Fin mars.
Fiu… ! (Interjection Polynésienne signifiant littéralement : «En avoir plein les tongues, plein les bretelles de pareo, ras le pandanus, ras la demi noix de coco…).
Hé, ben, voilà… le confinement aura eu ma peau ! Plus que marre cette fois d’être pris en otage entre quatre murs, plus que marre de devoir remplir un papelard pour aller simplement acheter des clopes ou bien vider mes poubelles, plus que marre d’être pris pour un gamin de trois ans, plus que marre d’être un pigeon confiné ! Moi avoir besoin d’espace, de fraicheur, de vert, de petits oiseaux qui gazouillent, de mousse sur les arbres et peut-être même de cohortes de limaçons en rut, coquins encoquillés, qui se courent après toute la journée ! En résumé : Moi avoir soif de Nature ! La Nature, la vraie, la noble dame Nature dans toute sa splendeur vivifiante, dans toute sa bienfaisante miséricorde, sa bonté libératrice, et puis surtout, oh, oui, surtout, dans toute sa force inspiratrice… Ô, Nature je t’aime, Nature je t’adore, Nature je te veux… !
Alors, je pars ! Oui, vous avez bien entendu, je pars pour de bon. L’écrivain quitte Paris, l’écrivain bazarde tout, l’écrivain va vendre son trois-pièces cuisine, rue de Varize dans le XVI ème, et puis filera dare-dare se mettre au vert gazon !
Début mai.
L’annonce de mon départ a vite fait le tour des popotes, alors un soir, ils débarquent tous chez moi, mes jolies petites gueules mondaines enfarinées de Parigots, yeux tristes, la larme suspendue aux paupières. « Alors, c’est donc vrai ce qu’on raconte ? Tu veux vraiment nous quitter, mon Nénesse… ?!».
Baffie pleure, Nicolas (Bedos) menace de s’ouvrir les veines, Zemmour et Naulleau se roulent de concert sur mon tapis persan, Josiane (Balasko) crise et ouvre une fenêtre… puis la referme aussitôt… Simon (Liberati) sage comme une image écoute religieusement Frédéric (Miterrand) nous lire à haute voix les « Mémoires d’outre-tombe » de Chateaubriand (François-René)… Je suis à deux doigts de craquer et de jeter l’éponge lorsque fort heureusement mon dealer ( Jojo la came) débarque lui aussi, les poches pleines de poudre de perlimpinpin, et remet rapidement tout ce beau monde sur les bons rails. Ouf ! Sauvé !
Mi-mai. (Fait donc ce qu’il te plaît, plaît, plaît…).
À l’agence, un clone très mal imité de Stéphane Plazza m’affirme que c’est vraiment le bon moment pour vendre. Mais avec les agents immobiliers, c’est toujours le bon moment, et surtout pour qu’ils s’en foutent plein les poches. Et puis, un million et demi d’euros pour un quatre-vingt mètres carrés en parfait état et à seulement deux pas du bois de Boulogne, c’est donné. Deux semaines plus tard, un acheteur libanais nous signe un compromis de vente avec un important dessous de table. Pas trop regardant sur l’origine des fonds, je prépare mes cartons. Youpi, tralala… !
Il ne me reste plus maintenant qu’à trouver quelque chose de convenable en Province. Les visites virtuelles s’enchaînent sur le web, mais à ma grande surprise, cela est bien plus difficile qu’il n’y paraît… les rats quitteraient-ils tous le navire… ? Et voilà donc qu’aujourd’hui on se précipiterait en masse au portillon de la belle vie chlorophyllée… ?! Faut croire…
Dans mes recherches je me détourne du Lubéron et des Alpilles. Trop connu, trop couru. Je ne tiens pas à tomber sur un Bigard ou un Bernard-Henri en faisant mes courses au LIDL de Saint Rémy de Provence… La poignée de main qui colle, très peu pour moi ! Aussi, je m’oriente plus à l’Est… les hauteurs de l’arrière-pays niçois seraient l’idéal… et je trouve enfin la perle rare ! Trouvé ! Trouvé mon petit nid douillet en moyenne montagne ! Un magnifique chalet en bois de mélèze, et tout autour plus ou moins deux hectares de terrain avec une jolie rivière qui coule dessus. Un véritable paradis sur terre ! Je trépigne d’impatience. J’ai des fourmis plein les pattes. Je sens que là-bas je vais enfin l’écrire mon chef-d’œuvre ! Chez Pozzi, je fourgue ma Maserati contre un Range-Rover, mieux adapté au milieu rural, et dans la foulée, m’achète une paire de bottes en caoutchouc. Gentleman-farmer, je deviens…
Mi-septembre.
