer ici, m’agresser, devrais-je plutôt dire… ! tout ça pour le compte d’une vulgaire revue à la con sur la brocante… ?! Non, mais, qu’on me pince, je rêve tout éveillé, là… ! Oui, je rêve !
Elle :
— Apprenez donc, mon cher ami, que les passionnés de vides-greniers peuvent également être des gens qui s’intéressent à la littérature… ne soyez donc pas si sectaire, Ernest Salgrenn ! Ouvrez donc un peu plus votre esprit et élargissez votre vision des choses !
Moi (ironique) :
— Tiens, vous pourrez toujours leur raconter qu’adolescent je collectionnais les timbres-postes ! Je suis certain que cela va beaucoup leur plaire !
Elle :
— Mais oui… certainement… merci pour cette anecdote ! Je le note ! Une seconde, vous n’aviez pas terminé concernant votre père… un rapport très conflictuel, disiez-vous… ?
Moi (tout en m’imaginant en couverture de France-Brocante du mois prochain) :
— … En tout cas jusqu’à l’âge de mes quinze ans environ… ensuite, il est vrai que cela c’est un peu arrangé entre nous…
Elle (curieuse) :
— Comment ça, cela c’est arrangé… ?!
Moi :
— Oui… notre relation père-fils a évoluée de façon très positive dès le jour même où il a pris la décision de se jeter sous un train !
Elle :
— Ah, mince… ! je ne savais pas… me voyez confuse… absolument désolée, Ernest !
Moi :
— Y’a pas à être ennuyée comme ça, ma petite ! Après tout, lorsqu’on a une vie totalement inintéressante, n’est-il pas préférable qu’elle soit la plus courte possible ?! J’ai toujours pensé que mon père avait fait le bon choix !
Elle :
— Mais, c’est carrément horrible ce que vous me dites là… !
Moi :
— Et ce n’est pourtant que la vérité ! Ne vouliez-vous pas justement tout à l’heure que je vous dise la vérité ?! Hé bien, voilà, je vous la sers sur un plateau d’argent, cette vérité… elle est que mon père, je vous le répète une nouvelle fois, ma très chère Isabelle, a eu une excellente idée de se suicider parce que, finalement, cela arrangeait bien tout le monde, et moi le premier !
Elle :
— … Vous êtes ignoble ! Un monstre, voilà ce que vous êtes en réalité !
Moi :
— Merci… vos compliments me vont droit au cœur !
Elle décroise les jambes…
— Ah… enfin… ! Je me demandai bien si vous alliez le faire à un moment !
Elle :
— Quoi… ? De quoi parlez-vous… ?
Moi :
— Vos jambes… j’avais fini par croire que vous n’alliez jamais les décroiser ! J’attendais cela avec beaucoup impatience depuis le début de notre entretien… cela n’est pas très conseillé pour votre circulation du sang de rester comme cela si longtemps, les gambettes croisées !
Elle :
— … Ma circulation du sang… ?! Elle a bon dos, tiens, ma circulation du sang ! Avouez plutôt que ce sont surtout mes cuisses que vous vous désespériez d’apercevoir avant la fin de cet entretien ! Non seulement vous êtes un ignoble type, Ernest Salgrenn, mais de surcroît vous êtes un véritable obsédé sexuel ! Ignoble saligaud ! Honte à vous !
