Eden-roc.

Comme tous les ans, je passe mon été à l’Eden-Roc d’Antibes. Du 1er juillet au 31 août. Et toujours la même suite de luxe du troisième étage (celle où feu madame la duchesse de Windsor aimait à séjourner souvent, loin des paparazzis et de l’agitation du monde). Le service y est remarquable, la table succulente, la piscine taillée à main d’homme dans le rocher extrêmement rafraîchissante. On peut y avoir BHL (Bi, pour les intimes…) pour voisin de transat, et je vous laisse imaginer, ce délire de ouf…
Là, je dois vous dire que j’ai une petite manie. Fort amusante au demeurant, vous l’allez voir plus loin. Ce n’est pas pour me dédouaner, mais nous noterons ensemble au passage, que bon nombre d’autres écrivains, possèdent (ou possédaient) eux-aussi, quelques manies plus ou moins originales, histoire certainement de s’aérer un peu l’esprit souvent bien encombré. Hemingway buvait sec, Cocteau, Jean, maraît, et, plus près de nous, Beigbeder, indécrottable philatéliste passionné parmi les passionnés, aime quant à lui lécher le cul de certains spécimens de timbres de sa collection, et plus précisément ceux de Colombie, ceci après avoir découvert fortuitement que la gomme arabique utilisée dans ce pays contenait une proportion non négligeable de cocaïne brute. Bref, je ne suis pas le seul à avoir des petites manies rigolotes !
Donc, pas plus tard qu’avant-hier, comme tous les premiers dimanche suivant mon installation, je me retrouve sur la plage publique de la Gravette, après que mon chauffeur (Raymond) m’y eût transporté (Plus-que-parfait du subjonctif, un temps que les moins de vingt ans ne peuvent connaître, mais qu’il me plaît à employer, juste pour faire le malin et montrer que, oui, j’ai des lettres, moi !). Vêtu d’un simple bermuda à fleurs, d’un tee-shirt « fruit’of zi loume » et coiffé d’un vieux bob « Pastis Ricard » (hérité de mon oncle Robert, demi-finaliste mille neuf cent soixante quatorze du championnat régional de pétanque du Haut-Cambrésis), parfaite panoplie pour passer inaperçu au milieu d’une populace déjà grouillante, je reste ainsi, un long moment, planté comme un gland dans les galets (oui, la plage des Gravettes est en galets), tout à savourer ce merveilleux instant de félicité. Vous l’avez compris, j’aime mater la populace estivale ! Quel plaisir indicible est-ce en effet pour moi, une journée par an (n’abusons pas tout de même des bonnes choses !) de reluquer sans aucune retenue ce petit peuple issu des classes les plus populaires et insignifiantes de notre société. Croyez-moi sur parole, cela vaut très largement un safari-photo en Afrique australe chez les Boshimans, et surtout, cela vous coûte beaucoup moins cher (nonobstant bien sûr le fait que vous pouvez trouver à loger ailleurs que dans un palace cinq étoiles).
D’ailleurs, si la chanteuse Beyoncé (celle qu’a un super boule !) a dit (mais, n’a-t-elle pas dit beaucoup de conneries, finalement) : « Shakira le vendredi, sourira le dimanche ! », ici, sur cette plage des Gravettes, noire de monde dès neuf heures du matin, c’est la fête à Nénesse ! Je jubile ! J’extase ! En un mot, je prends mon panard comme peu souvent m’est donné l’occasion ! Une véritable érection neuronale ! Un magnifique feu d’artifice ethnologique !
Quelques fois, il m’arrive même d’engager une conversation (toute proportion gardée bien entendu avec la définition exacte que l’on trouve dans le dico, au mot conversation) avec l’autochtone des plages publiques… des femelles de préférence, cette catégorie ayant de façon assez générale un vocabulaire plus étoffé que les autres individus, qui sont (mais pas toujours, c’est vrai, mais le plus souvent, dirons-nous) également beaucoup plus poilus.
Parfois, avec un peu de chance, des caissières de supermarchés discounts, bien reconnaissables à leurs ongles longs et vernissés d’une couleur différente à chaque doigt. Car, j’ai un petit faible, je l’avoue, pour ces demoiselles. Elles sont comme du pain béni pour moi, écrivain méticuleux et besogneux, toujours à la recherche de personnages réels plus vrais que nature, ceci afin d’illustrer mes histoires avec un maximum d’authenticité. Il m’arrive même de prendre des notes sur le petit carnet que je conserve dans l’une des poches de mon bermuda à fleurs (que j’ai pris soin de choisir d’au moins deux tailles au-dessus de la mienne, soucis du détail, une fois encore, et que je porte donc ample et peu serré à la ceinture, ce qui me permet ainsi de dévoiler sans pudeur le début de la raie de mes fesses ainsi que le haut de ma toison pubienne foisonnante). Je resterai ainsi des heures à les écouter, mes petites caissières. Des heures, vous dis-je…
Les mioches du peuple ne sont pas pas mal non plus. Une aubaine encore, car tous très mal élevés évidemment, véritable régal de chaque instant pour l’observateur éclairé que je suis. Laissés la plupart du temps sans surveillance par leurs parents respectifs (trop occupés à se dorer la pilule, pour les unes, et à mater le cul d’icelles, pour les autres), bruyants à la limite de l’insupportable (couvrant à peine, c’est moche, le boum-boum obsédant du poste de radio XXL tonitruant de votre (très) proche voisin de serviette, un fan de rap…), chialant, geignant sans cesse (pas mal de méduses, cette année, sur la côte d’Azur, ce qui augmente le phénomène acoustique), s’ébrouant en vous aspergeant d’eau de mer sans aucune vergogne, piétinant consciencieusement votre serviette de bain (que j’ai empruntée à l’hôtel, fort heureusement) à l’envi, déposant parfois dessus avec la négligence toute excusée de leur jeune âge, un papier d’emballage de glace à la fraise (la fraise, ainsi que la framboise, tachent, il faut le savoir), ou de chichis bien gras, achetés à l’un de ces vendeurs ambulants à petite carriole (esclaves estivaux rétribués selon un faible pourcentage sur les ventes inversement proportionnel à leur chance de déclarer dans quelques années un cancer de la peau), ceux-là même qui vous harcèlent en gueulant à tue-tête leur litanie commerciale, du matin au soir. Tout un poème, quoi… !
Quelquefois, et, le remarquai-je bien souvent, juste après le repas de midi que la plupart arrosent plus que de raison (il faut vraiment le voir pour le croire !) de bières chaudes comme de la pisse d’âne marocain, j’assiste, spectateur médusé (!), à une bagarre générale, déclenchée la plupart du temps pour des raisons futiles. Occasion inespérée d’étoffer mon vocabulaire en noms d’oiseaux plus ou moins originaux, m’interrogeant à nouveau sur l’inventivité dont peuvent faire preuve en la matière des êtres pourtant si frustres en apparence ! Une découverte linguistique que je ne raterai pour rien au monde !
Lorsque Raymond (mon chauffeur) vient me rechercher en fin d’après-midi, je suis vanné, épuisé, lessivé, mais heureux aussi… tellement heureux d’avoir eu cette chance de côtoyer pendant ces quelques heures, un monde si éloigné du mien… Alors… Vivement l’année prochaine ! Et bonnes vacances à tous !

