EMPLOI*.

De mes amis, la cohorte
Parfois m’insupporte,
Souvent m’insupporte…

Ernest Salgrenn.

Emploi.

Je découvris l’ordonnance numéro : 5374/SO/22, un vendredi matin. Il y a de cela trois semaines maintenant. Par la connivence de quatre punaises, d’une typographie sans faille aux lettrines latines et bordures d’acanthes, le tout en format A3, elle affichait aux regards de tous, son arrogance administrative sur le mur jauni du hall d’entrée, à proximité de nos boites aux lettres.
« Avis aux locataires de l’immeuble, sis au 27, rue Destouches.
Dorénavant, et impérativement à compter du 1er du mois prochain, devront être remplacées toutes les portes palières par de simples rideaux de velours rouge.
Les travaux se feront bien entendu aux seuls frais de la copropriété.
Signé : Le Grand Fifrelin Général, Auguste Lapoignedefer. « 

La nouvelle se répandit dans l’immeuble telle l’une de ces fulgurantes épidémies de choléra, qui flambent souvent les mois de décembre -soit en pleine saison des pluies- au sein d’une favela sud-américaine. Je compris tout de suite que j’avais mon rôle à jouer. Celui qui me sied (et m’amuse !) le plus en société : « Empêcheur de tourner en rond qui retombe toujours sur ses pattes » !
Dupont-Dupont, le con du second (étage), se mit immédiatement en tête d’organiser et de diriger la résistance face à cette nouvelle attaque, de ce qu’il nommait en grimaçant : la « B.C.O », pour Barbarie Communautaire Orchestrée ! Et c’est ainsi, sous cette impulsion très naïve et bien illusoire à vrai dire, que nous nous réunîmes dès le lendemain, un peu à l’étroit dans la loge de madame Fougne, la concierge.
« On va pas se laisser faire tout de même ! Des rideaux de velours rouge ? Et pourquoi pas nous demander d’installer des portes vitrées aussi, pendant qu’on y est ?!
— Vous avez parfaitement raison, Dupont, on ne va pas se laisser faire ! » d’une voix presque unanime…
Madame Fougne avait préparé des macarons aux épinards, qui allaient très bien avec le Saint-Amour apporté par monsieur Verschuren (du 5ème gauche). Verschuren est alcoolique. Certains affirment qu’il se drogue aussi, mais cela reste à vérifier.
« Et si on débutait une grêve de la faim ? »
Jacqueline Pignon est anorexique. Et daltonienne. Certains affirment qu’elle se drogue aussi, mais cela reste à vérifier.
Cette idée fût immédiatement rejetée. Trente voix contre vingt-neuf.
C’est à ce moment précis des débats que j’intervîns pour la première fois…
« Allons… ne nous affolons donc pas comme ça ! Calme gardons ! Après tout, n’est-ce pas charmant au final que cette idée de jolis rideaux en velours rouge ? Voyez, l’été par exemple : l’air passera beaucoup mieux !
— Ainsi que les bruits et les odeurs ! Réplique aussi sec Dupont-Dupont, remonté comme un coucou suisse expulsé manu militari de son squat. Certains affirment que ce Dupont-Dupont est un gros con, et cela se vérifiait tous les jours.
— Je crois que vous exagérez un peu, Dupont… attachons-nous plutôt à regarder le côté extrêmement convivial de la chose… !
— Moi, ce qui me gêne le plus : c’est quand même la couleur ! Madame Guignolette (la vieille lesbienne du dernier étage). Madame Guignolette vit seule avec son chien. Certains affirment qu’il est empaillé, mais cela reste à vérifier.
— Vous avez raison : il est certain que vert aurait été plus convenable… le vert est bien plus discret…
— Et le vert… c’est aussi la couleur de l’espoir, non ? Georges Dupinsec (le retraité de la SNCF du 5ème droite, l’appartement en face de celui de Verschuren, donc). Certains affirment que Dupinsec est un vieux psychopathe triste et pédophile, mais tout ceci reste à vérifier.
— Vous reprendrez bien des macarons ? Reste déjà plus de pinard ? Z’avez appris pour la fille de madame Hachille ? Elle se serait fait refaire le pif… elle est méconnaissable maintenant ! J’peux me servir de vos toilettes, madame Fougne (Jacqueline Pignon)… ?!
Et à vau-l’eau…
Le contrôleur fifrelinesque débarqua à l’improviste, un samedi. En grande tenue d’apparat, les médailles apparentes, et pile trois semaines après l’affichage dans notre hall de cette fameuse ordonnance numéro : 5374/SO/22. C’était hier matin. Hasard, ce fût aussi le jour que je choisis pour commencer à faire semblant de démonter ma porte d’entrée…
Bien sûr, Dupont (Verified con) le reçut comme un chien dans un jeu de quille en bois tourné des Vosges.
« Wouaf, wouaf ! Commencez à nous faire chier maintenant avec vos ordonnances ! Z’en n’avez pas marre d’enquiquiner le monde comme ça ?! Grrrr… ! »
— C’est pas moi, cela vient de plus haut ! J’applique seulement… J’applique…
— Ah ! Il est beau, tiens, vot’ métier ! Et quand je pense que c’est nous qu’on vous paye avec nos impôts !
— Attention… ! Un seul mot de plus, et je vous fais interner dans la foulée… z’avez envie de passer Noël au cachot ?!
Certains affirment (et Dupont, en premier) que les contrôleurs fifrelinesques sont tous des homosexuels refoulés, mais cela reste encore à vérifier.
— Dernier délai demain quinze heures… ensuite… on défonce !
— Fait chier, tiens…
— What ?
— Non, rien…
Plus haut.
« Mais… ce n’est pas rouge, ça, dites donc ?! Notre tapette en service commandé.
— Ah, bon ? Pas rouge ?! lui répond du tac-au- tac Jacqueline Pignon, sac d’os dyschromatopsique avéré (donc).
— Non, pas vraiment, ça tire plutôt sur le violet ! Bon, cela pourra passer pour cette fois-ci… mais faudra voir tout de même à me changer ça dès que possible ! Rouge, c’est rouge !
Après s’être tapé (la tapette à casquette) les sept premiers étages par l’escalier –notre ascenseur Westinghouse ne fonctionnant plus depuis belle lurette (c’est à dire, à la louche, une bonne petite quinzaine d’années), les services techniques compétents n’ayant pas reçu, à l’époque, d’ordres assez clairs du bailleur pour venir le réparer– le voilà maintenant qui débarque sur mon palier.
Lui (en sueur) :
« Bonjour monsieur, contrôle inopiné, mais… mais je vois que vous commencez à peine les travaux ?
Moi (innocent aux mains pleines) :
— Oui, j’ai mon beau-frère, qui bosse au Ministère des Bonnes Pratiques et Maniéres, et qui m’a assuré que…
Lui (s’épongeant le front bas) :
— Ah… comme ça, vous avez un beau-frère qui travaille dans un ministère… ?
Moi (sourire en coin) :
— Oui, pourquoi… ?
Lui (regard en coin) :
— Bon… le rideau, vous l’avez ?
Moi (Roi de la combine) :
— Oui…
Lui (Queen of the stairs) :
— Et la tringle ? La tringle, vous l’avez aussi… ?
Moi (Fier comme un militaire…)
— Oui, bien entendu ! Voyez… elle est là…
Lui (Zieutant la tringle chromée) :
— Alors, installez simplement votre rideau devant votre porte mais sans la démonter, et le tour sera joué ! Ni vu, ni connu, cela restera évidemment entre-nous… !
Moi :
— Évidemment… !