Moi :
— … N’exagérez-vous pas un peu… ? Je me demande bien quel mal y aurait-il donc de ma part à désirer votre bien, ma chère… et uniquement votre bien, je vous l’assure… voilà, alors que je vous parle, avec raison, il me semble, d’hygiène de vie et du bien-être de vos vaisseaux sanguins, mais aussi lymphatiques, que vous… vous… oui, c’est bien de vous dont je parle, et ne faites pas ses yeux de merlan frit, s’il vous plaît, car je vous le répète c’est bien de vous dont il s’agit ici, ma chère ! Vous, donc, petite demoiselle effrontée qui n’ayant apparemment aucun sens de la mesure, ni le moindre discernement, vous… hé bien, vous là même devant moi… jambes décroisées et très légèrement entre-ouvertes… vous avez l’audace de me parlez froidement de sexe… de sexe, Isabelle… oui, j’ai bien dit de sexe ! Aurais-je donc tout entendu cette fois avec vous, ou bien faut-il encore que je m’attende à d’autres inepties de votre part, et qui soient, on ne peut que le craindre j’imagine, toutes aussi grossières et malvenues que celle-là ?! Mais, que me préparez vous donc encore, Isabelle… ?!
Elle :
— Wouaah… ! Bravo ! Là, j’avoue que vous m’impressionnez ! Cette facilité que vous avez à retomber sur vos pattes à chaque fois ! Du grand art lyrique, Néness ! Dans le genre, vous êtes sans conteste le champion toutes catégories ! Alors, que dire après ça, je me le demande bien… ?!
Moi (vexé grave) :
— Hé bien, vous savez quoi… ne dites rien ! c’est peut-être mieux ainsi après tout ! Oui, c’est ça, taisez-vous donc si vous ne savez plus quoi dire !
Elle :
— Vous n’allez tout de même pas vous mettre à bouder… ?!
Moi (me levant de ma chaise) :
— Bon, l’heure de la visite a passé, je crois… voyez le gardien est déjà là… j’entends les clés dans la serrure… à une prochaine fois… peut-être… et bien le bonjour chez vous… !
Le gardien ouvre la porte et je le suis sans me retourner, et c’est beaucoup mieux ainsi… And the thrill is gone… Et le frisson est parti…
Deux jours plus tard.
Le gardien (à la porte de ma cellule) :
— Elle est là…
Moi (couché en travers de mon lit de fer) :
— Hein ? Qui ?
Le gardien :
— Vot’ copine, la journaliste ! elle est revenue et elle veut vous voir !
Moi (ne bougeant pas d’un poil) :
— Ben non, j’irai pas… ! Dis-le lui donc de ma part, le maton… je ne veux pas la voir ! Plus du tout envie de lui parler, à celle-ci !
Le gardien :
— Comme vous voudrez, mais je commence à bien la connaître, cette fille, elle ne partira pas tant qu’elle ne vous aura pas vu ! Ça, c’est du garanti sur facture !
Moi :
— Et que veut-elle encore de moi… ?! Je lui ai tout dit ! Elle n’a plus rien a apprendre, elle sait tout maintenant !
Le gardien :
— Vous êtes vraiment sûr de vous… ?
Moi :
— Oui ! Dites-lui de s’en retourner chez elle… je veux rester seul maintenant !
Le gardien (faux ami de première classe) :
— … C’est bête… elle avait un cadeau pour vous…
Moi (me relevant sur mes coudes) :
— Attendez… un cadeau… ?! Comment ça, un cadeau ? Qu’est-ce que c’est que cette affaire ? Et de quel droit m’apporte-t’elle un cadeau ici, celle-là ?! Quel manque évident de savoir vivre !
Le gardien :
— Bon… décide-toi maintenant, le scribouillard ! j’ai pas que ça à faire, moi ! Alors, on y va ou pas ?
Moi :
— Et il ressemble à quoi, ce cadeau ?
Le gardien :
— Mais, je n’en sais rien, moi… j’l’ai pas vu !
Moi (m’asseyant au bord du lit qui couine) :
— Comment ça ? vous avez bien du la fouiller à l’entrée, nom d’un chien ?! Ne me dites pas que vous ne fouiller plus les visiteurs maintenant ?! C’est marrant, mais j’ai l’impression que depuis quelques temps ça devient un peu le foutoir dans cette baraque !
