FESTIVAL.

Cannes. Festival du film. Le soixante-dixième du nom… mais pour moi, c’est le premier.
Il pleut des cordes. Vraiment pas de chance, d’avoir un temps aussi pourri pour une première montée des marches… mes souliers vernis prennent l’eau, mon smoking Smalto (de location) sent le chien mouillé (ou le vieux torchon) et pour clôturer le tableau : j’ai la goutte au nez ! Flûte ! Dans la précipitation, je n’ai même pas pensé à prendre un mouchoir… la sympathique Catherine (Deneuve) m’en file un en loucedé, tiré de sa pochette Hermès à cinq mille balles (et un peu plus). Je vais le conserver ce tire-jus, cela me fera un joli souvenir à montrer plus tard.
— Ernest… ! Ernest… enlevez vos Ray-Ban pour les photos ! m’apostrophe l’un de ces crétinos de photographes (attitrés) aux gueules avinées de maquereaux albanais.
Non ! Certainement pas, Duglandu ! Apprenez que je n’enlève jamais mes lunettes de soleil ! J’ai les mirettes hyper sensibles, elles craignent la lumière des projecteurs et si je ne fais pas gaffe cela me file à chaque fois de terribles migraines ophtalmiques…
Mon film en compéte au festival de Cannes… qui l’aurait cru ? Vous ? Pas moi, en tout cas !
Je prends la pose, un bras autour de la taille de Virginie (Efira). Rafale de flashs… Elle sent très bon, elle…
C’est moi qui ai soufflé son nom aux producteurs (Samy et Davy) pour tenir le rôle de Zoé. Je ne voyais qu’elle dans ce rôle clé. Peut-être l’ai-je même écrit pour elle, ce personnage. Mais sans vraiment le savoir finalement car ce n’est qu’une fois mon bouquin achevé que cela est devenu comme une réelle évidence. Sachez tout de même, pour la petite histoire cinématographique, qu’elle (Ninie) a renoncé au tournage du prochain « James Bond » pour être dans mon film ! Elle sent vachement bon mais elle a aussi beaucoup d’intuition, cette gamine !
Gérard (Depardieu) tente de lui mettre une main au fesses tandis qu’on commence à monter les marches. La vieille école… dont il resterait bien encore quelques survivants !
Oui, lui aussi est dans mon film. Cette fois-ci, c’est Samy et Davy (les deux prods, pour rappel) qui ont insisté pour que ce dernier fasse partie de la distribution. « Hyper bankable » (du verbe to bank : convertir en argent), l’horrible jojo ventru, ont-ils assuré… Pour tout dire, je n’avais très honnêtement aucun argument valable pour refuser…
Ceci dit, in final, je l’admets : c’est un bon acteur, notre gros Gégé national. Un peu chiant à la longue avec ses tonnes de blagues salaces à deux balles et ses concours de pets foireux, mais un très bon acteur.
Tout en grimpant l’escalier, je remarque que la moquette rouge nous fait de sacrés plis par endroits. J’ai toujours eu le sens de l’observation, même quand, comme ici, les circonstances ne l’exigent pas.
Treizième marche. Arrêt et demi-tour pour une dernière photo du groupe. Romain (Duris) en profite pour me souffler à l’oreille « Tu vas voir, mon vieux, je suis certain qu’on va la décrocher, la palme d’or ! ». Optimisme, quand tu nous gagnes…
Avec Roro ça a tout de suite matché entre-nous. Il est vraiment cool, le Roro. Et le rôle du petit Jésus lui va comme un gant. Plus vrai que nature en petit Jésus…
La treizième marche… mais pourquoi celle-là et pas une autre… ? La douze aurait très bien pu faire l’affaire, non ? Ne suis pas superstitieux, enfin, pas trop, mais tout de même…
Gégé nous lâche un vent. Un bien balèze, dont il a le secret, et qui fait du bruit. Tout le monde se marre (La Deneuve, Ninie, Roro, Niney et Jeannot (Dujardin). Sauf bibi… parce que voilà que je pense encore à ce numéro treize, c’est plus fort que moi !
On repart. Le président (Thierry) nous attend tout là-haut et semble un peu s’impatienter. On a pris du retard probablement…
Soixante mètres de moquette rouge, quatre mille huit cents photographes, soixante dix films projetés en douze jours, cinq semi-remorques de champagne consommé dans le même temps et… ces fameuses vingt-quatre marches à gravir… ! Vingt-quatre, ce n’est pas beaucoup finalement, on pense souvent qu’il y en a plus que ça.
Je connais tous les chiffres par cœur… c’est un peu ma marotte, les chiffres. Mon film, par exemple, a coûté plus de sept millions d’euros au total. Hors cachets des comédiens, bien entendu, sachant que La Deneuve et Gégé nous en coûtent autant rien qu’à eux deux…
Enfin, il parait que c’est une vraie réussite, ce putain de film (MON putain de film !), qu’il va faire un carton et qu’on va vite rentrer dans nos sous. Il vaudrait mieux d’ailleurs parce qu’à la vérité je n’ai plus un seul radis sur ce coup-là. Plus rien, nada, zéro zeuros en banque ! Non, pardonnez-moi, je me trompe, pas zéro, beaucoup moins que ça… on en serait à moins cent vingt-cinq mille d’après le coup de fil de mon banquier pas plus tard que ce matin ! J’ai même du me faire avancer par Josette (mon assistante) les deux cent balles demandées pour la caution du smoking… Je suis ruiné. Voilà, c’est ça le mot exact, ruiné… !
Vingt-deux, vingt-trois, et la petite dernière enfin… vingt… merde… Les pieds dans le tapis… ! Déséquilibré, je m’agrippe à la robe de Ninie (Fifira), Jeannot (beau gosse) tente bien de me rattraper au vol (sans succés), tandis que Gégé en lâche une de surprise, La Deneuve, toujours très pro quelques soient les circonstances se tourne immédiatement du côté de son meilleur profil, quant à mon Roro (ou Dudu, je ne sais plus… ) pas le temps de voir parce que je suis déjà parti vers le bas… la chute… le drame de la gravité… le couac burlesque… la glissade sur moquette… d’abord un salto arrière, puis un autre, mais après j’avoue que je n’ai plus compté…
Je me relève… en petits morceaux. Pas le temps de ramasser mes lunettes qui ont volé que des dizaines de flashs crépitent déjà… J’en prends plein la poire pour pas un rond… les hyènes… !
Dudu Romain (ou Roro Duris…), bon camarade, redescendu en quatrième vitesse est déjà à m’aider…
— Génial… ! T’es vraiment génial, mon pote ! Putain, cette cascade de dingo ! Si avec ça on décroche pas la palme… j’me fais curé !
— Hein… ? Dis, t’aurais pas un paracétamol… ?
— Quoi… ?
— Un cacheton de Doliprane… je crois bien que je commence à avoir la migraine…