Texte et photographie Ernest Salgrenn. Juillet 2022. Tous droits réservés.

14 Replies to “Eden-roc.”

  1. Eh bien, on ne s’emmerde pas à Antibes ! “Name dropping” et tout le tralala. Pas exactement comme ça que ça se passe sur la plage du lac Blouin à Val d’Or en Abitibi, dont l’eau atteint les 18 degrés Celcius vers le 30 juillet. Mais les locaux sont charmants et les locales charmantes dans leurs bikinis en laine d’orignal.

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    1. Dire des méchancetés sur les autres n’est pas du tout le genre de la maison (cela se saurait depuis le temps). D’ailleurs, Beigbeder n’a jamais caché sa passion pour les timbres-poste. Ton lac m’a l’air bien sympathique, il se pourrait bien que j’aille y faire un tour un de ces jours… (cool, le maillot en poils de caribou ! Mais, ça ne gratte pas un peu quand même ?)

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  2. Je jubile! Nous, lecteurs, nous jubilons en partageant ces quelques instants de vie de qui a assez de blé pour se casser les côtes en plein azur sur les galets où se cramer le crâne en se frisant les moustaches! Quel bel été aux petits oignons! Ta faconde me réjouit tant que j’oublie combien la fraîcheur de notre intérieur compense assez le confort de ta villégiature ! Merci pour cette lecture comique!

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  3. L’Eden Roc existe toujours ? Quand j’étais petite, déjà… Bref, j’exerce aussi mon sens critique lors du relâchement des vacances d’été, c’est souvent drôle et on oublie vite (sinon ça serait nettement moins drôle !). Je me souviens de notre entrée à la plage de l’Estagnol très prisée à l’époque, avec ma soeur et ses 5 enfants qui se suivent à 1 année : panique dans les regards des étoiles de mer savamment étalées sur le sable : il allait falloir se resserrer si ces petits morveux s’installaient près d’eux !!! Ben non, les rase-moquette n’ont pas quitté le bord de l’eau, par contre avec la bande de jeunes gens bruyants qui est arrivée plus tard, ça n’a pas été de tout repos !!!

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  4. Un délice. Merci. La dernière fois que j’étais à l’Eden Rock… j’ai croisé Madoff… toujours protubérant – comme Maxwell-le-père; né Hyman Binyamin Hoch en 1923 à Solotvyno et repéché le 5 11.1991 au large des îles Canaries. Le premier devait – en cours d’année dernière avaler son extrait de naissance en encombrante détention… et le second se faire autopsier une seconde fois (mais cette fois comme assassiné et non accidenté) par ceux-là même qui insistaient beaucoup auprès des Espagnols pour enterrer sa dépouille avec les honneurs que ce grand « philanthrope » méritait…

    Entre l’un et l’autre défunts… on est bien peu d’chose toudmêm’… et certaines zérédités sont dures à effacer.

    C’est dire si ça fait une paye! Entretemps, en Fronce, le burlesque s’est beaucoup développé…

    En guise de happy end: « Heureux comme Gott im Frankreich ».

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    1. Mon cher herederien,
      Votre remarque est éminemment pertinente…
      l’emploi du plus-que-parfait du subjonctif est ici totalement inappropriée, je suis tout à fait d’accord avec vous.
      Cependant… oui, cependant, ne pourrait-on imaginer que l’auteur (c’est moi-même) ne l’utilise sciemment, voulant ainsi (subtil goupil !) par la fausseté de son propos (toujours un brin prétentieux celui-ci, non ?), fausseté qui ne pourra échapper bien entendu à un lecteur, ayant, lui, à l’inverse, quelques lettres, démontrer qu’il ne maîtrise pas du tout l’emploi de ce temps de conjugaison… ?!
      Ernest Salgrenn ne serait donc finalement qu’un imposteur ? Mais… l’écrivain, un petit génie ?! Mince, alors !

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