Le gardien :
— Évidemment qu’on l’a fouillé, la petite ! Tu m’étonnes, John ! Une gamine aussi gironde… et même plutôt deux fois qu’une !
Moi (debout sur mes pattes maintenant) :
« OK… c’est bon, on y va ! mais, je vous jure qu’elle va m’entendre, cette garce… !
Le gardien :
— Tu viens pas de dire que t’avais plus rien à lui dire ?! Et voilà maintenant qu’elle va t’entendre ?! T’es pas très logique, mon pote !
Moi (mais il fallait bien que ça sorte un jour) :
— … Et toi, mon salaud de vicelard, tu crois peut-être que t’es logique lorsque tu me reluques le fondement en profondeur trois fois par jour ?! Bon, allez, hop ! assez discuté comme ça maintenant… allons-y vite !
Arrivé au parloir, elle est bien là…
Moi (tout de suite) :
— Vos yeux… ?! Mais… bon sang… qu’est-ce que vous avez fait à vos yeux… ?! Ils sont devenus verts !
Elle :
— J’ai mis des lentilles de contact ! Vous voyez, Ernest, vous n’êtes pas le seul à pouvoir vous permettre de travestir la réalité du matin au soir !
Moi :
— Des lentilles… ?! Vous n’aviez pas le droit ! Qui vous a donc autorisé à faire ça ?!
Elle :
— Vous continuerez toujours à m’étonner, Ernest ! Je ne pensai vraiment pas que la première chose qui attirerait votre attention aujourd’hui serait le changement de couleur de mes yeux !
Moi :
— Ah bon… ? Parce que vous croyez peut-être que je ne l’ai pas vu aussi, votre mini-jupe ! D’ailleurs, n’est-elle pas un peu courte tout de même pour des visites en prison… ?!
Elle :
— … Je ne pensai pas à ça non plus, voyez-vous ! Je pensai plutôt à ma coiffure !
Moi :
My God… ! Mais… mais qu’avez-vous fait, là aussi ?
Elle :
— Holà ! je peux vous assurer que votre sacré bon Dieu n’a rien à voir là-dedans, Ernest ! J’assume mes choix, moi ! Alors ceci n’est qu’une simple initiative personnelle !
Moi :
— Brune… ! Brune aux yeux verts ! C’est la meilleure de l’année, celle-là !
Elle :
— Oui, et alors… ? Où est le problème, mon vieux… ?! Je ne vous plaît peut-être pas comme ça ?
Moi :
— … Vous… vous… tiens… vous m’emmerdez vraiment, Isabelle… !
Elle :
— Ah… je le savais bien que cela vous ferait plaisir !
Moi :
— Non ! Certainement pas ! Vous m’avez trahi Isabelle !
Elle :
— Hé ben voilà… c’est dit ! Alors… quoi de neuf, depuis l’autre jour ?! Ça roule toujours pour vous ?! On s’est fait des nouveaux copains, peut-être ?!
Moi :
— Qu’est-ce que ça peut bien vous faire ?! Pourquoi êtes-vous revenue ? On s’était tout dit, il me semble bien !
Elle :
— Oh, je ne crois pas, non ! Et puis, j’ai un petit cadeau pour vous, et je suis certaine qu’il vous fera plaisir… tenez, ouvrez-donc… !
Elle me tend un petit paquet très bien emballé dans du papier kraft, avec un ruban rouge tout autour, et une jolie étiquette avec dessus, en lettres d’or, mon prénom, Ernest…
Moi (gros rancunier) :
— Merci, c’est gentil mais fallait pas ! le mérite sûrement pas !
Elle :
— Allez, ouvre-le plutôt, au lieu de nous faire ta chochotte !
Moi (de surprise en surprise) :
— Ah bon ? parce qu’on se tutoie maintenant… ? alors c’est nouveau, ça aussi ?! Et puis-je savoir en quel honneur on se tutoie tous les deux ?!