  • Emploi : Théatre : Un emploi au théâtre est « l’ensemble des rôles d’une même catégorie requérant, du point de vue de l’apparence physique, de la voix, du tempérament, de la sensibilité, des caractéristiques analogues et donc susceptibles d’être joués par un même acteur (selon Wikipédia).
  • Exemple : Troisième rôle (les troisièmes rôles forment un emploi masculin difficile, qui réclame beaucoup d’habileté de la part du comédien, qui doit sauver le côté odieux du personnage).

Texte et photographie Ernest Salgrenn. Janvier 2022. Tous droits réservés.

5 Replies to “EMPLOI*.”

  1. Bonjour Dominique,
    Tant que ce n’est pas avec une cheville brisée ! Cette chute est préméditée (et assumée). Beaucoup de bruit pour rien, beaucoup d’agitation et de simagrées pour un final somme toute assez banal. Comprendre que certain.e.s s’en sortent toujours mieux que les autres selon cette fable Salgrennienne. Tirer son épingle du jeu avec cynisme et en toute occasion est un véritable passe-temps pour quelques-un.e.s d’entre-nous… (amertume de l’auteur qui est lui-même un grand comédien devant l’éternel !).

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  2. Lu aux aurores au bord de la Méditerranée (10 heures et mèche!), en buvant mon café aguardiente, dans la tranquillité d’un camping ensoleillé presque désert, c’est une pinte de bon sens et d’hilarité.
    Tiens, mes deux prédécesseurs (ssrice) dans la liste des commentateurs contribuent à ma bonne humeur. Vous devriez vous marier… Dominique Salgrenn ce serait sympa, non? Bon, je vous laisse car c’est bientôt l’heure de l’apéro.

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