Le Pommard m’a tuer !

Ouais, et alors ? J’aime pas le pinard bio ! Il n’a pas de goût ! Je préfère le gros rouge qui tache. Et qui râpe un peu aussi, avec ses vingt-cinq grammes de sulfite au litre. J’suis un dur. Un vrai, un tatoué, un qu’à pas peur d’avoir des trous commac dans l’estomaque… ! Ouais, le pinard bio, j’vous le dis, et bien en face : c’est d’la daube en bouteille !
Moi, j’ai des bras comme vos cuisses, une tête de rhinocéros, et des mains qui broient. Gaffe, les gars ! J’suis pas un tendre pour deux ronds ! J’écrase tout sur mon passage, je pousse fort, je piétine grave si ça remue encore un peu. Alors, j’vous le dis : faut pas me faire chier… moi !
Pas été longtemps à l’école. Juste assez pour comprendre que ça servait à que dalle ! Et puis, faut pas trop m’enfermer entre quat’murs, moi. J’ai besoin de respirer à plein poumons, de m’extérioriser, d’avoir de l’espace, de pouvoir bouger comme j’ai envie. Sinon, je peux vite devenir méchant…
J’suis déménageur de profession. Chez Balthazard et fils. Et c’est un boulot qui me plaît. Surtout quand faut monter des trucs vachement lourds au dernier étage. J’adore quand c’est lourd et que ça doit aller tout en haut. Et l’ascenseur, c’est pas pour moi. Encore un truc de pèdezouilles, les ascenseurs ! L’autre jour, j’me suis farci un piano à queue. Tout seul, comme un grand, et jusqu’au cinquième. Les copains ont dit que j’y arriverai pas. C’est des cons. Ils ne se doutent pas de quoi je suis capable, moi ! Même que la cliente, celle du piano, elle nous a joué un morceau après qu’on ait déballé l’instrument en question au milieu de son salon. C’est du classique, qu’elle nous a dit. Et putain, c’est chiant, le classique ! Ça vous donnerait presque envie de chialer, cette connerie ! Enfin, je dis ça, mais moi j’ai encore jamais versé une larme de ma vie… même si j’ai beaucoup de peine, ça ne vient pas, jamais… je préfère plutôt cogner sur quelque chose ou bien… sur quelqu’un… mais, ça soulage aussi !
Tiens, en causant de ça, l’autre soir, en rentrant du turf, y’a un type en bagnole qui m’a refusé une priorité. Merde ! Les stops, c’est quand même pas fait pour les chiens, non ?! Alors, j’lui ai fait réviser son code de la route à ma manière, à cet abruti, en lui défonçant bien sa gueule à grands coups de tatanes. J’chausse du quarante-sept fillette, ça aide pour les révisions ! «Maman, au secours, maman !» qui geignait, le guignol ! Moi, ma mère, je l’ai pas connu. J’suis un enfant de la Dasse…
À la Dasse, j’me suis pas fait que des copains. Et puis l’ambiance, c’était pas trop ça, non plus. On se faisait vite chier sa race au bout d’un moment ! Alors, je fuguais. J’allais voir les filles dehors. Enfin, ces dames, plutôt. Et elles m’avaient à la bonne, celles-là. Faut dire que j’leur faisais comme une petite distraction dans leur dure journée de tapin. C’est un peu longuet dix heures par jour sur le trottoir. Surtout quand il fait froid. Et du côté de Givet, dans les Ardennes, c’est pas la peine de vous tartiner la tronche de crème le matin pour éviter les coups d’soleil, non, vaut mieux investir dans un pébroc de bonne qualité ! Elles étaient bien sympas, mes putes…
En maison de correction, j’me suis pas fait que des copains, non plus. Et puis les matons y tapaient fort. De vrais brutes. Encore plus qu’à la Dasse. Là-bas, c’est style « Marche ou crève », si vous voyez ce que j’veux dire ! Bon, des mandales, c’est vrai que j’en ai distribué quelques-unes aussi. Faut savoir qu’à quinze ans, j’étais déjà presque bâti comme aujourd’hui. Tout en muscles. Alors, fallait pas trop me chercher des poux dans le chignon ! Des fois, ils se mettaient à cinq ou six pour me maintenir par terre. Sûr qu’ils en ont drôlement bavé avec moi… !
À l’Armée, j’me suis pas fait que des potes, là, non plus. C’est vrai. Je l’avoue bien volontiers. J’en ai cassé du kaki ! Même un capitaine, qui avait pourtant fait l’Indochine en cinquante-quatre. Faut voir comme j’lui ai fait bouffer ses décorations, à çui-ci ! «Maman, au secours, maman»… ! enfin, bref, vous connaissez mieux la chanson maintenant… Finalement, n’ont pas voulu de moi dans les paras, j’aurais bien voulu, moi, mais j’étais trop balèze d’après eux. J’savais pas, mais dans les parachutistes vaut mieux être nain, sûrement parce que ça prend moins de place dans les avions. Alors, m’ont incorporé dans les commandos-marine. Les Fusses-cos, qu’on dit. C’est bien aussi. Enfin, pour ceux qui comme moi aiment la castagne… ! M’ont appris le close-combat pendant les classes. Et puis comment égorger proprement une sentinelle ennemie en arrivant en loucedé par derrière. Et encore plein d’autres trucs qui peuvent toujours vous servir un jour, plus tard, quoi, on ne sait jamais… Bon, après, j’ai surtout fait du trou. Ces cons de militaires, ils ont tendance à vous envoyer au cabanon pour un oui, pour un non. Ils ont leur putain de règlement à respecter. Et la hiérarchie, aussi. Moi, la hiérarchie, elle m’a toujours fait chier. Ça m’file des boutons ! Mais, j’ai l’impression que vous vous en doutiez déjà un peu, non… ?
Après l’armée, comme fallait bien bouffer, j’ai trouvé ce boulot chez Balthazard et fils. J’avais tout à fait le physique de l’emploi, qu’ils ont dit en me voyant arriver. Je reconnais qu’ils avaient pas tort, porter des paquets lourdingues, c’est vraiment l’idéal pour moi. J’suis comme dans mon élément. Et puis, c’est grâce à ce boulot que j’ai rencontré ma moitié…
Suzanne, qu’elle s’appelle. Elle déménageait. On a tout de suite matchés tous les deux. Elle est chouette, ma Suzanne… et douce avec ça. Comme une grosse pelote de laine vierge. Du coup, c’est moi qu’ait vite déménagé ensuite. J’ai quitté mon gourbi minable de la Sonaco pour venir m’installer chez elle. Bon, c’est pas très grand chez nous, mais on n’a pas beaucoup d’affaires, non plus. Alors, du coup, ça compense. Là, elle est enceinte, ma Suzanne. Un garçon, qu’a dit le toubib. Il paraît que ça se voyait bien sur la dernière radio qu’on lui a fait, à Suzanne. Un garçon, c’est bien, non ? Enfin, une fille, ça m’aurait plu aussi, faut pas dire. J’aurais pas fait le difficile pour une fois…
Là, je descend chez le marocain, pour acheter une bouteille. On a décidé de fêter ça, avec Suzanne.
— Comment ça, t’as que du Bio, Rachid ? Tu te fous de ma gueule, ou quoi ?
Après, j’sais plus…

Texte d’Ernest Salgrenn. Avril 2021. Tous droits réservés (texte et photographie).

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