Fondu.

Aujourd’hui, je me traîne comme un mouton lourd, j’ai la flemme des grands jours. Ne rien foutre, juste attendre que ça passe. Dehors, ils annoncent 40. À l’ombre bien sûr. Peut-être même 42. Canicule… À l’intérieur, 18. La clime générale tourne à fond, et pour un peu, je me pèlerais presque si je n’ouvrais pas de temps en temps une fenêtre en grand. Pas envie d’écrire. Ou alors, si, mais uniquement des phrases longues, interminables, sans ponctuation, même pas de point au bout, sans fin, et toutes remplies de ces mots qui font du mal à la lecture, des mots qui râpent, qui t’accrochent la langue, mots un peu sales sur eux, ou mots tout torturés de l’orthographe, avec un « X » qui siffle bizzarement au beau milieu, et puis des « K » aussi, des tonnes de « K »… « Gengis Khan se carapate dans les Carpates en Volkswagen kaki ! »… Cela ne veut rien dire, c’est absurde et moche, mais voilà bien tout ce que j’ai envie d’écrire, ce matin…
Un peu plus tôt cette nuit, vers deux heures, coup de fil de Los Angeles :
« Devine c’est qui ?! c’est Tata, c’est Titi, c’est Tino, c’est Tarantino !
— M’ouais… ?
— Je ne te réveille pas au moins ?
— Non, ça va… je me repassais l’intégrale des quatre saisons de « Killing Éve », en m’empiffrant de glace à la pistache turque bien arrosée de Kirsh… !
— Parfait ! Bon, là, j’suis avec les producteurs… faut à tout prix que tu nous écrives un scénar, un truc qui tienne la route, t’as seulement deux jours… c’est bon pour toi ? No problem, mon pote ?!
Tarantine, cette grande gigue du Tennessee, à chaque fois qu’il me voit, aime me rassurer et me dire que, d’après lui, je serais tout simplement un véritable génie, que personne n’a jamais rien écrit d’aussi chouette (en français dans le texte) depuis Victor Hugo, ou même, Lamartine ! Moi ? Un génie ? Mon cul, oui ! Un génie, c’est le petit Wolfgang qui jouait comme un demi-dieu du violon, ou de la clarinette à bec, ou bien composait un opéra à six ans à peine. Moi, à cet âge-là, je faisais du vélo, au parc, avec les deux petites roues, de chaque côté à l’arrière, pour ne pas me casser la gueule comme une merde ! Un génie ? Non, monsieur ! Un génie, c’est un Xavier Dolan, magistral, qui réalise son premier film à dix-neuf ans, c’est Rimbaud, sublime, qui écrit son « Bateau ivre » à tout juste dix-sept berges. C’est… ce n’est pas moi en tout cas ! Et encore moins aujourd’hui, où il fait bien trop chaud pour écrire quelque chose de génial. Beaucoup trop chaud…
— OK… c’est quoi, dans les grandes lignes, l’idée… ?
— Y’en a pas ! Tu as carte blanche ! Profites-en ! Lâche les fauves, mon vieux !
Carte blanche ? Faut pas me le dire deux fois…

Tarmac. Chaleur, transpiration. En arrière-plan : avion, gros n’avion, Boeing 747, Force One, la bannière étoilée sur la queue…
Arrive Joe Biden. Tribune, micros, plein de micros. Déclaration solennelle :
« Gne Gnje…(pause)… gnagna… gna gne… (pause encore)… gnla… gn… Guerre… !
Mouchoir blanc, sueur présidentielle, hymne national, trompettes, mains sur le cœur. Sortie du cadre à petits pas de vieux. Fondu enchaîné…
Hélicoptère. Gros n’hélico. Vroum-vroum, rase-mottes, casques mats, noirs, visières dorées dans un soleil éclatant. Joli. Très joli, les reflets dorés. Écussons en couleurs sur les bras, armement. Beaucoup d’armement. Impressionnant.
Le pilote, Jack Mitchell (ou bien peut-être Johnny Check ? Faut voir).
L’ acteur (Tom Cruise, ouais, il est pas mal, Tom Cruise… !).
— On va leur péter la gueule, chef !
Bing ! Crash, descente en flammes, détonations tout azimut, re-flammes, perte de connaissance, nuit noire, capture. Angoisse en contre-plongée…
Prison. Chaleur, moiteur, humidité, ça suinte de partout. Bestioles qui rampent, ça grouille. Un serpent sort d’un trou… ouais, pas mal, ça, comme idée, un serpent… Oppression. Interrogatoire musclé. Claques. Beaucoup de claques. Héros diminué, humilié, dégradé, malmené, torturé, et claqué donc, mais de magnifiques claques qui claquent, surtout pas des fausses de cinoche, faut qu’on est mal pour lui, que ça saigne du nez, des deux narines à la fois, mais, oui… c’est vrai qu’il est très beau, ce visage de Tom Cruise, tout couvert de sang, plein d’égratignures… (Penser au plan serré sur son nez sanguinolent).
Un méchant (accent slave, ou chinois, faut voir aussi) :
— Tu vas parler, ou on te laisse rôtir en plein cagnard… ?
Non ! Plus méchant que ça encore, notre méchant :
— Tu vas parler, ou bien on te coupe la langue… ?
La sentinelle (acteur de second ordre, mais avec une vilaine tronche pleine de balafres). Pas vigilante, la sentinelle. Bien baisée, la sentinelle. Elle n’y croyait pas, la sentinelle. Trop conne, la sentinelle. Égorgée en douceur…
Retour en territoire ami. Plein cadre. Honneur, patrie. Uniformes blancs, décoration, hymne national, tsoin-tsoin, fiancée en larmes. Beaucoup de larmes. Joe Biden, fier… ça compte, c’est toujours ça de pris pour le moral des troupes.
Et la fiancée, justement (Demi Moore ? Non, bien trop âgée maintenant… la petite Léa Seydoux, oui, c’est beaucoup mieux, super sexy, la p’tite Léa), robe à fleurs, une main posée, délicate, sur son bide :
— J’attends un bébé… ! (Ben, oui, voilà que c’est bientôt Noël)
Émouvant. Très émouvant. Sortez vos mouchoirs, tout le monde chiale sa race. Le Final, travelling arrière : soleil couchant, des militaires en fauteuil roulant, une nuée de petits drapeaux avec les étoiles dessus qui s’agitent, la fanfare militaire, lâché de ballons multicolores, beaucoup de ballons multicolores… Rideau ! Long générique de Fin. Très long générique de fin…