Les gros bras des « Déménageurs Bretons » et leur camion chargé ras les ridelles sont bloqués plus bas. À deux kilomètres. «Désolé, mais là, après… ça passe pas, m’sieur Salgrenn !». Déchargement de mes affaires en vrac sur le bas-côté. Je vais devoir me coltiner tout ça en plusieurs voyages dans le coffre du Range-Rover. Minimum trois jours de galère en perspective. Ça commence plutôt mal…
Un voisin passe me voir. Tout en camouflage fluo, le fusil sur l’épaule, et des chiens bourrés de tiques qui pissent sur mes meubles encore emballés. Heureux de voir quelqu’un, je ne fais pas trop le dégoûté. On boit un canon pour fêter ça. Ici, c’est le pastagas, un jaune et rien d’autre ! Tandis qu’il écluse, j’en profite pour apprendre plein de choses intéressantes grâce à lui : «Faut pas vous inquiétez pour la flotte qu’arrive plus au robinet, c’est une conduite forcée qu’a pétée du côté de Saint-Sauveur, mais y vont nous réparer ça rapidement, les gars… !». Je ne sais pas du tout où se situe Saint-Sauveur mais je ne m’inquiète pas. Enfin, pas plus que cela pour le moment… En partant, il me parle aussi du type avant moi, qui s’est pendu dans la cave l’hiver dernier… ben, non, j’savais pas… !
Fin septembre.
Premières neiges. Premières coupures de jus aussi, à cause des rafales de vent (La Chougne du Nord qu’ils le nomment par ici) dans les cables aériens qui pètent les uns après les autres. Mais cela coûterait bien trop cher d’enterrer, alors. L’eau de pluie, dans mon bidon de récup, gêle la nuit. Et le jour aussi. C’est con parce qu’ils n’ont toujours pas réparé la conduite (les gars)… Je chauffe au bois. Mais la cheminée fume un peu. Un peu beaucoup. «Problème de tirage» d’après le voisin camouflé qui est revenu me voir. «Z’avez ramoné… ?» qu’a-t-il complété en toussant gras et sirotant son troisième pastis bien tassé. Avantage non négligeable toutefois, les glaçons sont gratos. C’est déjà ça.
Mi-octobre.
L’hiver est en avance par ici. C’est une évidence. L’eau est enfin revenu au robinet. Mais bien marronasse… Pour le courant électrique, c’est toujours de l’alternatif, un jour oui, un jour sans. Mais finalement, j’ai l’impression que l’on s’habitue à tout à la longue. Hier, à la supérette du village, ils m’ont conseillé gentiment de faire des provisions, on ne sait jamais… Je bourre donc le Range de boites de conserve qui me coûtent aussi cher que chez Fauchon. «À cause, m’sieur, le coût exorbitant des transports…» m’expose-t-on avec une certaine mélancolie dans la voix. On parle aussi du deuxième reconfinement, avec le « R zéro » qui progresse… étonnant comme tous ces braves gens de la campagne sont très vite devenus des experts en virologie ! Je n’ai pas vraiment d’avis sur la question, ma télé Sony (HD et 4K) ne fonctionnant plus depuis cet orage terrible d’il y a quinze jours. J’abrège la conversation, je paye la douloureuse, et retour au bercail juste avant que la nuit et la neige ne tombe d’un coup…
Novembre.