Elle :
— En l’honneur qu’on se connait peut-être un peu mieux maintenant ! Bon, alors, tu vas l’ouvrir ton paquet, dépêche-toi, sinon, je vais finir par le faire moi-même !
Moi :
— Vous êtes de plus en plus impertinente, Isabelle !
Elle (un doigt s’entortillant dans les cheveux) :
— Ouais… et de plus en plus belle !
Moi (comme une image figée dans le cortex) :
— Cette mini-jupe en cuir, c’est votre idée aussi… ?!
Elle :
— Bien sûr ! Tu n’aurais peut-être pas osé, toi… parfois, je te trouve tout de même un peu trop timoré de ce côté-là… tu les aimes, mes jambes… ?!
Moi (tout en déchirant le papier kraft) :
— Oui… évidemment… elles sont superbes ! Vous devez certainement faire beaucoup de sport pour avoir de telles guiboles, non ?!
Elle :
— Toujours sur la pointe des pieds lorsque je monte un escalier ! Et c’est bon pour le fessier aussi !
Moi :
— Et pour les cuisses… je suis certain que vous avez un truc aussi… ?!
Elle :
— Oui… La bicyclette ! je grimpe pas mal de cols à vélo ! le Mont Ventoux, tu connais… ?! je me le tape deux fois par semaine en ce moment ! Et toujours par Bédoin, c’est le côté le plus difficile ! des passages à dix-huit pour cent !
Moi (découvrant enfin l’objet emballé…) :
— Un livre…
Elle :
— Ouais… bonne pioche !
Moi :
— Mon livre… ! Merde… mais c’est mon bouquin… « Le coup du Dodo » ! Quelle surprise ! Alors comme ça, ils l’ont déjà imprimé… ?! C’est vachement rapide quand même ! Je n’aurai pas cru qu’ils mettraient si peu de temps ! Oh ben, merde alors ! C’est lui… c’est mon bouquin que je tiens entre mes mains… !
Elle :
— Alors, heureux, pépère… ?!
Moi (très ému) :
— … Je n’arrive pas encore très bien à réaliser… c’est tellement incroyable !
Elle :
— Tu vas pas chialer tout de même ?! Allons, ressaisies-toi vieille branche !
Moi (flottant sur un petit nuage tout en couleurs) :
— Tu ne peux pas comprendre, Isabelle… cela faisait tellement longtemps que je l’attendais, ce moment-là…
Elle (les pieds encore sur terre) :
— Et ils m’ont affirmé que ça allait sûrement faire un carton ! Tu sais, ils ont l’habitude, ils ne se trompent pas souvent, alors je crois qu’on va leur faire confiance !
Moi :
— Tu sais… cela fait bien longtemps que je ne fais plus confiance à personne !
Elle :
— C’est bien dommage…
Moi (feuilletant mon « Dodo ») :
— Bon… va falloir que je le relise tout de suite ! je dois vérifier s’ils n’ont pas fait d’erreur… c’est important… pas de coquille et chaque mot doit être bien à sa place !
Elle :
— Mais ce sont des pros tout de même… te fais donc pas de bile, Ils connaissent bien leur métier, ces gens-là ! Allez, on se décontracte maintenant… je te sens beaucoup trop tendu… Relax man !
Moi (reprenant mes esprits) :
— Bon… et cet article sur moi… t’en es où… ?
Elle :
— Bientôt terminé ! Il me manque juste deux ou trois petites choses… par exemple, tu ne m’as absolument rien dit sur ta scolarité, Ernest…
Moi :
— Parce qu’il n’y a rien dire !
Elle :
— Qu’est-ce que tu me chantes… comme tout le monde t’es forcément allé à l’école primaire, au collège, et peut-être même ensuite, au lycée… ?!
Moi :
— Oui, mais il n’y a vraiment rien d’intéressant à raconter sur cette période de ma vie… tu vas pouvoir faire l’impasse là-dessus dans ma bio, ma petite chérie… !
