PAGE 385.

« Tiens… c’est de la daube ! »
Je me retourne et le regarde jeter sans aucun ménagement un pavé de 500 pages sur mon comptoir déjà fort encombré.
— Quoi… qu’est-ce donc ?!
— Ce bouquin, que tu m’as vendu il y a quinze jours… ben, je l’ai lu ! Et c’est une grosse daube ! Style, trame, psychologie des personnages : Le néant complet ! Même l’illustration de la première de couve est flippante de médiocrité ! Un gamin de cinq ans dyslexique aurait pu écrire ça ! Et pour en rajouter une louche : il y a une faute d’orthographe page 385…
— …page 385… ?
— Oui, parfaitement… à nénufar ! Nénufar écrit avec « ph »… !
— Mais… Ernest… tu sais bien… la grande réforme de l’orthographe menée par l’Académie Française ? Ils ont décidé de changer… initialement écrit avec « ph » et maintenant avec un « f » !
— Ah ouais ?! Sauf qu’à la base, mon pote, c’était déjà écrit avec un « f » !
— Oui… c’est pour cela que les deux orthographes sont désormais acceptées !
— Enfin bref, c’est le bordel, quoi !
Il est chiant, des fois, un chipoteur de première. Non… un vrai casse-couilles !
— Qu’est-ce que tu fiches là ? C’est quoi tous ces cartons ? Voilà que tu te décides enfin à faire du rangement dans cette boutique ? Pas trop tôt !
— Tu ne regardes donc pas la télé ?
— Non ! Pour quoi faire ? Pour m’abrutir comme tous ces cons ?!
— Et la radio… tu n’allumes pas ta radio de temps en temps ? France culture… ?!
— Des cons aussi ! Un ramassis de bobos gauchistes ! D’ailleurs, je n’ai plus de piles à foutre dedans… !
— Et Internet… ? Facebook ?
— Qui… ?
Je n’en reviens pas. Il ne sait rien, cet idiot. Pas l’once d’une inquiétude dans ses yeux…
— Ernest…
— Oui… ? Quoi… ?
— Ils sont à nos portes…
— Oh, merde… ! T’as le fisc au cul ?! Ah, les enfoirés ! Te faire ça, à toi… ils ne vont pas t’obliger à fermer tout de même ? Bon… combien tu leur dois ? J’peux t’aider, tu sais… j’ai du pognon… et je ne sais pas vraiment quoi en faire de tout ce fric ! Oui, alors, combien il te faut ? Combien… ?
Il est comme ça, Ernest. Un brave type.
— Je te remercie, mais non, il ne s’agit pas de ça… c’est bien plus grave…
— Plus grave que le fisc ? Ta femme te quitte ? Ah, la salope, tiens ! Je m’en doutais… !
— Mais comment ça, tu t’en doutais ? Monique n’a pas du tout l’intention de me quitter ! Nous sommes très bien ensemble… !
— Que tu crois… ! Regarde la mienne… elle s’est barrée comme ça, sans prévenir, du jour au lendemain !
— Mais, tu la trompais, Ernest… ! Tu sautais tout ce qui bouge ! Tu as même essayer de te taper ma Monique ! Elle me l’a dit… tu lui faisais du rentre-dedans à chaque fois que tu venais ici lorsqu’elle était seule dans la boutique !
Il ouvre de grands yeux, et fait semblant de ne pas comprendre.
— Ouais, bon… n’empêche que… ! Ce sont toutes des salopes, tu peux me croire là-dessus !
— Les Russes… Ernest… les Russes… !
— Magnifiques ! Pouchkine, Dostoïevski, Tourgueniev, Nabokov, Boulgakov… et puis Gogol, bien sûr… ah, et voilà que j’allais oublier Tolstoï ! Comment peut-on oublier Tolstoï… ?! « La beauté ne fait pas l’amour, c’est l’amour qui fait la beauté… » ! Magnifique, non ?
— Oui… tu as raison, mais, cette fois, il s’agit plutôt de… Poutine ! Wladimir Poutine…
— Connais pas ! Qu’est-ce qu’il a écrit, celui-là ?
— Une jolie déclaration de guerre…
— Ah… ? Original, mais tu sais bien que les romans historiques ne m’intéressent pas ! Tu n’as pas autre chose à me proposer ? Un Bukowski ? Oui, tu n’aurais pas par hasard une vieille édition de « The days run away like wild horses over the hills » ? Quatre-vingt dix poèmes… des petits bonbons fourrés au fiel !
— Si… là, regarde sur ta droite, troisième étagère… tu as de la chance, je n’ai pas encore emballé ce rayon… et je t’en fais cadeau…
— Super ! T’es vraiment un ami !
Il trouve le recueil rapidement, le feuillette, et puis sort de la boutique tout en récitant à haute voix quelques vers de Charles. Il m’a déjà oublié. Car il est comme ça, Ernest…
Ne reste que ce livre, déposé sur le comptoir tout à l’heure, et dont je ne peux détourner maintenant mon regard… « Malevil » de Robert Merle… si tu avais su, Ernest…

Bruits de bottes au pas cadencé
Des larmes et du sang
Que pourrait-il rester de la vie, si ce n’est l’amour ?
Entends le canon qui gronde, ma blonde…
Pourtant, elle est si douce la langue russe !

Texte et photographie Ernest Salgrenn. Mars 2022. Tous droits réservés (même en Russie !).

5 Replies to “PAGE 385.”

  1. Ernest… Tu devrais t’en tenir à la littérature française et conjugale. Quel rapport? Rapport sexuel, bien sûr, tant il est vrai que les Français ne pensent qu’à baiser et c’est ce qui fait leur charme. Et surtout, tu devrais te dés-aligner de tous les médias et arrêter de parler de guerre et de Russie. Deux sujets qui ne m’intéressent pas! A moins que tu ne te réfères à ‘Putin 1er’ nouveau tsar qui lui aussi ne pense qu’à baiser… mais baiser le monde entier!
    Salut l’ami.

    Tiens! Je te propose une devinette: Pourquoi ton frère est russe? Etonnant non. Attends:
    On parle de Cyrus:
    Six russes, c’est six slaves
    Si s’lavent c’est qui s’nettoient
    et si se n’est toi… c’est donc ton frère!

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    1. Et ce dicton, Akimismo, tu le connais : « Politique de l’autruche : sable dans les portugaises ! » ?!
      Baiser ? C’est un verbe que je n’aime pas et quelque soit le sens dans lequel on le prenne (le verbe, toujours !). Je lui en préfère d’autres pour parler de la chose… !

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      1. Je comprends que tu n’aimes pas certaines expressions que je croyais passées dans la langue courante et j’en suis désolé pour toi l’ami. Mais il n’en reste pas moins que le fameux dictateur russe, s’il ne nous baise pas, nous la foutra au cul. C’est mieux?

        Aimé par 1 personne

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