Texte et photographie : Ernest Salgrenn (tous droits réservés et enregistrés). Mai 2023.

11 Replies to “FESTIVAL.”

  1. Bin… c’était le moment mon ami Ernest. Bon retour!
    Faut dire que j’avais déjà contacté la Gendarmerie nationale, les CRS, la Guardia Civile, le FBI, même la Stasi ou ce qui en reste, pour essayer d’obtenir une preuve de vie te concernant… oui ce genre de document qu’on me demande chaque année pour continuer à toucher ma maigre retraite.
    La preuve de vie est un document inconnu en Corse ou même les morts votent et dans certains pays du Magreb où ton gouvernement envoie des pensions à des individus probablement incapables de situer la France sur une carte de géographie.

    Bon, j’allais oublier, émotion due à ton retour obligeant, de te féliciter pour ce texte. A+

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    1. Salgrenn, le retour ! Il était* seulement en vadrouille aux quatre coins du globe (oui, n’en déplaisent à certain(e)s : la terre est cubique, j’ai vérifié par moi-même !). Merci l’ami pour tes félicitations devinant pourtant très bien que la plupart des protagonistes de cette histoire (renversante) te sont de parfaits inconnus… (Catherine Deneuve… éventuellement ?!). Bonne journée à vous 2.
      * Alain Delon, sortez de ce corps (athlétique, lui) !

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      1. Faut que je fasse gaffe… car tu sembles me trop bien connaître!
        C’est vrai que les noms cités me sont parfaitement inconnus, bien que grâce au contexte je subodore qu’il s’agisse de très célèbres acteurs non?
        Je pense que ces jeunots n’étaient pas né alors que voyais le dernier film de mon existence: Il était une fois dans l’Ouest. C’était en 1968!
        Pour Catherine Deneuve, bien vu, mais c’est facile car elle doit être contemporaine de Néfertiti ou de la Pompadour!
        Je connais deux autres noms: Delon et votre Gégé national…
        Faut quand même pas me prendre que pour un abruti hein?

        Amicales salutations depuis le Sud à un peu moins du Sud!

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  2. Dis-donc, Ernest, t’est comme Patoche : t’étais reviendu… Mais te voilà repartout!
    Vous faites une virée à deux dans les îles ? Lire vos textes me manque tant que je viens crier mon désespoir ici… M’entends-tu ? Où êtes-vous ?

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    1. Merci de t’inquiéter ! Tout va bien pour moi. Je bosse sur mon roman tous les jours aussi je n’ai pas trop le temps pour le reste (petites nouvelles sur le blog). Par contre pour Patrick, c’est vrai que cela me fait du souci… je lui ai adressé un email (j’ai son adresse perso) il y a quinze jours et pas de réponse pour le moment… J’espère que ce n’est pas grave. Amicalement, Ernest.

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