Tic-tac.

Pièce en 5 actes. L’ensemble de la pièce est disponible ici : https://lemondeselonernestsalgrenn.wordpress.com/2022/03/12/tic-tac/

ACTE 2

Bunker, toujours. Une paire de jambes sort de dessous la console (L’un des panneaux latéraux est soulevé). On reconnait le pantalon d’uniforme du militaire avec son galonnage doré tout le long de la couture…

— Quelle saloperie, ce machin ! Chiotte de chiotte !

Des voix se rapprochent. La petite porte sur le côté s’ouvre d’un coup et apparaissent (dans cet ordre) : la blonde, la femme de ménage, et le nabot, tous trois chargés d’un carton (sur celui de la blonde on peut y lire en grosses lettres : « CACHOU DE LUXE »).

La blonde, gouailleuse à souhait :
— Hé, ho ! Maréchal ! Nous revoilou !
Puis, déposant son carton sur une petite table pliante en formica :
— Ben, voilà, fallait pas s’en faire ! Y’a tout c’qui faut ici !
La femme de ménage :
— Moi, en tout cas, je n’ai jamais manqué de rien en dix-sept ans !
Le nabot, lâchant sans aucune précaution son carton, presque aussi grand que lui, dans un coin de la pièce :
— Alors, Spoutnik ? Vous vous en sortez, ou pas… ?
Le militaire (Maréchal Spoutnik Délitfaciev) :
— Négatif… y’a un sacré boxon là-dedans ! faut le voir pour le croire, tout ce tas de fils à la con ! j’en perds mon latin… des bleus, des rouges, des noirs, des jaunes et vert… et celui-là… rose bonbon… !

Il doit tirer dessus car la loupiote du plafond se met à monter et descendre…

La femme de ménage :
— Non ? Il s’appelle vraiment Spoutnik, cet abruti… ? Comment peut-on se décider à appeler son gosse Spoutnik ? Faut-y être crétin tout de même… Spoutnik… !
Le Spoutnik :
— Hé, ho, je vous entends, vous savez ! Et pour votre information, mon père était cosmonaute… il a tourné plus de deux cent fois autour de la terre ! Alors ? ça vous en bouche un coin, je parie ?!
La femme de ménage :
— Ouais… peut-être… mais n’empêche que… !
Le nabot, se laissant tomber sur le canapé :
— Et vous, c’est quoi votre nom ?
La femme de ménage :
— Germaine… Germaine Mirotvoretski !
La blonde :
— Ma manucure aussi s’appelle Germaine…

Elle se regarde les ongles un instant, puis commence à ouvrir son carton délicatement.

Germaine :
— Vous en avez bien de la chance de pouvoir vous payer une manucure… et puis n’importe comment, moi, je me ronge les ongles, alors ça ne servirait pas à grand-chose !
Le nabot :
— Sans compter qu’avec votre métier… les mains dans l’eau de javel toute la journée et à récurer la crasse… ce n’est pas l’idéal, non plus, n’est-ce pas ?!
Germaine :
— Ouais, mais j’ai pas vraiment le choix ! Tout le monde peut pas rester à se la couler douce du matin au soir comme une grosse feignasse, mon vieux ! Je sais pas si vous êtes au courant, mais, dans ce pays, il y en a qui ont encore besoin de bosser pour gagner leur croûte ! Faut pas croire que ça vous tombe tout cru du ciel, les pépètes, alors faut bien bosser pour faire tourner sa marmite !
Le spoutnik, toujours couché sous sa console :
— Tout cuit ! Pas tout cru… !
Germaine :
— Hein… ? Qu’est-ce qui raconte, le cosmonaute ?
La blonde, gobant une pastille à la réglisse :
— Kékun ki veut un kachou… ?
Le spoutnik, émergeant de sous sa console, en sueur :
— Oui, c’est pas de refus !

La blonde s’approche de lui (toujours assis par terre), il lui tend sa main à plat, elle rate son coup, la pastille roule au sol, elle se baisse pour la ramasser, on aperçoit le haut de ses bas de nylon, bien placé, il en profite, elle prend tout son temps, se relève enfin et lui fourre la petite réglisse directement dans la bouche…

Le nabot, qui n’a rien vu de la scène :
— Finalement, moi aussi, j’en veux bien une, ma chérie !
Germaine, qui, elle, n’a rien raté du petit manège :
— Moi aussi, mais… je me la mettrai moi même dans le bec, si vous n’y voyez pas d’inconvénient !