Merde, comme c’est triste Novembre ! Je n’avais pas remarqué jusqu’ici, mais Novembre est un mois particulièrement tristounet… Plus d’eau encore, mais cette fois-ci, c’est mon compteur qui a gelé et rendu l’âme… «Z’aurez du bien l’emballer dans de la laine de verre… !» dixit mon pochetron de voisin. L’aurait pu le dire avant. Le téléphone ne passe plus. Enfin, en vérité, il n’a jamais bien passé depuis que je suis là ! La neige s’accumule dehors. Et le froid s’accentue. Quand je sors (de plus en plus rarement), j’enfile trois paires de chaussettes dans mes bottes en caoutchouc. Et deux à l’intérieur dans mes pantoufles de vieux. Aujourd’hui, je viens de me rendre compte avec stupéfaction que je n’avais pas écrit une seule ligne depuis mon arrivée ici…
Décembre.
Et bientôt la magie de Noël, mais il me semble que le mois de Décembre est peut-être encore plus triste que celui de Novembre. Le soleil (lorsqu’il y en a un peu) se cache tôt derrière la montagne, vers quinze heures, et on n’y voit plus rien ensuite. Pourtant, je n’allume une bougie que seulement une ou deux heures plus tard. Par mesure d’économie car il ne m’en reste plus beaucoup en stock. Le voisin est revenu me voir hier matin. Il a des raquettes exprès pour marcher dans la neige, lui. N’est pas resté bien longtemps (je n’ai plus de pastis) mais il m’a laissé un fusil. Tout le monde a un fusil ici. C’est mieux, qu’il dit. C’est bien mieux pour votre sécurité… «On ne sait jamais, avec tous ces migrants qui passent la frontière italienne en douce, vaut mieux s’méfier, mon vieux… !»
Soir de Noël.
C’est pas la première tempête que je subis ici, mais celle-ci est gratinée, vous pouvez me croire ! Dans la cheminée, je brûle tous mes bouquins un par un. Je n’ai plus que ça, ma réserve de bois est épuisée, j’aurai pas cru que vingt stères passeraient aussi vite. Je m’ouvre une boite de cassoulet William Saurin que je bouffe emmitouflé dans un plaid écossais. Putain, ça caille sec ! Et dehors, ça souffle si fort que je me demande si le toit va tenir le coup… C’est ainsi, et alors que je racle consciencieusement avec mes doigts engourdis le fond de la boite, que j’entends frapper à la porte… Je chope le fusil du voisin (que je laisse maintenant toujours à portée de main)… j’attends personne… non, c’est sûr, que je n’attends personne… ! Derrière la turne en bois, ça gueule, ça gueule des mots que je ne comprends pas… du patois peut-être… ? Non ! Du petit nègre plutôt… ! Merde… je tire dans le tas… sans sommation… Pum, pum !
Le vingt-cinq décembre, au matin.
La Josiane (Balasko) n’a pas vraiment apprécié de se faire canarder comme ça (comme un lapin), juste après s’être tapé plus de deux heures de marche dans la poudreuse. Heureusement que les plombs n’étaient pas très très gros (du calibre douze seulement) et que sa doudoune en plumes a amorti un peu aussi. Ce qui est plus moche, c’est qu’elle n’a pas très bon caractère au départ, et que cela risque bien de ne pas s’arranger si elle se chope en plus du saturnisme…
Une surprise ! Une petite surprise qu’ils voulaient me faire pour Noël, les cons… ! Et c’est à douze qu’ils ont débarqués dans mon royaume, et même Jojo la came a fait le voyage ! Ah, ce qu’on a pu rire après coup de ma méprise ! Et bon sang de bon soir, comme j’avais oublié que cela pouvait faire autant de bien de rire et de picoler avec de bons copains !
Fin Janvier.
Aujourd’hui, ils sont toujours là. Treize à table tous les jours ! N’ont pas eu le temps de repartir avant le déclenchement du troisième confinement, alors voilà… ils sont restés ici !
Et moi, de mon côté, j’ai recommencé à écrire…
Alors… elle est pas belle la vie à la campagne ?!
*Tentative de contrepéterie avortée.