Elle :
— Mais, il n’en est pas question ! mes lecteurs voudront savoir !
Moi :
— Hé, bien, s’ils veulent vraiment savoir dis leur donc que je m’y suis emmerdé à l’école ! Voilà, dis-leur ça, après tout : Ernest Salgrenn s’est emmerdé comme un rat mort à l’école !
Elle :
— Mauvais élève… ?
Moi :
— De mauvais professeurs surtout !
Elle (réfléchissant deux secondes) :
— Bon… OK… je sais ce que je vais écrire dans mon papier… j’écrirai que tes professeurs n’ont pas su malheureusement déceler en toi cet extraordinaire potentiel sous-jacent qui ne demandait pourtant qu’à s’exprimer pleinement en une multitude éblouissante d’éclats d’un génie sans cesse renouvelé… ! Est-ce que cela te convient… ?!
Moi (un peu sonné) :
— Parfait !
Elle :
— Et ensuite… tu bossais dans quoi… ? c’était quoi ton boulot avant de te consacrer uniquement à l’écriture ?
Moi :
— Je ne sais pas moi, tu sais, j’ai essayé tellement de choses dans ma vie ! on a qu’à dire thanatopracteur, tiens… ! C’est pas mal, ça, non ? Thanatopracteur ! c’est cool et pas du tout banal comme job, je suis persuadé que ça va leur plaire du tonnerre !
Elle :
— Oh, Madonne ! Mais, c’est bon ça… ! c’est même très très bon ! voilà bien une chouette anecdote qui va faire kiffer mes lecteurs ! Ils raffolent du morbide, ces imbéciles !
Moi (dictionnaire ambulant) :
— Le macabre, tu veux dire… le morbide, c’est rapport à la maladie… le macabre est donc plus approprié dans le cas présent… toujours important d’employer les mots justes, Isabelle…
Elle :
— Macabre, funeste, ou morbide… ne t’inquiètes pas, ils ne feront pas la différence ! si les journalistes avaient l’habitude de faire dans la subtilité cela se saurait depuis le temps, non ?! le principal, vois-tu, est de marquer les esprits avec des mots chocs ! Morbide… mort… ça matche fort ! Et puis, tiens, je rajouterai également deux ou trois photos pleine page de magnifiques cadavres en décomposition ! Plus c’est dégueulasse et trash, et plus ça a des chances de plaire !
Moi :
— Et j’ai un titre tout trouvé… « Ernest Salgrenn, un écrivain fabuleux qui parle à l’oreille des morts » !
Elle :
— Ouais… c’est très bon, ça aussi… ! Vraiment… t’es trop génial, Ernesto !
Moi :
— Je ne te le fais pas dire !
Elle :
— À ce propos… en parlant de photos… je me suis faite accompagner par un photographe aujourd’hui, il attend derrière la porte…
Moi :
— Des photos ? des photos de moi ? Ici… ? Mais, le cadre n’est pas tellement approprié ! et puis je ne me suis pas rasé depuis plus d’une semaine !
Elle :
— Pas de soucis, bien au contraire ! Cela accentuera ton côté bad boy ! C’est nickel, ça aussi, pour ta popularité !
Moi :
— Si tu le dis… faisons-le entrer alors…
Elle se lève (je mate son cul), se dirige vers la porte, l’ouvre, un jeune type, avec un appareil photographique Nikon autour du cou, entre dans la pièce…
Moi (pas encore tout à fait folle la guêpe) :
— Vous… vous… mais je vous reconnais… !
Elle (très satisfaite de son petit manège) :
— Hé, oui… c’est bien lui… ton petit livreur de pizzas !
Moi :
— Salope !
Elle :
— Merci ! Tu ne croyais tout de même pas que tu allais pouvoir t’en tirer comme ça… !