Une sirène d’alarme retentit, les néons se mettent à clignoter…

Le nabot, se relevant d’un coup sec :
— Qu’est-ce qui se passe, là ?
Germaine :
— Rien ! Faut pas vous affolez ! C’est mes lasagnes !
Le nabot :
— Comment ça, vos lasagnes ?!
Germaine :
— Ouais, ça c’est rien que pour prévenir que mon plat de lasagnes, que j’ai mis dans le four tout à l’heure, est tout à fait cuit ! J’ai un peu bidouillé le système d’origine pour pouvoir être avertie partout où je me trouve… vous comprenez, c’est tellement grand ici, et puis avec l’épaisseur des murs !
Le Spoutnik, qui ouvre de grands yeux :
— Attendez un peu… comment ça, vous avez BIDOUILLÉ le système ?! C’est quoi encore, cette histoire… ?

Germaine sort un gros boitier noir de sa poche ventrale de tablier, déplie une longue antenne, appuie sur un bouton, la sirène s’arrête instantanément et les néons ne clignotent plus.

Germaine :
— Voilà… c’est fini !

Le Spoutnik se relève, enlève sa veste, la jette sur la console à côté de sa casquette, se retrousse les manches de chemise (en prenant tout son temps), et s’approche ensuite de Germaine d’un pas décidé.

— Montrez-moi ça ! C’est quoi, cette télécommande ? Ce n’est certainement pas du matériel réglementaire… d’où vous sortez, ça ?
Elle se recule, et le menace en pointant l’antenne vers lui.
— Approchez pas… ou je vous troue le bide !
Le Spoutnik :
— Donnez-moi ça, je vous dis !
Germaine :
— Non ! C’est à moi !
Le nabot, qui se rassoit sur le canapé :
— Bon… ça suffit maintenant tous les deux ! Vous êtes pénibles à la fin… Madame Mirotvorestki… allons, soyez raisonnable… passez-lui cette télécommande, qu’il voit ce machin de près, et puis qu’on en finisse !
Germaine :
— Non ! Et non, c’est non ! Il n’en est pas question !
La blonde, qui se rapproche un peu, et d’une voix qui se veut apaisante :
— Germaine… écoutez-moi, ma petite Germaine… Vous savez qui sont ces deux-là, hein ? Vous n’ignorez pas tout de même que vous êtes en présence du Président de la république, LE PRÉSIDENT, Germaine, NOTRE PRÉSIDENT à tous… et du Maréchal Délitfaciev, son chef d’état-major, c’est à dire le plus haut gradé de toute notre grande armée populaire… ce n’est pas rien tout de même… !
Germaine :
— Rien à fiche ! Ici, c’est chez moi, alors je fais un peu ce que je veux ! Et puis d’abord, ça pourrait être dangereux de lui passer cet appareil… faut surtout pas appuyer sur les boutons n’importe comment : il pourrait y avoir de graves conséquences ! parce que faut savoir que je peux tout commander avec ce truc… même votre satané machin-chose, là… (elle montre, avec l’antenne, le gros bouton rouge)
Le Spoutnik :
— Oh… nom d’une pipe ! Je le crois pas… !
Germaine :
— Ben, si ! Voulez que j’vous montre… ?!

Sans attendre de réponse, elle appuie sur l’un des boutons de sa télécommande, tout en tirant la langue… Le nabot, saisi de frayeur, replie ses jambes sous lui et s’enfouit la tête dedans, le Spoutnik se colle les mains sur les oreilles, et la blonde, tétanisée sur place, ne fait rien…

Germaine :
— Mais, regardez-moi donc un peu, cette bande de trouillards !

Une petite musique douce (Mozart) se fait entendre progressivement. Dans le même temps, l’intensité des néons s’atténue, tandis que des posters (de chats) se déroulent sur les murs, puis, une porte coulisse, et apparait une grande table (sur roulettes), qui vient se positionner en plein milieu de la pièce !

— Alors ? C’est drôlement chouette, non ?!

Rideau.

NDLA : La suite dans quelques jours !

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