Dans la foulée, j’appelle Desplats (deux Oscars posés sur le piano Yamaha…).
— Dis, mon Alex, tu ne pourrais pas me faire un truc sympatoche sur le thème du « Stars-spangled banners » ? Un machin qui pèterait un peu fort dans les basses… avec des tambours, tu sais, les gros, ces énormes tambours du fond d’orchestre, ceux que j’aime bien, boum et boum ! Et que ton type n’hésite pas surtout, qu’il frappe bien comme un malade dessus, boum, boum, que ça résonne fort ! Du lourdos, quoi ! Comment ? Des violons aussi ? Oui, pourquoi pas, si tu penses vraiment qu’il en faut, tu peux en rajouter quelques-uns en fond de partition… mais léger, hein ? Oui, bon, voilà, c’est tout… non, t’inquiète pas, je te répète que tu peux forcer un peu la sauce, s’il le faut ! C’est pour les amerlocks, tu sais bien qu’ils adorent ça… des boumboums, y’en a jamais assez, z’en redemandent toujours, ces bourrins !
Un génie, Salgrenn ? Du talent ? Cela se saurait, non… ?!

Texte et photographie Ernest Salgrenn. Juin 2022. Tous droits réservés.

15 Replies to “Fondu.”

  1. Si je te dis que je n’ai pas compris grand chose… tu me crois?
    Bon, je ne suis pas un demeuré chronique en phase finale d’existence. Quoi que…
    …je sais qui est Lamartine, Wolfgang (je me doute!), Victor Hugo… faut quand même pas me prendre pour un con hein?, je connais même Joe Biden, même si je ne m’en vante pas, il y a des limites, j’ai entendu les noms de Demis Moore et Tom Cruise, sans plus. Je crois, par ouï dire que ce sont des chanteurs ou des acteurs, mais dont je ne sais rien. Mais pour Killing Eve, Tarantine et Léa Saindoux, mes affectueuses excuses car ici il fait 41° et je n’ai pas le courage de consulter mon ami Gogol et son épouse madame Wickimachin…
    Tiens, je vois un commentaire de notre amie Maman Lyonnaise à qui tu réponds quelque chose concernant un certain Desplats… Je suis définitivement largué et retourne à ma siesta.
    Merci tout de même pour la somme de travail qu’a dû te couter ce pamphlet…
    Ernest… t’es un bon type!

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    1. Ne t’inquiète pas trop (simple formule de politesse car je me doute bien que… non !), ce sont, pour la plupart, des gens sans vraiment beaucoup d’importance, en vérité. Bonne sieste et mes amitiés à Cornelia !

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  2. Chouette ! Aller au cinoche sans s’y rendre, le pied ! Non, les Rangers ! T’es pas si fondu que ça : tu tapes au kilomètre et en bonne compagnie (pas la 7ème)… Miss Sédoux à la carnation de crème fouettée, tellement pulpeuse et déhanchée en démarche chaloupée… On lui croquerait la cuisse même en étant résolument hétéro ! Bon Cruise.. bof. Le Tommy, le Ranger, le cow boy, je les laisse à Tarantino pour une rediffusion occasionnelle. Préférant les samouraïs et le kung fu, j’ai pourtant vraiment aimé ta dernière séance. Ton film m’a laissé un bon goût de glace à l’eau fondant en bouche, qui m’a bien rafraîchie!

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    1. Oui, Stephen ! mais un peu de vent d’est ce matin… Mes textes devraient vous plaire, il me semble ? : « Une œuvre me parle lorsqu’elle m’ouvre ces nouveaux horizons incertains, extérieurs et surtout intérieurs. Elle me touche lorsqu’elle m’invite à la table des « questions non posées ». Elle me porte lorsqu’elle convoque des correspondances inattendues, et surtout lorsqu’elle suscite l’imaginaire plus que la raison, plus que de raison.
      Il est vrai que je préfère Frank Herbert à Butor, Anne Vassivière à Perec ! » (Stephen Sevenair)
      On y est, non ?

      Aimé par 2 personnes

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