Clic clac Kodak ! éclairs de flashs. Je ne vais pas tarder à tomber sous la mitraille…
Moi (un début de migraine ophtalmique) :
— C’est pas réglo du tout, cette façon de faire… tu n’avais pas le droit ! c’est illégal !
Elle :
— Illégal ?! Simple retour de manivelle, dirons-nous plutôt ! Il a une belle petite gueule, tu ne trouves pas… ?! Viens, approche d’un peu plus près, mon chou, et montre donc ta jolie frimousse à ce brave monsieur Salgrenn… !
Moi :
— Salope !
Elle :
— Déjà dit, je crois ! Va falloir que tu penses à te renouveler, mon cher… !
Moi :
— Tu as couché avec lui ? T’as couché avec lui, hein ? j’en suis sûr, je le sais… !
Elle :
— Pas encore… mais, ça ne saurait tarder !
Moi :
— Pourquoi joues-tu à ce jeu-là ? Ça t’amuse donc de me faire souffrir ? Mais qu’est-ce que j’ai donc fait pour mériter ça ?
Lui (le photographe de mes deux) :
— Je crois qu’elle vous aime… tout simplement…
Moi :
— Ta gueule, toi ! Il me semble ne pas t’avoir autorisé à m’adresser la parole ! D’ailleurs, depuis quand les macchabées ont-ils le droit de se mêler des affaires des vivants ?! Et vlan !
Elle (se lovant contre ce petit con) :
— Pour un macchabée, je le trouve drôlement sexy, moi !
Moi (détournant le regard) :
— Gardien ! Ohé, Gardien ! je veux sortir d’ici tout de suite… ! il est passé où encore ce gros lard ?!
Elle :
— Et voilà… monsieur se débine une fois de plus ! Un écrivain, ça ? Une sacrée lavette, oui… !
Moi (piqué au vif) :
— Non, je ne me débine pas ! Je ne veux pas voir ça, c’est tout ! Tu vas beaucoup trop loin, là ! Un personnage de roman se doit de garder une certaine mesure dans son attitude ! Même chez moi ! Je n’aurai jamais écris une scène pareille, vois-tu… jamais ! j’ai toujours eu le sens de la retenue pour mes personnages car il y a parfois des lignes à ne pas écrire, ma chère !
Elle (indiquant d’un geste au photographe, la sortie) :
— Bon, allez, ça va… faisons la paix… je m’excuse… tu entends, je m’excuse… reviens t’asseoir, s’il-te-plaît…
Moi (attendant que le jeune décédé sorte tout à fait) :
— … c’est vrai, ce qu’il a dit… ?
Elle (feignant de ne pas comprendre, mais fallait s’y attendre) :
— Quoi donc… ?
Moi :
— Ben, que tu m’aimes… ?
Elle :
— Ça se pourrait bien… ce n’est pas impossible… ! il n’est pas faux en tout cas de penser que je ne sois pas totalement insensible à ton charme… !
Moi :
— Une litote ! C’est merveilleux ! Voilà que mademoiselle se prends pour Chimène, maintenant ! J’aurais vraiment tout vu et tout entendu, aujourd’hui ! Je suis épuisé, tiens ! Trop, c’est trop !
Elle :
— Bon… on y va ?
Moi :
— Où ça… ?
Elle :
— Ben, chez nous, pardi ! Ne crois-tu pas que nous avons perdu assez de temps comme ça tous les deux ?! Un taxi nous attend, tu vois, j’ai tout prévu !
Moi :
— C’est fini, alors ? La vie réelle reprend déjà son cours monotone… je n’ai pas vu le temps passer, cette fois-ci…
Elle :
— Oui… mais après tout… rien, ni personne, ne t’empêche d’écrire la suite demain… allez, viens, rentrons maintenant, mon chéri…

Texte et photographie Ernest Salgrenn. Avril 2022. Tous droits réservés.

Concevoir un site comme celui-ci avec WordPress.com
Commencer